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culture & nature - Epopée de la médecine

Le remède de cheval prend tout son sens

6 Déc 2023 | Culture, histoire, philosophie

Soigner un cheval avec du beurre dans les oreilles, de la poudre à canon ou de la fiente de pigeon, voilà qui a de quoi surprendre. C’est pourtant ce que l’on peut lire dans le «Manuel des écuyers ou recueil des différents remèdes pour la guérison des maladies qui arrivent aux chevaux», publié en 1725 par le Grand Ecuyer Carbon de Begrières.

Durant des siècles, le cheval fit partie de la vie quotidienne de nos ancêtres. La plus noble conquête de l’homme devenait incontournable dès qu’il fallait se déplacer, que ce soit avec une charrette, une calèche, un carrosse ou tout simplement en chevauchant au gré des relais de poste. Véritable moteur universel, on l’employait aussi bien dans les campagnes pour tirer la charrue que dans l’armée pour déplacer les canons. Il fallait donc en prendre soin, d’où l’existence d’une abondante littérature consacrée à ce sujet.
Le «Manuel des écuyers» de 1725 en est un exemple parmi bien d’autres. Le livre explique tout d’abord la manière de choisir les chevaux et de bien tenir une écurie. On trouve ensuite une description générale des différentes médications. Parmi ces dernières, citons les emplâtres, divers drogues et onguents souvent curieux, l’incontournable saignée et bien sûr, les clystères qui pouvaient être «laxatifs, rémolitifs (sic), anodins et même réfrigératifs pour les chevaux dont l’humeur était par trop échauffée». Notons que certains de ces traitements n’étaient pas très éloignés de ceux prescrits aux humains. Souvenons-nous du Malade imaginaire (1673) de ce cher Molière!

Pinte de vin et limaille d’acier

Le manuel égrenait ensuite la liste détaillée des différentes maladies avec leurs remèdes. Ainsi, écrit notre Grand écuyer, pour un cheval qui tremble, qui perd de l’appétit et dont le regard devient colérique, la solution consiste à lui faire boire «une pinte de bon vin dans lequel on aura ajouté deux noix de muscade râpées et six jaunes d’œufs, on lui mettra aussi du beurre frais dans les oreilles». Pour tuer les vers, «prendre une livre de limaille d’acier, que l’on partagera en seize prises d’une once chacune, que l’on donnera dans du son mouillé». Pour un cheval dont «le ventre lui grouille et ses flancs lui battent, prenez deux livres de persil, une livre d’écorce d’orange en poudre, une demi-livre de fiente de pigeon sèche et mélangez le tout à une pinte de vin, puis faites boire au cheval».
Mais attendons la suite et nous verrons que les pauvres bêtes n’étaient pas au bout de leurs peines. Si votre cheval est triste et abattu, «un verre d’huile d’olive mélangée à trois verres d’eau, une charge de poudre à canon et quatre gousses d’ail pilées» suffiront à lui redonner de la vigueur. Enfin, en cas de fourbure, les soins débuteront par une bonne saignée et une pinte d’eau salée. Suivra une mixture pour le moins curieuse: «Prenez le jus d’une livre d’oignons, que vous mélangerez à une chopine de vin blanc. Ensuite cherchez une nourrice. Vous lui demanderez les couches pleines des excréments de son nourrisson, que vous prendrez avec soin pour les faire détremper dans le vin et le jus d’oignons, puis faire boire au cheval»! Si les humains pouvaient indirectement contribuer à la fabrication de remèdes pour chevaux, la réciproque était vraie.

Yeux de lièvre

En effet, ces manuels dits «de médecine», remplis de recettes farfelues et extravagantes, ne se limitaient pas à la race chevaline. Prenons l’exemple édifiant d’un livre intitulé «Pratiques de médecines spéciales», publié à Lyon en 1691. L’extrait que voici concernant les accouchements se passe de commentaire: «Si l’enfantement tire en longueur, utilisez des yeux de lièvre séchés et appliqués sur le sommet de la tête. Pour fortifier la mère et le fœtus et pour avancer le travail de l’enfantement, le médecin ne manquera pas de faire prendre plusieurs remèdes. Les pauvres prennent ordinairement de l’urine de leur mari (…) et j’en connais à qui elle a très bien réussi et qui ont, par ce moyen, été heureusement délivrées. La fiente de cheval (nous y voilà) tirée par expression avec du vin et bue, fait le même effet».
L’auteur admet toutefois que ce remède est facile, mais sale… Que penser alors de cette autre potion destinée à favoriser l’accouchement: «Prenez de la cannelle, du safran (…), du borax de Venise, une dragme (un peu moins de 5 grammes, réd.) de testicules de cheval pulvérisés, mettez le tout pour faire une poudre pour deux doses…». On peut imaginer avec effroi les pauvres parturientes aux prises avec un accouchement difficile et devant, par-dessus le marché, ingurgiter ces innommables potions!
Même si ces manuels ne reflètent pas forcément l’ensemble des pratiques vétérinaires ou médicales du moment, convenons qu’en ces temps éloignés, bêtes et gens devaient avoir une solide constitution pour survivre à de tels soins.

 

Frédéric Schmidt