Zeynep Ersan Berdoz.

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lectures - Le regard de Zeynep Ersan Berdoz

La Turquie, un pont entre deux mondes

21 Déc 2022 | Culture, histoire, philosophie

Dans la remarquable collection belge «L’âme des peuples» vient de paraître un petit bijou: le volume consacré à la Turquie, sous-titré «Un pont entre deux mondes», œuvre de Zeynep Ersan Berdoz. Comme tous les volumes de cette série dirigée par le Suisse Richard Werly, ancien correspondant du «Temps» à Paris et à Bruxelles, ce petit grand livre est composé d’une évocation historique et augmenté d’interviews de spécialistes compétents de la Turquie. Présentation de cet ouvrage consacré à celle que l’on appelait jusqu’au XXe siècle la Sublime Porte.

Directrice stratégie et développements du quotidien «Le Temps» et présidente de la SA du Journal de l’Immobilier, Zeynep Ersan Berdoz, qui a gardé de son enfance en partie stambouliote le goût de la Turquie, indique les limites de cet exercice: «Raconter ce peuple, lui déclamer son amour, tient de la gageure, tant les préconçus sont coulés dans la mémoire collective occidentale tels dans un bronze. C’est en les dépassant, en s’efforçant de comprendre et de mieux connaître ce pays, indissociable de son peuple et de son histoire, que l’on pourra enfin saisir son identité, son âme, son rôle de passerelle sur le Bosphore. Car, volens nolens, la Turquie est un pivot entre l’Est et l’Ouest, exactement comme l’étaient l’Empire byzantin puis l’Empire ottoman. Telle est sa véritable vocation: être un pont entre les mondes».

Un pont entre les mondes

Nous empruntons ensuite ce pont à travers les siècles, dans un survol éclairant et synthétique duquel se détache notamment les grandes figures de Soliman le Magnifique et de Kemal Atatürk, le «père des Turcs», et se révèle la complexité des peuples formant les empires successifs et la place très importante des femmes dont Zeynep Ersan Berdoz n’hésite pas à affirmer «qu’on verra au travers de ces pages qu’à certaines époques, les femmes de l’Empire étaient l’égal des hommes avant d’être reléguées au second plan. Par la suite, les politiques nationalistes ont compris la nécessité de leur accorder une place prépondérante, qu’elles étaient la pièce maîtresse de la modernité du pays».
Les éléments historiques font naturellement une place au fameux Traité de Lausanne, qui octroie à la Turquie ses frontières d’aujourd’hui, bien qu’il ne règle pas l’épineuse question des minorités, notamment kurdes. Atatürk déclare alors que «la patrie turque est un tout, elle ne peut être divisée», tout en misant sur l’éducation d’un peuple alors largement analphabète et en promouvant l’émancipation et le statut de la femme. L’entretien avec la psychologue et sociologue, professeur à l’Université de Marmara, Aysegül Yaraman, éclaire particulièrement ce contexte très important. Le livre contient aussi un entretien très intéressant avec Jean-François Colosimo, éditeur et théologien, spécialiste de l’orthodoxie et de l’Orient chrétien, qui observe des constantes qu’il s’attache à décrypter dans une œuvre foisonnante. Au sujet du Président Erdogan, Colisimo déclare qu’il «est à bout de souffle. Ses sorties impériales néo-ottomanes, panturques ou islamistes à l’extérieur ne compensent pas son échec à l’intérieur».

Metin Arditi, fin analyste de la Turquie

Troisième intervenant dans ce livre synthétique et complet pour qui veut faire le point sur la Turquie contemporaine, Metin Arditi, exprimant comme toujours une pensée fine et intelligente, et qui a publié en 2022 un passionnant «Dictionnaire amoureux d’Istanbul», répond aux questions subtiles de Zeynep Ersan Berdoz, en concluant que «la Turquie d’aujourd’hui, c’est largement celle d’hier, et même celle d’avant-hier. On ne change pas un peuple millénaire. Il garde son ADN. Le peuple turc est un grand peuple, courageux, efficace, très dur à la tâche, puissant sur le plan industriel autant que militaire, et très, je le répète, très attaché à sa dignité. Le traiter avec méfiance et condescendance, comme l’ont fait, au fil des ans, plusieurs pays européens, n’est pas de nature à construire une confiance, sentiment qui, par nature, ne peut être que réciproque». Celles et ceux qui veulent construire une confiance liront donc avec profit l’excellent livre de Zeynep Ersan Berdoz.

 

Laurent Passer

Turquie, un pont entre deux mondes,
Zeynep Ersan Berdoz, Editions Nevicata,
collection «L’âme des peuples», 94 pages.