Tous les défis posés par le voyage vers d’autres étoiles ne seront pas indéfiniment insurmontables.

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culture & nature - Science ou science-fiction?

L’astronaute Clervoy voit les humains habiter le Cosmos

11 Jan 2023 | Culture, histoire, philosophie

Il veut, comme tout un chacun, sauver la planète, mais il veut aussi sauver l’humanité. L’astronaute français Jean-François Clervoy, qui a participé à trois missions dans l’espace, explique dans un livre passionnant et parfois vertigineux, «Entretiens avec un astronaute» (Editions De Boeck), que les êtres humains n’auront d’autre choix, dans un avenir lointain et inexorable, que de se projeter dans le Cosmos s’ils ne veulent pas disparaître.

Habitat, mode de vie, relations sociales, psychologie, culture, tout sera à réinventer dans des vaisseaux spatiaux, puis dans des colonies extraplanétaires, dans des conditions extrêmes et terriblement contraignantes.
Il aime beaucoup la planète Terre qu’il a survolée de très haut à trois reprises, dans la station internationale ISS, en orbite depuis près d’un quart de siècle. Polytechnicien, scientifique strict et rigoureux, Jean-François Clervoy, 64 ans, a aussi un goût pour la philosophie et une âme de poète. Passionné depuis l’enfance par l’espace, héritage
– en partie – de son père pilote de chasse, il a fait Polytechnique, est devenu ingénieur et a participé à trois missions spatiales, la dernière en 1999, l’une d’entre elles avec l’astronaute vaudois Claude Nicollier.

Le tour de la Terre en une heure et demie

Dans un livre d’entretiens qui vient de paraître, il raconte d’abord l’émotion qui l’étreint chaque fois en voyant la Terre de haut, dans sa globalité. L’angle de vue va changer selon la hauteur de l’orbite et l’inclinaison du vaisseau spatial, mais c’est toujours le même émerveillement et le même sentiment d’une beauté qui, dit-il, «met les larmes aux yeux des astronautes, même les plus endurcis. La vision de la planète depuis l’espace est vraiment unique, explique Jean-François Clervoy, on ne peut pas la reproduire sur Terre. C’est un grand champ de vue qui défile sous nos yeux en déroulant une multitude de contrastes, de couleurs, d’éclairages, de paysages végétaux, minéraux et urbains. Ce n’est comparable à rien, il faut être en orbite terrestre pour voir cela».
Concrètement, on fait le tour de la planète en une heure et demie. «L’alternance jour-nuit, reprend Jean-François Clervoy, a lieu toutes les 45 minutes: le Soleil se lève 16 fois et se couche 16 fois par journée de 24 heures pour un astronaute en orbite terrestre. Vous survolez pendant 45 minutes le côté de la planète éclairé par le Soleil, puis pendant 45 minutes le côté où il fait nuit. La nuit, c’est vraiment magique! Vous apercevez les lumières des villes lors du survol des régions habitées, et vous vous amusez à les reconnaître (…). Vous pouvez apercevoir les coulées de lave et les cratères des volcans actifs qui rougeoient dans l’obscurité. Vous distinguez les feux de forêt et les feux agricoles».

Une ville nouvelle nommée Dubaï

Du ciel, on distingue aussi l’avancée inexorable des villes, leur extension, leur puissance. «De jour, poursuit Jean-François Clervoy, les mégapoles se présentent comme des taches grises, la couleur du béton et du macadam, qui ne ressemblent à aucun élément minéral ou végétal naturel comme les déserts, les montagnes ou les forêts. On les remarque surtout en survolant l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord. Aux Etats-Unis, on reconnaît le quadrillage typique que forment les rues toutes perpendiculaires entre elles. Vues de nuit, ces mégalopoles forment des îlots de lumière jaune concentrée caractéristiques. (…) La première chose que l’on perçoit de l’humanité est donc son instinct grégaire, par le fait qu’elle vit rassemblée dans des villes. (…) On mesure aussi l’expansion de certaines villes, comme Dubaï par exemple, qui est devenue en moins de trente ans une mégalopole bétonnée, érigée dans le désert».

Les Terriens après la Terre

La planète Terre vue du ciel semble donc dynamique et plutôt heureuse, malgré tous ses problèmes, mais elle est condamnée à disparaître un jour avec le système solaire dont elle fait partie. L’humanité a encore un peu de temps devant elle, quelque trois ou quatre milliards d’années, pour tenter de trouver une solution, mais l’échéance est inéluctable. Est-ce que les êtres humains mourront en même temps que la Terre, ou auront-ils réussi d’ici là à se réfugier ailleurs et à recréer des conditions de vie harmonieuses et durables? Jean-François Clervoy analyse la question en philosophe, mais aussi et avant tout en scientifique. Ramenées à l’essentiel, les données du problème sont simples: l’univers a 13,8 milliards d’années, la Terre 4,5 milliards d’années, l’homo sapiens, ce jeunot, quelque 300 000 ans. Son avenir, quant à lui, aura une date limite.
«L’humanité disparaîtra de la Terre pour des raisons purement naturelles dans un lointain futur, explique Jean-François Clervoy, au plus tard entre quelques millions et centaines de millions d’années, même si nous nous comportons au mieux sur notre planète, car l’évolution naturelle de l’environnement terrestre comme celle du Soleil finiront par rendre notre monde totalement inhabitable (…). La cosmologie a permis de chiffrer avec une bonne précision qu’il restait encore quatre à cinq milliards d’années de carburant à notre Soleil, mais bien avant cela, notre étoile aura commencé à évoluer en géante rouge, rendant impossible sur la Terre toute forme de vie, qu’elle soit humaine, animale ou végétale. D’ici là, l’humanité devra apprendre à vivre ailleurs si elle veut perdurer».

