hors champ
Embobinés avec un fil sans fin
Pendant un demi-millénaire, la religion fut sur la défensive en Occident: les récits de la Genèse ne pouvaient tenir tête aux astronomes, ni aux généticiens. Mais depuis une génération au moins, on assiste à un retour de flamme mystique: en Occident, les églises continuent toutefois à se vider au profit de nouvelles croyances, tandis qu’en Orient, les mosquées sont plus que jamais des centres de ralliement. Cela rend les «rationalistes» perplexes, mais le fait est que combattre le «populisme», par exemple, semble plus pressant aux «modernes» que combattre le «bénitier». Ce texte n’est pas une clef de l’énigme, mais un coup d’œil à propos d’un cas surgi ces jours en marge du Conseil des droits de l’homme.
«Situation des minorités religieuses au Japon»: les intitulés de certaines séances – surtout privées – du Conseil des droits de l’homme ne disent pas toujours clairement de quoi on va parler. La minorité dont il fut question à cet «événement parallèle» hors Palais était… l’Eglise de l’Unification, plus connue comme «secte Moon». L’auteur de ces lignes n’a guère foi en les sectes, mais il ne croit pas non plus aux vertus de l’autruche. Expérience faite, cette affaire fut une occasion valable de s’interroger sur la frontière entre «liberté» et «démocratie» et sur la différence entre une Eglise et un Parti.
Lune après la pluie ou avant l’orage?
Ce qui donne à cette affaire exotique sa grande actualité, voire son intérêt mondial, c’est qu’elle fait suite à l’assassinat du Premier ministre japonais Shinzo– Abe. Bien que l’Eglise Moon fût d’origine coréenne, le parti régnant au Japon avait avec elle des liens assez forts. Or l’assassin du chef du gouvernement voulait se venger des Moonistes à qui sa mère avait fait moult legs. Depuis lors, l’administration japonaise se livre à ce que les adeptes de ladite Eglise nomment une chasse aux sorcières.
La gauche nippone – marginalisée depuis des lustres dans le champ électoral – reste assez influente parmi les intellectuels, les journalistes et les avocats. Elle a vu là une occasion de donner de la voix, sinon prendre sa revanche. On assiste donc à une offensive de «déprogrammation» censée désintoxiquer les jeunes qu’on éloigne de leur famille pour les livrer à des pasteurs «rééducateurs». L’Eglise de l’Unification se sent donc victime d’une campagne de dénigrement, et affirme que ses membres sont objet d’un déni de liberté religieuse. C’est indéniable, une telle «rééducation» fait penser aux techniques que certains régimes totalitaires ont employé contre leurs dissidents.
Mais même en démocratie, la réintégration des membres de sectes ou la lutte contre le mirage du djihad est un dilemme: comment respecter la liberté des individus tout en protégeant la démocratie collective? Et les Eglises peuvent-elles se prévaloir de «droits» qu’on refuserait à un parti politique? N’empêche, avec ou sans pasteurs, la campagne en question a des relents xénophobes; mais pas plus que le massacre des Chrétiens de Nagasaki en 1622, de triste mémoire mais de bonne guerre. En tout cas, la demi-centaine de victimes dudit massacre a sans doute pesé dans le choix de leur ville comme seconde cible de la bombe atomique.
A l’adresse de Dieu
Au XIXe siècle, entre les bourgeois en quête de respectabilité et les anars hostiles à tout maître même céleste, l’existence de Dieu était en jeu. Mais au fond, qu’on y croie ou non, ce qui allume les passions, c’est sa résidence: comme s’en inquiétaient au XIXe siècle de «Kulturkampf» les Ultramontains, le monde est-il dirigé de La Mecque, Rome, Berlin, Moscou ou Genève? Si l’affaire Moon au Japon est anecdotique en comparaison des guerres de religion qui traversent à nouveau les patriarcats orthodoxes ou les mouvances musulmanes, elle a mis a nu des questions complexes.
De ce point de vue, l’«événement parallèle» au Vieux-Bois valait bien le «lobbying» du Pakistan au Palais contre «l’islamophobie» ou les dénonciations par la Russie de la «nationalisation» par l’Ukraine du Patriarcat de Kiev, les rencontres du Centre sur les croyances aux Grottes (cic-info.ch), les typologies du Pôle sur les religions à l’Hôtel de Ville (pole-rhizome.ch) ou les catalogues du Centre (…) spirituels en Romandie (clims.ch), les mondanités de la Plate-forme Interreligieuse à la Maison des associations (interreligieux.ch), sinon le récent débat sur la laïcité à la Maison des Habitants de Saint-Julien, la moins sectaire de toutes. Sans oublier l’anniversaire de l’Unité d’histoire des religions… groupe menacé par des Lettres qui l’estiment trop religieux et la Théologie qui le trouve trop lettré… et qui surnage donc en état de lévitation paradoxale à faire rêver un incroyant (voir aussi musee-reforme.ch). Mais le clou de la semaine fut le colloque «Religions, politique et migrations», qui a confirmé que les Moonistes étaient des gens d’ouverture, de tolérance et de rationalité en regard de l’académisme contemporain.