Patrick Motisi.

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culture - Sauver le patrimoine lié à l’opéra

Helvetia Lyrica, une ambitieuse nouvelle venue

11 Déc 2024 | Culture, histoire, philosophie

L’univers de l’opéra est bien plus vaste que les notes que fixent les enregistrements. Cet art pluriel est le dernier des arts «classiques» à avoir vu le jour. Et pour cause: né à la fin du XVIe siècle, il associe la musique, le texte, l’art de la scène et le chant, et n’a cessé de se développer depuis dans ses mises en scènes, ses techniques vocales ou le jeu des chanteurs. Née en septembre 2023, l’association Helvetia Lyrica veut réunir, préserver et faire rayonner l’abondant patrimoine lié à cet art si particulier. Rencontre avec Patrick Motisi, son fondateur et président.

«Je refuse que l’on dépose de la musique sur mes vers», aurait dit Victor Hugo en apprenant que Verdi mettait sa pièce «Hernani» en notes. Après avoir assisté à une représentation de l’œuvre du maître italien, il reconnaîtra que les limites de la dramaturgie littéraire ne lui auraient pas permis d’exprimer de manière si gracieuse et harmonieuse la contraposition des sentiments des personnages qu’il avait créés. Pour Patrick Motisi, cette anecdote résume toute la magie de l’opéra.
«Bien avant le cinéma, l’opéra captivait les foules, ses interprètes étaient des héros, leurs vies étaient étalées publiquement et l’on s’y rendait comme on se rend aujourd’hui voir un film», raconte ce passionné, ancien chanteur. Au fil des ans, il a réuni une collection d’objets liés à l’art lyrique, dont des partitions signées, des photos dédicacées, des programmes et des affiches.
De ventes aux enchères en rencontres, Patrick Motisi a cependant réalisé que le patrimoine lié à cet art disparaissait progressivement, par manque de connaissances ou d’intérêt. «J’ai vu des collections détruites ou dispersées lors du décès de leur propriétaire, par manque de compréhension de leur intérêt et de leur valeur», témoigne-t-il.

Un art en évolution

L’opéra n’est pas un art figé qui se bornerait à répéter de génération en génération les mises en scène et les interprétations. Innovations quant aux manières de chanter, évolution quant au jeu des chanteurs sur scène, relecture des œuvres à la lumière du passage du temps le transforment, tout comme les autres disciplines. S’y ajoutent les conflits d’ego entre artistes qui, en leur temps, étaient aussi célèbres et adulés que, par exemple, Sarah Bernhardt, mais dont la trace s’est estompée. Tout cela souligne l’importance de documenter cet art au-delà des enregistrements sonores.
«Il y a une désaffection croissante pour cet héritage, regrette le fondateur d’Helvetia Lyrica. On connaît La Callas Caruso, mais il y a des centaines de chanteurs et cantatrices qui étaient peut-être de plus grands artistes encore, des divas en leur temps et qui ont sombré dans l’oubli.» Et de rappeler que l’opéra était un spectacle populaire que la bourgeoisie montante au XIXe siècle a en quelque sorte récupéré, en imposant par exemple d’y assister dans ses plus beaux atours. «Allez à Vienne: encore aujourd’hui, l’opéra y est un lieu de mélange social dans lequel seul le goût partagé du chant lyrique réunit les personnes présentes et où le jeans cohabite avec le smoking», témoigne-t-il.

Une première année riche

Patrick Motisi franchit en septembre 2023 le pas de créer l’association Helvetia Lyrica, qui est une première étape vers une Fondation – son but à terme -, afin de disposer de plus de moyens pour collecter, diffuser et protéger le patrimoine lié à l’opéra. Collecter, diffuser et protéger sont en effet les trois objectifs de son association, dont la première année d’existence a déjà été riche en activités et réalisations.
Patrick Barbier, historien de la musique et professeur d’Université, a notamment donné deux conférences, sur l’histoire des castrats et sur l’un des plus célèbres d’entre eux, Farinelli. Helvetia Lyrica a aussi organisé une exposition consacrée à Christine Nilsson, la soprano suédoise qui inaugura le Metropolitan Opera de New York en 1883. En novembre, Chris Merritt, ténor américain, a donné une masterclass de chant à Genève, qui s’est conclue par un concert public. Et la numérisation d’une partie de la collection de l’association a permis de mettre à disposition du grand public un ensemble de documents liés à l’histoire de l’opéra, à travers le site Internet d’Helvetia Lyrica.

Rayonner hors de Suisse

Ce Wiki dédié à l’opéra a généré des contacts hors de Genève, par exemple avec un collectionneur en quête de repreneur pour ses trésors. Patrick Motisi a en effet l’ambition de faire rayonner Helvetia Lyrica d’abord au-delà de la Sarine – cela commencera par un événement à Lucerne prévu en 2026 – et hors des frontières suisses. Il travaille aussi à programmer des expositions à Paris et à Bruxelles l’an prochain déjà. Son équipe comprend aussi un conseiller artistique parisien et Helvetia Lyrica compte déjà des membres hors de Suisse.
«Nous voulons surprendre, parce que l’on n’attend pas la Suisse sur le terrain de l’opéra», dit-il, en soulignant cependant que ce pays est en pointe quant à la préservation du patrimoine. L’association dispose déjà d’un trésor de quelques dizaines de pièces et l’assemblée générale a adopté une politique d’acquisition centrée sur le XIXe siècle, pour laquelle des recherches de fonds sont en cours.
Helvetia Lyrica accueille toutes les personnes intéressées par l’opéra et par ses buts. Elle accueille également tous les dons et legs qui s’inscrivent dans sa mission.

 

Cesare Accardi