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société - Une étude de l’Association Pro Persona

La liberté c’est bien… mais pour quoi faire?

22 Fév 2023 | Culture, histoire, philosophie

«Je suis libre, je fais ce que je veux». On considère souvent que la liberté signifie une absence totale de contrainte ou d’entrave, une indépendance complète vis-à-vis de tierces personnes ou de situations. Une sorte d’indétermination rendant en théorie tout possible. Mais si je suis libre, n’est-ce pas d’abord pour faire quelque chose? Et n’est-ce pas en fonction de ce que je fais que j’évalue cette liberté? Au fond, la liberté, à quoi ça sert? Toujours la question du sens… C’est pour tenter de répondre à cette difficile question que l’association Pro Persona a récemment publié une passionnante étude. Extraits.

La liberté, définie comme absence d’entrave ou comme le fait de n’être soumis à aucune contrainte, semble ouvrir un champ des possibles sans limite. Elle tiendrait à un état de totale indétermination, à une situation vierge de tout conditionnement. Une telle conception se heurte immédiatement à deux objections.
D’abord, une liberté illimitée est impossible. Le simple fait d’être un être humain implique de nombreuses limites à l’action. Il convient donc de replacer cette notion de liberté absolue dans le cadre de ce qu’est la nature humaine.
La seconde objection rappelle que l’exercice de la liberté implique un certain contenu. Posée comme une fin en soi la liberté comme absence d’entrave est vide d’objet et donc de sens, en dehors de celui qui consiste à tenter d’élargir indéfiniment le champ des possibles. Or, une telle extension ne peut être un but en soi. Sans examen du contenu des choix effectués, de ce qui constitue un but en soi, peut-on comprendre le sens véritable de la liberté?

C’est quoi, la liberté du drogué?

Ainsi, la liberté n’a pas véritablement de sens si elle ne se réfère qu’à elle-même. Elle ne trouve pleinement son sens que dans le choix de l’objet sur lequel elle se porte. On peut soutenir un certain temps que se droguer puisse être l’affirmation d’une liberté absolue. Mais l’expérience de l’addiction transforme tôt ou tard ce choix, à première vue libre, en son contraire, à savoir un terrible esclavage. Le sens ultime de la liberté dans sa réalisation concrète dépend donc de la nature bonne ou mauvaise de l’objet sur lequel porte le choix. Pour faire son choix, la personne doit exercer son jugement pour discerner ce qui lui apparaît vrai ou faux, bien ou mal, souhaitable ou pas, notamment à travers son intelligence. C’est sur la base de ce jugement que la volonté est conduite à agir.
Il ne suffit donc pas d’avoir le choix pour être libre: un choix n’est pleinement libre qu’à condition que son objet soit reconnu par la personne comme un vrai bien. Mais qu’est-ce qu’un vrai bien? C’est celui qui contribue à la plénitude du développement dont l’homme est capable. La liberté ne réside donc pas seulement dans le fait de pouvoir avoir le choix entre de multiples options, mais dans celui de permettre à la volonté de se porter sur un choix qui soit un «bon» choix. Une personne mariée qui convoite sa voisine peut comprendre que la mise en œuvre de ce désir compromettrait le bien de son mariage et, par là, la promesse d’un développement authentique.

La liberté comme vecteur d’épanouissement de la personne

Il reste que la liberté s’exerce dans le choix et si un bon choix est possible, c’est parce que la volonté est ordonnée à ce qui est son bien: elle est faite pour rechercher le bien. Mais l’homme est libre. Il n’est aucunement ordonné à tel ou tel bien déterminé, contrairement à l’animal dont l’action obéit à l’instinct. La volonté humaine n’est pas directement attachée à tel ou tel bien particulier: l’homme désire le bien dans toute son amplitude. Cette absence de spécification de la volonté dans son aspiration au bien fonde la capacité humaine à faire des choix librement. N’étant par instinct nullement attaché à aucun bien en particulier, la personne doit discerner le bien à faire dans telle situation concrète et choisir, parmi les multiples options qui s’offrent à elle, celle qui sera la plus favorable à son développement. Mis devant une abondance de nourriture, les animaux domestiques tendent bien souvent à trop manger; l’homme peut faire de même, mais, par l’exercice de sa liberté, il peut aussi se réguler en fonction de ce qu’il estime être la juste mesure.
Avec la question de la liberté, c’est celle de l’épanouissement de la personne qui se joue. L’enjeu est celui d’un chemin d’accomplissement: permettre à chacun de choisir un bien qui soit son bien véritable. Or, dans cette quête du bonheur, la trajectoire de la personne peut être entravée de deux manières. Soit parce qu’elle n’identifie pas correctement ce qui constitue son bien, ce qui lui fait choisir un bien inadéquat. Soit parce qu’ayant correctement identifié le bien authentique, quelque chose l’empêche de le choisir et de le réaliser.

