Dans son livre, «Lesbos, la honte de l’Europe», Jean Ziegler dénonçait les conditions effroyables imposées à des milliers de réfugiés.

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SOCIéTé - Infatigable

Jean Ziegler veut sauver le droit d’asile

7 Déc 2022 | Culture, histoire, philosophie

Il avait publié il y a deux ans un livre-choc, «Lesbos, la honte de l’Europe» (Editions du Seuil, 2020), qui décrivait les conditions atroces des réfugiés parqués dans cette île grecque et dénonçait la «liquidation du droit d’asile» par l’Union européenne… et par la Suisse. Toujours aussi indigné et combatif, Jean Ziegler donnera une conférence publique sur ce thème à Uni Mail, à Genève, le jeudi 8 décembre, à 18h30 (salle MR380).

Le titre de sa conférence est sans ambiguïté: «Le crime de l’Europe: sa guerre contre les migrants forcés – Où est l’espoir?». Pour le bouillonnant sociologue genevois, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation et aujourd’hui vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, l’Union européenne est en train de détruire systématiquement le droit d’asile, l’un des droits fondamentaux reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Bouleversé après sa visite pour l’ONU du camp de réfugiés de Moria, sur l’île de Lesbos, le plus grand en Europe (jusqu’à 20 000 personnes), Jean Ziegler avait publié il y a deux ans son livre, réédité et actualisé aujourd’hui, où il dénonçait les conditions effroyables imposées à des milliers de réfugiés, hommes, femmes et enfants venus d’un peu partout, de tous ces pays de guerre ou de misère que sont la Syrie, l’Afghanistan, la Palestine, le Pakistan, l’Iran et tant d’autres. Jamais résigné, à 88 ans, il poursuit son combat avec une énergie inépuisable et surtout une lucidité qui rappelle qu’il n’est pas seulement professeur de sociologie, mais également docteur en droit et avocat.

«Le droit d’asile est universel»

Sa défense des réfugiés, Jean Ziegler ne la fonde pas seulement sur l’humanité et l’émotion, mais aussi et avant tout sur le droit, comme il va l’expliquer lors de sa conférence à Uni Mail. «Le droit d’asile est un droit fondamental et universel, nous dit-il, c’est une conquête de la civilisation. Quiconque est menacé et bombardé, quiconque est en danger dans son pays peut déposer une demande d’asile dans un autre pays. Ce droit est en train d’être liquidé par l’Union européenne, avec la complicité de la Suisse».
L’instrument de cette liquidation, selon Jean Ziegler, c’est Frontex, l’agence européenne des garde-frontière et des garde-côtes fondée en 2004, avec siège à Varsovie, et dont la Suisse est membre depuis 2009. Chargée d’assurer les frontières de l’Union européenne, Frontex est devenue le bras armé de la forteresse Europe, repoussant les réfugiés qui tentent d’entrer sur son sol. Le sociologue genevois a recueilli des témoignages terribles à Lesbos; il a aussi enquêté de manière plus large. Ce qu’il a mis à jour? Des réfugiés, sur leurs rafiots pourris, sont impitoyablement pourchassés et refoulés en mer, à coups de barres de fer si nécessaire, au large de la Grèce ou de la Turquie, par les agents de Frontex. D’autres réfugiés aussi, qui avaient tenté leur chance par voie terrestre, sont arrêtés et refoulés aux frontières de la Hongrie, de la Croatie, de la Grèce. «Le seul et unique objectif de Frontex, explique Jean Ziegler, c’est d’empêcher les réfugiés de déposer une demande d’asile en mettant le pied en Europe. La conseillère fédérale Karin Keller-Sutter est totalement sur la ligne de terreur et de refoulement de l’Union européenne».

Une stratégie politique

L’Europe serait-elle sur le point d’être submergée par une nouvelle vague de réfugiés comme en 2015 (un million)? La Suisse peut-elle penser, elle aussi, que la barque est pleine? A-t-elle eu raison d’augmenter sa contribution à Frontex de 14 à 62 millions de francs depuis cette année (le peuple a voté massivement (72%) à ce propos le 15 mai dernier)? Jean Ziegler cite les chiffres officiels. Hors les réfugiés d’Ukraine, qui ne devraient pas demander l’asile permanent, il y a aujourd’hui 44 000 réfugiés dont la procédure est examinée. «C’est peu, dans un pays de huit millions d’habitants», constate-t-il.
Alors pourquoi cette politique de l’Union européenne et de la Suisse? «L’extrême droite utilise aujourd’hui les réfugiés comme des boucs émissaires, affirme le sociologue genevois. Pour freiner l’extrême droite, l’Union européenne veut absolument diminuer le nombre de réfugiés en utilisant même les moyens les plus cruels. C’est une erreur totale, c’est comme la politique qui avait conduit aux accords de Munich avant la Deuxième Guerre mondiale». On ne change pas Jean Ziegler.

 

Robert Habel

Jean Ziegler.