Une rénovation respectueuse de l’œuvre de l’architecte Maurice Braillard.

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infrastructures - «Montagne des Genevois»

Le new look du téléphérique du Salève

25 Oct 2023 | Culture, histoire, philosophie

Après deux ans de travaux, le téléphérique du Salève, inauguré officiellement les 7 et 8 octobre dernier, a repris du service. Cette rénovation, d’un montant de 13 millions d’euros, s’est faite dans le respect de l’œuvre de l’architecte genevois (et socialiste) Maurice Braillard, tout en apportant une vision contemporaine du lieu.

Plus de deux heures! C’est le temps qu’il fallait jusqu’en 1935, date de sa fermeture, au train à crémaillère pour atteindre le Salève. Dans ce contexte, le téléphérique est une alternative rapide. Inauguré en 1932, le téléphérique du Salève est salué comme une réalisation d’avant-garde, tant sur le plan technique qu’architectural. L’écrivain français Joseph Kessel décrit sa montée en téléphérique dans le «Messager» du 29 octobre 1932. Il écrivait: «Ce fut comme un avion: les maisons s’aplatirent; le paysage s’élargit de seconde en seconde, le radeau aérien montait, glissant sur cet incroyable fil qui portait notre vie». S’ensuit le récit du paysage, puis la découverte de la gare d’arrivée. «[…] Plus près au sommet du Salève, qui est le premier contrefort dressant à pic ses huit cents mètres de rochers sur la campagne genevoise, on apercevait une masse blanche, un bloc qui se détachait du fond sombre, qui s’enlevait sur lui avec la vigueur et la précision propres aux travaux humains et qui ressemblait à un grand phare aveugle. En vérité, la vue de ce monument singulier faisait pour moi tout le prix d’une si belle journée».
Le téléphérique du Salève constitue l’une des œuvres les plus remarquables de l’architecte genevois Maurice Braillard, entouré à l’époque des ingénieurs civils français Georges Riondel et André Rebuffel. L’édifice, bien qu’il ne fût jamais achevé, s’affirme comme un monument fort du bassin genevois. Menacé de démantèlement après huit ans d’arrêt d’exploitation, le téléphérique fut sauvé en 1984 grâce à des travaux de rénovation d’envergure, dans le cadre d’une collaboration franco-genevoise.
En 2013 eurent lieu des travaux de rénovation technique du téléphérique, mais il fallut attendre 2021 pour le début du chantier de réhabilitation totale des gares de départ et d’arrivée.
David Devaux, du bureau parisien Devaux & Devaux, qui a remporté le concours d’architecture du téléphérique, explique: «Il y avait plusieurs difficultés sur le chantier: la météo, car nous sommes dans un endroit où il y a du brouillard et du vent, l’absence d’eau, ce qui signifie qu’il fallait l’amener sur le site, et les conditions d’accès par la route qui ne sont pas évidentes, raison pour laquelle le téléphérique a été construit… et nous n’en disposions pas».
Les gares de départ et d’arrivée ont été entièrement réhabilitées et l’édifice du haut a été agrandi. «Toute la substance encore présente de ce qu’avait fait Braillard doit être protégée afin d’être transmise, précise David Devaux. Pour y parvenir, nous avons commencé par restaurer les bétons et par les traiter afin d’assurer leur pérennité. Nous avons procédé à un grand décroutage de tous les bétons bruts et au traitement des aciers partout où il le fallait pour obtenir les enrobages adaptés. C’était la priorité en termes de préservation.
Le projet comprenait aussi tout une partie «extension» et nous l’avons pensée de manière à ce qu’elle facilite la lecture du travail de Braillard. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas reconstruit un étage au-dessus de la partie accueil. Nous avons choisi de dégager la vue sur le bâtiment de Braillard».
Certains éléments d’origine bénéficient d’une belle mise en avant, comme le carrelage en damier de la galerie d’arrivée, les fenêtres, les panneaux publicitaires lumineux d’autrefois ou encore la teinte verte des murs.
L’ensemble est sobre, s’inscrivant bien dans la démarche de Braillard. Une boutique, un espace d’exposition, un atelier pour des activités pédagogiques ont notamment vu le jour, ainsi qu’un mur d’escalade de 20 mètres de haut qui rappelle que le Salève fut le terrain d’entraînement des pionniers de l’alpinisme et le lieu d’invention du terme «varappe».

Démarche écologique

La gare haute du téléphérique est équipée d’une chaudière à granulés de bois et les modes de chauffage s’adaptent aux différents espaces afin d’optimiser leur consommation. Une ventilation mécanique à double flux permet, en hiver, d’utiliser la chaleur de l’air extrait pour réchauffer l’air entrant, d’où une réduction des besoins en chauffage. Le bâtiment a été conçu avec des solutions dites passives, afin de maintenir des niveaux de température confortable en été: un système permet la surventilation la nuit quand les températures extérieures à 1100 mètres d’altitude sont suffisamment fraîches, des stores intérieurs et des brise-soleil orientables extérieurs limitent les apports solaires.
De son côté, la gare de départ dispose d’une pompe à chaleur pour le chauffage et d’une petite centrale photovoltaïque sur son toit pour son autoconsommation.
Par ailleurs, le téléphérique n’est pas raccordé au réseau d’eau potable. Celle qui est utilisée sur le site est montée par le téléphérique et sa gestion est donc minutieuse. L’eau de pluie est récupérée à la gare d’arrivée, filtrée et réutilisée pour les toilettes et l’arrosage des espaces verts.
Réalisés par le paysagiste genevois Pascal Olivier, les espaces extérieurs mettent en lumière le bâtiment de Maurice Braillard, s’inscrivant dans son architecture dépouillée. Renouant avec l’esthétique des années 30, Pascal Olivier a ouvert les espaces, notamment le belvédère. «Nous avons conservé les arbres, mais enlevé la végétation spontanée qui était trop dense. Nous avons également privilégié les plantes indigènes, parmi lesquelles des rosiers sauvages des Alpes, par exemple».

 

Virginia Aubert