Deux obstacles à la liberté: le défaut de jugement et la défaillance de la volonté

Le premier obstacle à la liberté résulte d’un défaut de discernement. Une telle défaillance peut avoir de très nombreuses causes, soit immédiates, soit bien plus lointaines. Le résultat est toujours de prendre pour son bien quelque chose qui ne l’est pas, conséquence d’une lacune dans le jugement, laquelle peut relever de la responsabilité de la personne ou non. Cela peut avoir pour origine un défaut dans la formation de la conscience, la précipitation, le manque de temps, ou bien une analyse insuffisante. Par ailleurs, certaines croyances peuvent aussi entraver la voie vers une véritable liberté: celui qui adhère à une idéologie malfaisante s’engage dans une voie qui peut compromettre gravement son développement humain.
Le second obstacle tient aux défaillances de la volonté humaine elle-même. Cette fois-ci, ce n’est pas le jugement qui est en cause. Le problème peut alors se situer à deux niveaux.
Un premier résulte de la vulnérabilité humaine. L’exercice de la liberté suppose certes des émotions et des sentiments, en eux-mêmes bénéfiques. Pourtant chacun fait aussi l’expérience d’être sujet à des passions ou émotions mal orientées qui attachent à des biens, matériels ou spirituels, de manière désordonnée, tout en ayant conscience que cet attachement ne sert pas la croissance dans le bien. On peut être tout à fait convaincu que l’amour conjugal implique la fidélité, tout en étant emporté par une passion violente menant à l’adultère. De la même façon, les personnes victimes d’addictions diverses sont souvent conscientes du caractère nocif de celles-ci, sans parvenir à les dominer.
Mais la vulnérabilité n’est pas seule en cause. Le choix d’une solution en soi mauvaise peut résulter d’un attachement excessif à sa propre autonomie, ou d’une attitude d’orgueil qui débouche sur le rejet conscient de ce qu’on sait être pourtant un bien pour soi.

Libérer la liberté: le rôle fondamental du discernement et de l’éducation

Ainsi, la volonté, si elle est en soi ordonnée au bien, a besoin d’être renforcée pour être capable de réaliser effectivement son véritable bien. Cela suppose notamment d’agir sur les deux obstacles précédents.
En premier lieu, la formation de la conscience fait progresser dans l’axe du discernement et du jugement, en supposant une éducation tant de la sensibilité que de la réflexion. On peut se sentir libre dans une vie confortable et sans souci, dans l’ignorance de fait de ce que d’autres endurent; ce faisant, on en reste à une sensibilité atrophiée et on se prive d’une dimension essentielle de l’âme humaine qui a besoin de relation et de fraternité.
En second lieu, s’agissant de la volonté, c’est le rôle de l’éducation à la vertu que d’ajuster progressivement l’agir de la personne au bien auquel elle aspire. L’exercice de la vertu est ce chemin d’ajustement de l’homme à son bien, chemin de libération au service du plein déploiement du potentiel humain. Celui qui, par exemple, manquerait habituellement de courage pourrait, en cultivant la vertu de force par des efforts réguliers et une pédagogie adéquate, parvenir à une plus grande liberté et par là à mieux affronter les épreuves de la vie.
La liberté n’est pas cette absence de limite à laquelle certains la réduisent. Libérer la liberté est l’œuvre d’une vie: elle reste toujours à conquérir dans la vie morale, à travers l’éducation du discernement et l’exercice des vertus, dans le concret des situations vécues en communauté.

 

Michel Levron – Paris

GROS PLAN

Pro Persona


L’Association Pro Persona développe une mission d’intérêt général à caractère scientifique en contribuant à une recherche fondamentale et appliquée en faveur d’une finance au service de l’économie et une économie au service de la personne humaine. Elle s’adresse à un public large: acteurs de la vie économique et financière, enseignants, étudiants…

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