Christine Vouilloz.

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culture & nature - «Fréhel c’est moi» au Théâtre de Carouge

La chanteuse, la romancière et la vie

7 Fév 2024 | Culture, histoire, philosophie

Qui connaît Marguerite Boulc’h dite Fréhel (1891-1951) et son incroyable histoire? Du 27 février au 24 mars, le Théâtre de Carouge revient sur le destin chaotique de cette chanteuse populaire française de la Belle Epoque et de l’entre-deux-guerres, ballotée entre succès et perdition. Mais à Carouge, le public découvrira bien autre chose qu’une biographie de Fréhel, présentée chronologiquement et parsemée de chansons. Le spectacle, magnifiquement interprété par Christine Vouilloz et sous la direction de Gian Manuel Rau, est conçu comme un dialogue avec la femme écrivain contemporaine Violaine Schwartz, dont le second roman est consacré à Fréhel.

Paru en 2013, «Le vent dans la bouche» (Violaine Schwartz) est l’histoire d’une femme, Madame Pervenche, la narratrice, qui voue une adoration sans limite à la grande chanteuse Fréhel, interprète de la «Java bleue». Fréhel était une vedette, mais qui s’en souvient? Tout le monde aujourd’hui semble avoir oublié Fréhel, morte à 59 ans, épuisée d’excès et de peine, dans la chambre de l’hôtel de passe qu’elle habitait rue Pigalle à Paris.
Heureusement, Madame Pervenche est là. Elle écrit depuis longtemps un livre sur Fréhel. Elle est envahie par les chansons de l’artiste qui s’emmêlent à ses pensées. Elle mélange sa vie à la sienne: même chagrin d’amour, mêmes habits, même coiffure, même alcool, même solitude, bref, des sœurs de sang. A la tête de l’association «Pour Fréhel», Madame Pervenche milite pour le rapatriement des cendres de l’artiste du cimetière de Pantin à celui de Montmartre. Une affaire de principe, de justice et de mémoire. Mais qui est vraiment Madame Pervenche? Et quel est son prénom? Marguerite ou Pierre? Un homme, Pierre, se prend pour une femme, Marguerite, qui se prend pour Fréhel, qui est née Marguerite Boulc’h, puis a choisi comme premier nom de scène Pervenche… étrange jeu de rôles.

Gian Manuel Rau.

Réveiller le fantôme canaille
de Fréhel

C’est Christine Vouilloz, comédienne d’origine valaisanne, qui a lancé le projet de spectacle en sollicitant le metteur en scène Gian Manuel Rau; elle lui parle de la romancière Violaine Schwartz – par ailleurs comédienne et chanteuse -, et de son ouvrage sur Fréhel «Le vent dans la bouche». Cette collaboration donne lieu à une création dans laquelle jeu théâtral et musique se combinent à merveille: au début, il s’agira plutôt de la musique «rêvée» par Madame Pervenche et la hantise de la voix de Fréhel, qui lui parvient par toutes les fissures de son «terrier». Son insomnie, ses délires et le désespoir qui va avec ne cesseront de croître au cours de cette longue nuit. Celle qui a inspiré et influencé de nombreux artistes et musiciens comme Charles Trenet, Serge Gainsbourg, Jacques Higelin, Mano Solo ou encore Renaud, revient ainsi dans la lumière comme le souhaite Madame Pervenche.
Dans «Fréhel c’est moi», on retrouve trois femmes, Christine Vouilloz, Violaine Schwartz et Fréhel, qui racontent leur histoire, d’un point de vue unique: le leur! Alors, n’hésitez pas à vous rendre au Théâtre de Carouge, un lieu magique, où «l’on parle d’imaginaire, de nécessité. On y joue comme des enfants, avec gravité sans se prendre au sérieux; les cœurs y palpitent avec un peu plus de densité qu’ailleurs, les émotions se trouvent libérées par la passion et on y tutoie les rêves les plus fous» (Jean Liermier, directeur du théâtre).

 

Véronique Stein

«Fréhel c’est moi», d’après «Le Vent dans la bouche», roman de Violaine Schwartz
Avec Christine Vouilloz. Mise en scène Gian Manuel Rau

 

Du 27 février au 24 mars 2024 au Théâtre de Carouge

 

Informations:
www.theatredecarouge.ch/spectacle/frehel-cest-moi

GROS PLAN

Qui était Fréhel?

 

Une gamine chantant dans les rues à l’âge de neuf ans. Une petite chanteuse de rue accompagnée d’un orgue de barbarie qu’on appelait la môme Pervenche à ses débuts. Une jeune femme aux joues rondes dont le répertoire fait la part belle à la chanson réaliste et qui dépeint de manière sombre la vie quotidienne dans les quartiers populaires de Paris.
Son caractère rebelle effrayait les hommes: ils la quittaient au plus vite (son premier mari l’abandonne pour la chanteuse Damia, Maurice Chevalier lui préfère sa carrière et Mistinguett). Amoureuse dévastée, rongée par la drogue et l’alcool, elle s’enfuit à tout juste vingt ans sur les routes pour se produire à Saint-Pétersbourg, Vienne, Bucarest et finir prostituée dans un bordel de Constantinople. Là, elle est prise en charge par l’ambassade de France avant d’être rapatriée à Paris. Dans l’entre-deux-guerres, Fréhel renaît de ses cendres. En 1923, elle retrouve la scène parisienne à l’Olympia. Alors que ses excès l’ont métamorphosée, elle reçoit un triomphe de la part du public, ravi de la retrouver.