Le Château de Glérolles à Rivaz.

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Sorti de l’ombre d’Hodler

Erich Hermès, peintre genevois redécouvert

29 Sep 2021 | Culture, histoire, philosophie

Grâce à la première monographie qui lui est consacrée par Philippe Clerc, l’artiste Erich Hermès (1881-1971) peut être retrouvé dans toute l’amplitude de son œuvre de coloriste hodlérien figuratif. Celui qui travailla toute sa vie à Genève et y décora plusieurs bâtiments revient sur le devant de la scène artistique et peut légitimement figurer parmi les peintres genevois parmi les plus importants de la première moitié du XXe siècle. Portrait.

Il y a cinquante ans disparaissait l’artiste genevois Erich Hermès. Philippe Clerc, brillant historien de l’art et fin spécialiste des artistes suisses des années 1900-1950, a rédigé la première monographie consacrée à ce peintre, sculpteur et graveur (Editions Notari 2021), préfacée par Niklaus Manuel Güdel, directeur des Archives Jura Brüschweiler. Ce dernier signale: «Erich Hermès fait partie des prolifiques et courageux artistes genevois qui se sont évertués, malgré l’ombre plénipotentiaire de Ferdinand Hodler, de se distinguer dans le domaine des arts».

L’influence marquante de Ferdinand Hodler

Hodler, le nom du géant est lâché: il est vrai qu’une importante partie du travail d’Hermès s’inspire de celui qu’il rencontra vers 1903. «De 1900 au début des années 1920, la peinture de chevalet d’Hermès le rapproche indiscutablement des enseignements de Ferdinand Hodler, dont l’œuvre marque profondément ses jeunes années», relève Philippe Clerc. Hermès, comme Hodler, fut soucieux d’architecture et maîtrisa la couleur de ses tableaux. Né en Prusse en 1881, Erich Hermès fut envoyé en Suisse, à Lausanne, à l’âge de quinze ans, pour y suivre un apprentissage auprès d’un artiste-décorateur. Il est rejoint par sa famille en 1899, qui s’installe à Genève. Erich fréquente l’École des beaux-arts et y reçoit plusieurs prix. C’est ensuite le traditionnel séjour à Paris, pendant deux ans, suivi d’un autre séjour de formation à Munich jusqu’en 1907, où il revient à Genève qu’il ne quittera plus sauf pour des voyages en Italie et en Espagne. Erich Hermès va dès lors vivre de son art, en bénéficiant de nombreuses expositions individuelles et collectives et de commandes d’architectes. Un premier accrochage au Musée Rath a lieu en automne 1911. Hermès va rester fidèle à sa ville d’élection – il est devenu Suisse en 1902 – où son nom va apparaître régulièrement dans les chroniques artistiques des journaux. Comme Hodler, il peint la Suisse, ses figures héroïques, les batailles historiques des guerriers d’une Suisse d’autrefois. Mais il développe aussi et très tôt un fort sentiment d’empathie envers les plus faibles et les défavorisés.

Maisons sur le bord du Rhône.
Magnolias sur le quai du Mont-Blanc.

Vers un style propre

Parmi les principaux éléments auxquels l’artiste doit, selon lui, se plier figurent l’apprentissage et l’expérience de la nature. Avec le temps, Hermès quitte les rivages hodlériens et bascule vers la Nouvelle Objectivité, en s’appliquant à créer un style qui lui soit propre, même s’il continue de cheminer au milieu des courants artistiques de son temps, usant toute sa vie du figuratif. Dans une lettre à sa fille, Hermès constate: «Ne sera-t-il plus permis de s’émouvoir devant les beautés de la terre? Un problème de géométrie n’a rien de commun avec une émotion du cœur». Chacun de ses ateliers successifs en différents endroits de la ville bénéficient de fenêtres qui lui donnent une vue imprenable sur la Rade, qu’il peint souvent.
Peintre de monuments civils ou sacrés et affichiste
La peinture monumentale l’intéresse, tant dans les bâtiments publics que privés. Il va ainsi réaliser des décors pour des écoles (celle des Pâquis), des gares (dans le buffet de gare où il réalise une spectaculaire vue de Genève, toujours visible), des temples (celui de Carouge et celui de Saint-Jean, où il est inspiré par Maurice Denis, qui travaille à Genève à la même époque, mais aussi Dardagny et le Petit-Saconnex). Il crée aussi de nombreuses affiches en s’adonnant aux techniques reprographiques. Durant les vingt dernières années de sa vie, les collaborations d’Erich Hermès se font essentiellement avec son fils Luc, architecte. Il meurt le 21 juin 1971, dans un relatif silence que la monographie très réussie de Philippe Clerc vient enfin briser. Grâce à ce travail bellement illustré, on peut affirmer que découvrir Erich Hermès, c’est traverser, au fil d’un parcours artistique individuel, l’histoire culturelle de la Suisse du XXe siècle.

 

Laurent Passer

«Erich Hermès, messager des arts»,
par Philippe Clerc. Editions Notari, Genève, 2021.