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Les droits sont-ils dans le cerveau gauche?

14 Sep 2022 | Culture, histoire, philosophie

Depuis un ou deux ans, la neurologie a rejoint le club des sciences «citoyennes». Chance d’extirper enfin l’animal en nous, ou lavage de cerveau qui neutralise toute objection?

Au milieu du XIXe siècle, un ouvrier américain – Phineas Gage – fut victime d’un terrible accident: un pieu lui traversa la tête! Son intelligence s’en sortit bien, mais sa moralité fut atteinte: il devint «méchant». Depuis lors, les médecins espèrent – en visant bien – pouvoir éteindre la flamme du mal dans la tête des gens, comme celle du bien le fut par malheur chez l’accidenté. Et de nos jours, face aux incivilités climatiques ou énergétiques, une telle neurologie fait son grand retour.

La nouvelle Bonne Nouvelle

La première fois que de tels neurologues sont passés à l’offensive à Genève, ce fut par un exposé en ligne de l’étoile Sébastien Bohler aux Archives Piaget de l’Université de Genève (agenda.unige.ch/events/view/32512). Le même orateur fut par contre en chair et en os – aux côtés du chercheur et journaliste Laurent Petit et d’autres collègues sur la même longueur d’onde – à Palexpo dans le cadre des «Assises (…) de la transition énergétique» (assises-energie.org). L’espoir de réorienter l’esprit – et surtout les réflexes – humains vers l’écologie et la solidarité a encore teinté le forum Alternatiba au début du mois, à propos de «la fresque du climat» (par d’autres voix: Cédric Ringenbach, Yves François et Jeremy Grivel; voir alternatibaleman.org).

Plus fort que Freud

On vient à nouveau de parler de neurosciences qui tiendraient la clef du bien moral au moment où s’ouvre une nouvelle session du Conseil des droits de l’homme au Palais des Nations (le thème est du dernier chic sur le site du Haut Commissariat). Même la Confédération se veut championne du sujet; cet engouement n’est pas étonnant: si vraiment il suffit de se coucher sur le divan… ou plutôt dans une machine magnétique… bref, avec un remède miracle à même de faire – d’un clic – un monde de paix civique et climatique… alors que cent ans d’efforts humanitaires et pacifistes ont échoué… qui va faire la fine bouche? En tout cas pas le public d’une démo «live» qui tourne ces jours en Romandie (knie.ch).

Deux cents doctorants
enthousiastes

On ne va pas résumer ici les exposés des savants sur les avancées des sciences du cerveau: on trouve plein de textes et d’exposés sur ces sujets en ou hors ligne (et même dans le dernier numéro de la revue de l’Université: unige.ch/campus… ou encore à la Semaine idoine: cerveau.ch et dans le film «Cinq nouvelles du cerveau»). Et ces jours à Palexpo, on a même eu un congrès de «neurophysiologie clinique», tout aussi prenant pour qui se donnait la peine d’y aller (ifcn.info; les absents peuvent être présents ce mercredi au Centre médical universitaire sur un sujet connexe: agenda.unige.ch/events/view/33954). Ces recherches ont de quoi susciter des vocations, et à Palexpo, les jeunes chercheurs devant leur «poster» avaient la flamme si vive que le journaliste famélique en oubliait le buffet. Mais…

L’expérience est-elle soluble dans les neurosciences?

Ce n’est pas du côté de la science (ni des neurones) que «le bât blesse», mais du côté de la morale… deux notions que les grands clercs – anciens ou modernes – aiment confondre (gesda.global). Même un lauréat du Prix Nobel de médecine sait-il mieux que le commun des mortels où se trouve le Bien ou le Mal… sur la carte de l’histoire ou de la philo? Même question pour les grands clercs du Vatican ou des Nations Unies. Une revue en ligne (80000 hours.org) écrivait en juin que les postures morales étaient vouées à l’échec car on ne pouvait analyser l’effet de nos actions à terme. C’est pourquoi la définition de l’utopie qu’on entend souvent («Un système idéal conçu pour le bien de tous et qui donne toujours le résultat inverse de celui désiré») est plus tragique que comique.

Docteur Folamour du cerveau

Si «L’enfer, c’est les autres» (comme disait Jean-Paul Sartre dans un sens plus social que moral), «L’ange, c’est moi» pense tout militant des bonnes causes. Par chance, il n’y en a pas eu au congrès de Palexpo, qui a pu se lancer dans un plaidoyer pour des budgets sans limites, et – anniversaire oblige – raconter l’histoire des neurosciences sans ombre au tableau. Quoi de plus prestigieux que les neurosciences, ces deux derniers siècles: une pièce de théâtre anglaise – des années Soixante, sauf erreur – mettait sur scène un cancre qui – suite à une prise de bec avec son prof – voulait qu’on fasse de lui un «chirurgien du cerveau». Pourtant, les Lombroso et autres Cherbuliez ont autant de choses à se reprocher qu’un Carl Vogt… sans parler des pauvres singes victimes de chercheurs au cœur moins bon que la tête.

Simple veut-il dire libre d’esprit?

Quant au simple citoyen, il est plus à l’abri des neurosciences programmeuses s’il raisonne de travers: le formatage électronique ou biologique ne marche qu’avec les cerveaux déjà aménagés.

 

Boris Engelson