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hors champ

La sexologie comprend-elle la sexualité?

8 Mar 2023 | Culture, histoire, philosophie

Il y a un demi-siècle, la plus célèbre strip-steaseuse d’alors – Rita Cadillac – avait postulé pour la nouvelle chaire de sexologie à Paris: recalée car «vous n’avez pas de titre universitaire». De nos jours, on ajouterait un «s» à «titre»: combien de facultés peuvent-elles se disputer l’étude de la sexualité? En médecine physique ou psychique, le sexe occupe la recherche et la clinique depuis belle lurette. En littérature et en philosophie, il est encore plus présent par son pseudo: l’amour. Les études genre espèrent bien jouer le troisième larron, mais ces temps, Eros a surtout donné du fil à retordre aux bibliothèques. Et si sa vraie place était à l’académie militaire… ou à l’école des barbiers?

«Le sexe, c’est chiant!»: il ne l’a pas dit mot pour mot, mais l’orateur venu parler en fin de colloque a ouvert une Boîte de Pandore. En «faisant l’amour» dans toutes les positions possibles, un certain Alexandre Lacroix a – sous le titre «Comment faire l’amour / le sexe aujourd’hui» – décrit les délices et les écueils de l’accouplement. Toutes les positions… mentales, s’entend, car si le ton enjoué était celui d’un enfant gâté, l’orateur est un philosophe qui n’est jamais tombé dans la frivolité. D’ailleurs, le sexe est par nature… épineux; on s’en rend compte trop tard, comme le corbeau de la fable. Tandis que la gourmandise ne laisse que de bons souvenirs aux enfants; et pour un senior, l’ultime plaisir des sens, c’est une bonne miction. On va voir plus avant ces sens et contresens qui nous ballotent de l’aube au soir de la vie…

«Faire du cinéma» ou la vérité
des couples

Mais faute d’unité d’action, voici celle du lieu et du temps: une journée d’étude début février à Battelle, siège du «Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités» (unige.ch/cmcss). Qui est ou était Maurice Chalumeau… scientifique, garagiste et mécène… un article du «Temps» l’expliquait il y a deux ou trois ans. Ledit Centre – à cheval entre les facultés – vient de recevoir (d’un anarchiste!) une tonne de livres sur le sujet. D’où la défense sinon illustration de M. Lacroix, en clôture d’une exposition et d’un colloque sur… les bibliothèques: comment prennent-elles en main ce qu’elles ont surnommé – le temps d’une exposition – «des livres indisciplinés»? En l’attente de la vidéo en ligne, et pour faire simple voire simplet: «Nana» de Zola, est-ce un roman «érotique» ou «social»? Et faut-il se laisser berner par l’innocente étiquette «mœurs» derrière laquelle le XIXe siècle cachait souvent la littérature coquine, surtout en Allemagne? Peu importe, car de nos jours, le numérique offre des mots clefs comme on veut… et de toute façon depuis un siècle, pour être voyeur du sexe, on va au cinéma, X ou pas.

L’amour oiseau rebelle… ne connaît de loi que Me Too

Mais parmi les livres qui sautèrent aux yeux et aux oreilles des auditeurs du 9 février, le fameux «Rapport Hite». Cette enquête menée par Shere Hite en 1976 constatait que la majorité des femmes trouvaient plus de plaisir en solitaire qu’en tandem. Pourtant, que ne ferait pas une femme ou un homme pour unir son sexe à celui de l’être aimé? La poésie, le cinéma, le porno… hors ou en ligne… font du sexe l’obsession des humains. On ne peut plus écouter de musique sur Youtube sans tomber sur des pianistes qui minaudent en petite tenue; et les féministes de choc tancent l’Instruction publique, le sein aussi haut que le verbe. On est là au cœur d’un mystère, car vu par un ethnologue ou un sociologue, la «baise» est l’activité humaine la plus terre-à-terre après… la défécation. D’ailleurs, selon les cultures, elle assume sa nature prosaïque: les Japonais – derrière leur masque guerrier – «sont des jouisseurs pour qui la sexualité est de l’ordre de la gastronomie», peut-on lire. Et les puritains anglais qui – au XIXe siècle – ont voulu remettre de l’ordre sexuel dans leurs Iles du Pacifique se virent dire – en chœur par le Maori plus volage que sauvage et par l’Anglaise mineure séduite – que «c’était consenti».

De quel côté est l’indécence?

Mais – est-ce là la clef du mystère? – ce n’est pas toujours consenti, et surtout pas quand on en rêve le plus… Musset – qu’on joue ces jours à Carouge – ne dirait pas autre chose. Ce qui resserre encore le nœud de cette passion morbide: si adulé soit le sexe… si grande l’extase de l’érotisme… pour le commun des mortels, l’amour est surtout le royaume de la souffrance et de l’humiliation. Quand des vedettes réclament leurs «droits», ont-elles une pensée pour plus mal loti(e)s qu’elles… pour les moches à qui elles ne prêteraient pas leur homme avant la Sainte-Catherine, pour les impuissants de Kieslowski pour qui le viagra fut une révolution silencieuse, pour les timides des deux sexes que chante Françoise Hardy: «Elle n’ont d’yeux que pour vous mais nous, on n’existe pas», me disaient jadis des hommes entre deux âges dans une taverne d’Orient; tandis qu’à un repas senior récent, une délurée disait que «pour qu’on vous garde plus d’une nuit, faut être un bon coup» (voir aussi corps-solidaires.ch).

Les salons sont-ils tous de
massage?

Bien sûr, le cas type de la victime des sens, c’est la jeune femme «séduite et abandonnée», dont un cas extrême défraya la chronique dans l’Italie d’Après-Guerre: ayant cédé à son fiancé après une longue résistance, la fiancée s’entendit dire «Sale p…! je n’épouserai pas une fille facile». Et un auteur français du XIXe ironisait sur ces séducteurs en quête d’un prétexte pour mettre à la porte leur victime d’un mois. En fin de compte, on peut se demander si l’attrait du sexe n’est pas son rôle d’alibi: s’y cachent toutes les injustices du «tout pour un(e)… et à l’autre, les cent coups de bâtons de la chanson»; s’y cachent tout autant les mensonges sans fin, mais sans lesquels l’amour est bien prosaïque. Dont un des plus cocasses se cachait derrière ce slogan «Spécial Telecom» vu sur la porte du Moulin Rouge en son temps: combien d’histoire de cul se vivent sous couvert de salons et congrès… l’enquête n’a jamais été faite.

 

Boris Engelson