De la Terre à la Lune, à Mars et aux exoplanètes

Les Américains vont remettre le pied sur la Lune d’ici 2030, talonnés désormais par les Chinois, qui avancent à une vitesse impressionnante. Pourquoi ce retour, plus de cinquante ans après les premiers pas de Neil Armstrong, le 21 juillet 1969? Pour préparer d’ici la fin du siècle un premier voyage, puis un premier atterrissage sur Mars, d’où il s’agira ensuite, pendant des siècles, voire des millénaires, de poursuivre la route vers les exoplanètes, c’est-à-dire les planètes en orbite autour d’une étoile autre que le Soleil. De petits pas pour l’homme, des pas de géant pour l’humanité…
Les êtres humains s’établiront d’abord sur des planètes facilement accessibles, comme Mars, où l’on peut aller en huit mois et demi. Des colonies de peuplement qui devront s’organiser, bâtir des maisons et des villes, construire une économie et une vie sociale, comme le firent jadis les colons du lointain continent américain. Quels liens de toute sorte entre la Terre et ces premières colonies post-terrestres? Les pionniers qui auront choisi de vivre sur Mars, et surtout leurs enfants, garderont-ils la nostalgie de la Terre? Comment l’humanité, surtout, amorcera-t-elle ensuite la grande épopée de son départ irréversible vers les exoplanètes?
«Il faudra maîtriser le voyage interplanétaire de masse», explique Jean-François Clervoy, puis le voyage beaucoup plus difficile vers des planètes tournant autour d’autres étoiles que le Soleil, quand notre système solaire tout entier sera devenu incompatible avec la vie. Ensuite, l’humanité pourra survivre tant qu’elle trouvera des mondes habitables, c’est-à-dire possédant de l’eau liquide, des températures clémentes, de l’oxygène à respirer. C’est de la science-fiction aujourd’hui, mais les lois de la physique n’interdisent pas de penser que, dans un lointain futur, tout cela sera possible».

Un voyage de 4000 ans

Possible mais terriblement difficile, prévient le scientifique implacable qu’est Jean-François Clervoy. D’abord parce que les exoplanètes les plus proches de nous, celle qui gravitent autour de l’étoile Proxima du Centaure, sont quand même épouvantablement loin de nous, et ensuite parce qu’elles seraient évidemment dépourvues de tout et qu’il faudrait tout inventer et tout installer une fois sur place. «Le voyage durerait à peu près 4000 ans, soit environ le temps qui nous sépare des pharaons qui ont bâti la Grande Pyramide (…). Il faudrait prévoir que de nombreuses générations voient le jour dans l’espace au cours du voyage, environ 160 dans notre exemple. Dans ce cas, l’immense majorité des passagers ne connaîtraient tout au long de leur vie que l’environnement de leur vaisseau spatial et bien sûr, ceux qui arriveraient à destination ne seraient plus les mêmes que ceux qui seraient partis, ils n’auraient jamais habité la Terre».
Dans ce vaisseau spatial qui devra être robuste et accueillir entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers de passagers, «il faudrait créer une société artificielle suffisamment bien pensée pour qu’elle survive au voyage, poursuit Jean-François Clervoy. Pour assurer son bien-être, le vaisseau devrait disposer de gravité artificielle, d’écoles, d’hôpitaux, de commerces, de zones de villégiature, d’équipements sportifs et socioculturels, etc.». De même que «l’Amérique est née dans la rue», comme disait le cinéaste Martin Scorsese, la nouvelle civilisation post-terrienne naîtrait dans ce long voyage dans l’espace et assurerait la survie de l’humanité.

«J’aimerais qu’on me congèle»


«A quelle échéance l’humanité sera-t-elle prête à un tel voyage?», se demande Jean-François Clervoy. «Je pense que c’est au mieux une question de plusieurs siècles, mais plus probablement de quelques millénaires (…). J’insiste sur le fait que tous les défis posés par le voyage vers d’autres étoiles ne seront pas indéfiniment insurmontables. Et ils sont passionnants. Ils nécessiteront beaucoup d’études, et toutes les disciplines seront sollicitées au plus haut niveau d’expertise, que ce soient les sciences physiques ou les sciences humaines comme la philosophie. Ce sujet est si captivant que, pour ma part, j’aimerais qu’on me congèle avant ma mort, puis qu’on me réveille le jour où le premier vaisseau interstellaire habité sera sur le point de partir!».

 

Robert Habel

 Jean-François Clervoy.