Un jeune charisme qui a pris un coup de vieux (bronze de Roméo et Juliette du XIXe siècle).

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hors champ

J’ai cru rêver

7 Déc 2022 | Culture, histoire, philosophie

Depuis un demi-siècle, «I had a dream (…)» est une phrase culte: dans un discours, Martin Luther King «rêva» de nouveaux temps messianiques… où Blanc(he)s et Noir(e)s seraient camarades comme le loup et l’agneau de la Bible. Sans voler aussi haut que les figures symboliques des «droits civiques», le soussigné a cru rêver l’autre jour dans une salle du Palais des Nations où le ton était plus celui des arts de la scène que celui des cours de morale. Il avait souvent prié pour qu’une goutte de parler-vrai soit tolérée par la langue de bois et croyait ses vœux exaucés. Mais pas de miracle là-dessous: votre serviteur s’était juste trompé de lieu et écoutait un cours interne qui n’a même pas laissé de trace en ligne. Mais qu’importe le flacon… on était au cœur de questions qui se posent chaque jour… au bureau ou dans la rue.

«Leading without formal authority: the importance of soft power»: un tel intitulé semblait en phase avec le forum «Business and human rights», qui se tenait ces jours-là au Palais des Nations. En effet, si les gouvernements démocratiques peuvent se prévaloir d’une autorité légitime pour fixer les règles de l’industrie… si les entreprises dans une économie libérale sont soumises au légitime choix du client (qui vote avec ses pieds et sa paie)… les groupes de pression de la «société civile» qui aboient autour de la caravane n’ont d’«autorité» que celle de la rhétorique. On pouvait donc croire que la séance sur le «soft power» – tenue dans une petite salle pendant la pause de midi – émanait de ce milieu. Seul trait hors normes chez des «plaideurs» qui aiment montrer la force du groupe sinon des masses, on ne voyait qu’un orateur au podium: un professeur de l’Université de Lausanne (venu d’Afrique du Sud; voir unil.ch/hecimpact/), connu comme maître du «charisme» par ses livres à succès: John Antonakis, qui – deux heures durant – a tenu en haleine des cadres des Nations Unies en quête d’un supplément d’âme et de verbe pour faire passer leurs messages aux quatre coins du Monde.

Joueur de flûte ou renard
à corbeau?

Oh! Les thèses de cette sommité mondiale – qui dirige «The Leadership Quarterly» – sont discutables, mais tant mieux; car malgré le culte rendu aux experts, l’homme n’est pas aveuglé par sa gloire et aime bel et bien discuter… quitte à mettre un bémol à ses propres théories. «Si je dois prendre l’avion, je préfère – au cockpit – un pilote terne mais aguerri à un beau parleur qui n’a jamais volé». Un sceptique dans la salle craignait en effet que le patient travail des bonnes solutions techniques soit mis à mal par des gens sans grand savoir, mais à la langue bien pendue. C’est l’éternel conflit entre la substance et l’apparence… les «hard skills» et les «soft skills»… et à l’heure qu’il est, on ne sait toujours pas si ce qui a coulé Swissair, c’est d’avoir eu trop longtemps des pilotes à la haute direction, ou au contraire d’y avoir mis par la suite des marchands d’illusion. Si le charisme du patron est – en grande partie et par exemple – ce qui a fait le succès d’Apple, c’est aussi ce qui assure – sans même parler des illusions et déceptions de la «drague» – le succès des sectes les moins consommables, et qui fait vivre le «show business», où les «fans» sont même prêt(e)s à payer le charmeur ou la charmeuse de public.

Bon pour la Mairie ou l’Elysée?

Le professeur Antonakis, lui, est – il l’a dit – très sensible au charme de Max Weber… plus, semble-t-il, qu’à celui d’un Marshall McLuhan. Il croit que le message d’un Socrate n’eût rien perdu de vérité en s’enrobant d’un peu de charisme qui eût pu sauver le philosophe. Ce serait un bon sujet de bac philo, mais quand la Première ministre de la Jamaïque – de passage à Genève il y a un ou deux ans – a été portée en triomphe par la salle, ce fut pour avoir dit ce que sa «base» voulait entendre: à la question «auriez-vous tout de même à dire une chose que la salle n’aimerait pas entendre?», elle répondit juste par une pirouette. Ce qui permet de terminer – sinon conclure – par un paradoxe: des sondages montrent que les politiciens qui promettent ne sont pas toujours les gagnants… et que la démocratie – malgré la formule d’un homme du XIXe siècle – n’est pas que «le règne des avocats». Sans même parler des têtes de mule à la Caton qui ne veulent pas entendre raison, ni des prophètes de malheur comme le Winston Churchill du «sang et des larmes», la prise de position de François Mitterrand contre la peine de mort – encore populaire en France à l’époque – a mis un «plus» à son image d’homme de «valeurs». Illusion en guise de mise en garde? Le charisme du chef est aussi ce qui mène les foules au pogrom… on en voit encore des cas de nos jours.

Le poids des mots sans
photos choc

Un contre-exemple – la conviction sans le charisme – a été vu en action le lendemain dans le même Palais des Nations à propos du «Global Humanitarian Overview» sur les crises de la faim, de la santé, du froid… L’homme clef de «l’humanitaire» – Martin Griffiths – a parlé pendant une heure d’une voix neutre… avec foule de chiffres… et pourtant, chaque mot avait du poids… chaque chiffre était crédible… et tout pouvait être pris pour argent comptant… c’est le cas de le dire (humanitarianaction.info et gho.unocha.org). Et au même moment un étage plus bas, d’autres petites réunions avaient encore – avec ou sans charisme – un accent de vérité… allez savoir comment. Par exemple les experts en armes biologiques (unidir.org; voir aussi xrisk.ch et crisisgroup.org), qui prêchent souvent dans le désert et en sont fiers car ça évite d’être «pousse-au-crime»… Hors normes aussi au sens propre, les militants des «minorités» dont on sait moins qui elles sont que qui elles ne sont pas ou ne sont plus (pour leur quinzième Forum, lesdites minorités – où un Martin Luther King n’aurait plus sa place – se sont enfin interrogées sur leur «représentativité»). On y a tout de même appris qu’il restait des Juifs au Yémen malgré leur exode «truqué» en son temps… et qu’Amir Abbas Hoveida était moins Bahaï que le fut un temps son père. Alors pour une fois – au vu de tant de grandes et petites vérités – on ne va pas ici ironiser sur le «machin» de la Place des Nations.

 

Boris Engelson