L’impact le plus visible n’est pas toujours le meilleur.

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hors champ

La banane a de l’impact

23 Août 2023 | Culture, histoire, philosophie

«Impact»… c’est un des derniers mots magiques du lexique «engagé»: le cinéaste n’a droit de cité que si son cinéma vise l’«impact»; et c’est à la même condition – délier bourse pour «l’impact» – que le banquier peut sauver son âme. Mais qu’est-ce qui distingue des menées à «impact» de celles d’un groupe de «pression»?

Pourquoi traiter un tel sujet à la fin du mois d’août, quand il est plus de saison début octobre lors du forum des «fonds à impact» (buildingbridges.org) ou en mars en marge d’un festival de «films à impact» (fifdh.org)? Posée en saison aux apôtres de l’impact, la question est jugée «inadmissible» (sic, en conférence de presse). Alors autant la jeter à la mer emballée dans une peau de banane: en août, les «intellectuels bourgeois encanaillés» (comme l’historien de gauche mais pas dupe Edward P. Thompson nomme ce genre d’apôtres) sont encore à la plage… tandis que s’ouvre en Afrique la saison des bananes.

Pour avoir du blé, «sésame»
est démodé

Un spot de la Coop sur des bananes en «action» a-t-il de l’impact? Sans doute, et les publicitaires ont été des pionniers des «études d’impact». D’ailleurs, avant de devenir un mot clef du «plaidoyer» des bonnes causes, l’«impact» rimait avec des objets plus triviaux. Un club de foot a choisi ce nom, et «Impact» fut même le titre d’un mensuel romand très à droite paru dans les années septante. Mais de nos jours, c’est bien un halo de civisme que cherche une cantine associative dont la «mission» est de «créer un impact positif avec dignité» (refettoriogeneva.org); un stand au Salon des inventions disait «Créer de l’impact par l’innovation (…)»; et si un institut de physique recourt à cet acronyme pour son «Isotope and Muon Production using Advanced Cyclotron and Target technologies), il pense sans doute en être d’autant plus «équitable» et «solidaire» voire «révolutionnaire» (termes qui donnent de l’éclat même aux sciences dures, tandis que «progressiste» ou «socialiste» y est démonétisé).

L’Equateur abuse-t-il de sa banane?

Reste la question de départ: comment se fait-il qu’un spot – court ou long – d’une chaîne commerciale, d’une marque de téléphone ou d’un comité patronal soit appelé «pub» ou «lobbying» par la «société civile», alors qu’un maillot ou un film à la gloire du Che Guevara ou de Rafael Correa – encore bien plus trompeur – aura droit au noble label de l’«impact» (une campagne des banques Raiffeisen «populaires» sera au bénéfice du doute)? Ces questions se posaient déjà du temps des «Rencontres Média Nord-Sud» de Jean-Philippe Rapp, journaliste de télévision et professeur ès développement: un documentaire sur la formation des apprentis chez Renault au Cameroun n’eût jamais pu y être montré (à la rigueur, s’il n’était pas de Renault mais d’agences onusienne de l’«éducation» ou du «développement»). Depuis, les apôtres de l’impact ont mis les points sur les «i»: désormais, la définition d’«impact» – pour les films, du moins – est «ciblé pour militants» en campagne. Et à la longue vient un soupçon: ne retrouve-t-on pas là le vieux conflit entre le curé et le pasteur? Atteindre le salut sans l’onction de Rome – ici, manger à sa faim sans l’aide de Terre des Hommes, de Building Bridges ou des Impact Days – est un péché.

Bon pour le ventre, mal pour
le peuple?

Bref, le «consumérisme» est en concurrence avec le commerce des indulgences: en ce sens, acheter un produit à prix cassé est une démarche protestante, faire grand-messe pour la lutte des classes est une démarche cléricale. Nul doute, le «militant» engagé dans un «plaidoyer» fait partie d’un clergé qui tient à son rôle et pas au cachet: si les prix cassés aident le simple citoyen, il coupe l’herbe sous les pieds des saints en quête de gloire. Dans les années trente, on pouvait encore être – de ce point de vue – «uniate»: à Genève, nombre d’ouvriers avaient le double portrait de Léon Nicole et Gottlieb Duttweiler au-dessus de leur lit. Mais les «penseurs» ont des principes plus stricts: Nikita Krouchtchev – venu à Budapest vanter le «communisme du goulache» – a été dénoncé par Mao Tsé-tung comme un abject «révisionniste», bref, un «réformé».

Le boomerang ne suit pas la ligne

On dira qu’on peut vivre sans bananes mais pas sans médecine, ni justice, ni asile, ni argent. Pas sûr, à en croire la chanson désormais honnie «Quand moi faim (…), moi manger banane»; ou l’anecdote des Pays de l’Est sur les bananes qu’on n’avait jamais vues avant la chute du Mur et qu’au premier essai du monde libre, on croquait donc avec la peau. Sans doute la plus comique des anecdotes sur «l’impact» est celle des lingots en chocolat qu’on vendait sur les vols de Swissair: pendant l’affaire des fonds «déshérents», les bonnes âmes ont lancé une campagne pour bannir ce symbole doré… avec «impact». Mais c’est un très brave Juif qui fut lésé par ledit impact: le patron de Goldkenn, qui faisait ces produits (on ne trouve plus trace de cette histoire sous goldkenn.com, qui a changé de mains).

 

Boris Engelson