Marius Chambaz – «Paysage nuageux», 1945.

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culture - Peinture romande

Hommage à Marius Chambaz

18 Jan 2023 | Culture, histoire, philosophie

C’est une véritable résurrection! Exhumé d’un injuste purgatoire par l’ouvrage d’Olivier et de Tamara Veyrat, collectionneurs passionnés, Marius Chambaz (1905-1988), qui compte parmi les meilleurs paysagistes genevois, nous restitue la géographie d’une époque à la fois très proche et si lointaine, tant la Genève d’hier et celle d’aujourd’hui ont changé d’un siècle à l’autre.

La pâte est dense, le pinceau huilé aussi généreux que le gras du crayon et l’épaisseur de l’encre de Chine. Les demi-tons accentuent les profondeurs, aiguisent la lumière. L’œuvre est forte, solidement charpentée. Ferblantier, fils de ferblantier, Chambaz n’a cessé de peindre depuis l’adolescence et vivra de sa peinture dès 1938, grâce à une reconnaissance portée par une exposition au Musée Rath, puis au Palais de l’Athénée et dans des galeries réputées de la cité de Calvin. Il est l’un de ces artistes de la seconde moitié du XXe siècle que nos institutions ont passés à la trappe, ne retenant dans le patrimoine muséal que les grands maîtres qui font référence. Mais il a beau rester un «petit maître», il est d’abord ce paysagiste, distingué deux fois par le Prix Calame, dont on venait de Paris pour admirer les œuvres et qui fut exposé au Musée d’art moderne de la capitale française en 1962.

Une vie de bohème

Eloquente réparation de l’oubli, le livre que lui dédient chez Slatkine Olivier et Tamara Veyrat nous plonge dans un temps où l’on avait le temps. Où la peinture figurative n’était pas larguée par un univers numérique et stressé. Un temps, à lire le portrait du personnage, pas si loin d’une vie de bohème de la fin du XIXe siècle. «Une force tranquille, la liberté naturelle», disent de lui les témoignages. Un homme du vélo portant le chevalet qu’il pose dans les rues et les places de la ville, au bord du Rhône, de l’Arve, dans les campagnes du Genevois et du Faucigny, comme plus tard en Bretagne, en Provence ou à Venise. Porté à saisir la permanence des lieux offerte à la contemplation, il capte la puissance de la nature, sa quiétude en toute saison et par tous les temps, même lorsque la guerre oublie le bonheur des gens.
Le quartier des Grottes est son Montmartre. Chambaz vit rue Baudit (à l’emplacement de l’actuel immeuble de l’Armée du Salut), dans un modeste logement-atelier juché au sommet d’un escalier brinquebalant, immortalisé par une peinture de Georges Borgeaud. Il y recevait ses amis en toute simplicité, dit-on, et ses rares modèles. Comme la jeune femme qui posa notamment pour sa ballerine inspirée d’Edgar Degas. Dessinateur, mais d’abord peintre, auteur de portraits et de natures mortes, mais surtout interprète de son coin de pays, l’artiste n’eut point de maître, n’appartint à aucune école. Mais comme on ne peut être le fils de personne, il eut ses admirations pour Corot, Géricault, Cézanne et, chez nous, Barthélemy Menn, le maître du paysage intime.

Triptyque

Depuis une vingtaine d’années, Olivier Veyrat collectionne des œuvres de peintres locaux du XXe siècle, égarés dans les mailles du temps. Avec Tamara qui a vite épousé sa passion, le souhait est né de les donner à découvrir ou à redécouvrir. L’ouvrage complète ainsi un triptyque, après l’opus sur l’aquarelliste Charles de Ziegler (1890-1962, Editions Slatkine 2012) et celui qui ressuscite John Reitz (1899-1982, Slatkine 2014). Avec Marius Chambaz, dont la sortie du livre a été marquée par une exposition à la Villa Dutoit, en décembre dernier, ce sont autant d’acteurs ou du moins d’actifs spectateurs de leur époque, riche de bouleversements sociaux et artistiques. Résultat de minutieuses et patientes recherches, le livre très fouillé, à l’image des précédents, évite les champs réservés aux spécialistes. En amateurs d’art chevronnés, les auteurs ont voulu rendre l’œuvre de Chambaz «accessible aux yeux et au cœur de tout un chacun». Mission réussie avec talent. A quand une plaque épigraphique à la rue Baudit?

 

Viviane Scaramiglia

 

«Autour de Marius Chambaz 1905-1988.
Une force créatrice de son époque», par Olivier et Tamara Veyrat. Editions Slatkine.

Olivier et Tamara Veyrat, auteurs de l’ouvrage.