C’est ici, dans cette demeure sur la route de Saconnex d’Arve à Plan-les-Ouates, qu’est né l’Ordre du Temple solaire, la secte qui a conduit à la mort de 74 personnes en 1994, 1995 et 1997.

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HISTOIRE - Lieux de crime

Le berceau du Temple solaire

1 Fév 2023 | Culture, histoire, philosophie

C’est à Saconnex-d’Arve, dans la campagne genevoise, qu’ont vécu dirigeants et adeptes de l’Ordre du temple solaire (OTS), la secte qui a conduit septante-quatre personnes à la mort.

C’est une belle maison jaune pâle sur la route de Saconnex d’Arve à Plan-les-Ouates/GE. Dans les années 80, on l’associait à la Fondation Golden Way, un cercle de conférences privé qui faisait aussi bien dans l’ésotérisme que dans la musique. Alain Delon et Mireille Darc y sont venus. Une émission de la TV romande signée Bernard Pichon y a été tournée, avec Hubert Reeves et Michel Jonasz. C’est ici, dans cette bâtisse ayant appartenu à l’Ordre de Malte, qu’est né l’Ordre du Temple solaire, la secte qui a conduit à la mort de 74 personnes en 1994, 1995 et 1997.
«Si les massacres n’ont certes pas eu lieu dans cette demeure, on peut dire que c’est le lieu historique de l’OTS, les fonts baptismaux de l’horreur, là où se sont noués les nœuds et le chemin vers la mort», indique le journaliste Arnaud Bédat qui a consacré plusieurs livres, articles et émissions à ce sujet. En ce moment même, deux séries, «La Fraternité» sur PlaySuisse et «La Secte» sur la chaîne française Salto, traitent du sujet.
Aujourd’hui, dans le petit village, seuls les plus anciens se souviennent de l’arrivée des gourous de l’OTS, Jo Di Mambro et Luc Jouret, entre la fin des années 70 et le début des années 80. C’est Di Mambro, Français d’origine méridionale, qui a trouvé le lieu le premier. Une édifice somptueux, où il a fait effectuer d’énormes travaux dont la construction d’un sanctuaire. Le Belge Luc Jouret, lui, a choisi ce nouveau «logement» après avoir quitté le Canada, où des ennuis judiciaires l’avaient importuné, condamné à Montréal – avec deux autres adeptes d’ailleurs – pour l’achat d’un pistolet muni d’un silencieux.

D’étranges «trucs»

A Saconnex-d’Arve, les adeptes de l’OTS vivaient dans un bâtiment beaucoup plus terne à côté. Ils se levaient à cinq heures du matin pour caresser le séquoia sacré du grand jardin, avant d’entamer la gymnastique cosmique qui se terminait par un frugal petit déjeuner. Les gourous, eux, faisaient grasse matinée avant le premier rituel de la journée au sanctuaire. «Je me souviens qu’avec les copains, on essayait de monter sur le mur pour voir ce qui se passait dans le jardin. On disait qu’il se déroulait d’étranges trucs, explique un habitant de la commune. En réalité, les adeptes pratiquaient méditation et yoga, mais à l’époque, on ne savait pas grand-chose de ces pratiques. Avec leurs capes blanches, on les prenait un peu pour de doux dingues».

Peur des microbes

Sur le terrain arable, un potager avait été construit. On labourait la terre avec des chevaux. Ici, on avait peur des microbes et en cuisine, il fallait du coup laver la salade à sept reprises. Les légumes «chargés en bonne énergie» étaient découpés. Toujours dans le même sens. Aucun engrais n’était utilisé. Seules les selles de l’enfant cosmique – la fille de Di Mambro – étaient utilisées pour améliorer les rendements… «Elles devaient être répandues à la main sur les cultures», nous indique «Les Chevaliers de la mort»*. Pendant une quinzaine d’années, un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants a ainsi vécu à Saconnex d’Arve à l’écart du monde, quasi en dehors du siècle.

«Fous de la pierre»

Les membres qui possédaient encore un travail dans la société civile avaient peur de sortir des lieux. Car on leur avait bien appris, jour après jour, que le monde extérieur représentait un danger. Si ces derniers vivaient frugalement, Jouret et Di Mambro, eux, roulaient en Mercedes et menaient une vie fastueuse. «Ils avaient notamment la folie de la pierre», ajoute Arnaud Bédat, rappelant que l’OTS avait acheté des propriétés au Canada, en Australie, dans le sud de la France. «Ils ont roulé sur des millions, avec l’argent des adeptes, dont de très généreux donateurs…», poursuit le journaliste jurassien. Seulement voilà. Alors que les grands maîtres profitent, des adeptes commencent à se poser des questions au début des années 90. Ils soupçonnent des supercheries et escroqueries. C’est le début de la fin. L’origine des premiers massacres, c’est donc d’abord l’argent, la mégalomanie des gourous dilapidant la fortune des adeptes corvéables à merci, mais aussi le sentiment de quelques-uns de ces derniers d’avoir été dupés par des effets spéciaux techniques (les premiers hologrammes) et non de vrais «miracles».
Alors que des disciples s’en vont vers d’autres lieux dont Cheiry/FR et Salvan/VS, la demeure genevoise reste un peu à l’abandon. Des adeptes commencent aussi à réclamer le remboursement partiel des fonds qu’ils ont engagés. Mais tout a été détourné pour investir dans des entreprises fictives, des propriétés pour les fondateurs et le train de vie princier des dirigeants.
A l’automne 1994, les corps de dizaines de victimes sont retrouvés à Cheiry, Salvan et Morin-Heights, au Canada. Et le monde découvre l’existence de la secte qui va défrayer encore longtemps la chronique. Les gourous sont morts. Mais les croyances demeurent dans les esprits de certains fidèles qui regrettent de n’avoir pas pu «partir». D’autres tueries auront lieu en 1995 et 1997, notamment dans le Vercors en France voisine. A ce jour, l’Ordre du Temple solaire semble bel et bien avoir disparu. La maison de l’OTS, elle, a retrouvé une vie ordinaire.

 

Valérie Duby

 

* «Les Chevaliers de la mort», par Arnaud Bédat, Gilles Bouleau et Bernard Nicolas, Editions L’Illustré et TF1.

GROS PLAN

Que sont devenus les chalets des drames?

 

En Suisse, les maisons où les victimes de l’OTS ont été retrouvées n’existent plus. Celle de Cheiry a été rapidement brûlée et rasée. A Salvan, en Valais, les deux chalets ont été détruits, mais plusieurs années après le massacre. La commune a pu racheter ce terrain pour quelques dizaines de milliers de francs. Par la suite, un couple de Hollandais a racheté la parcelle. Et sur les lieux de la tuerie, un magnifique chalet de luxe a poussé, proposé en location de vacances durant plusieurs années. «Les Granges sur Salvan» proposaient «trois étages et le plus grand luxe pour un séjour détendu ainsi que quatre chambres à coucher, trois salles de bains, un vaste séjour avec cuisine américaine, idéal pour un moment romantique ou un espace de jeux pour vos enfants». Selon «Rhône FM», qui avait révélé l’information en 2019, les lieux ont été revendus depuis: ils appartiendraient à un couple d’Américains, en résidence secondaire.