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Patrice Fileppi: la photographie narrative

Ecris-moi une image

27 Nov 2024 | Culture, histoire, philosophie

Lorsque l’on choisit de lire un roman, d’aller voir un film ou une pièce de théâtre, l’intrigue est pour la plupart du temps connue de nous et c’est également l’une des raisons de notre motivation. D’autres sont les auteurs, les acteurs voire les ouï-dire. Ecrire un roman, réaliser un film ou une pièce de théâtre requiert non seulement du talent, mais également de l’imagination et de la créativité, ainsi que des moyens techniques, même dans le cas d’adaptations littéraires.
Quel que soit notre choix, nous sommes inconsciemment «pris en otages» du début à la fin de la narration, car nous sommes guidés et influencés par l’auteur de l’œuvre présentée. Celui-ci a tout loisir durant 90 minutes, pour un film par exemple, de nous faire rire, pleurer, réfléchir voire nous heurter.
Dans les musées, des bancs permettent aux visiteurs de se poser afin d’observer les œuvres et les détails composant la narration. Titres et descriptions sont des guides qui permettent la compréhension de celles-ci.
L’observation d’une image photographique exposée dans une galerie est éphémère; elle l’est encore davantage sur les réseaux sociaux. Dès lors, cette image doit suggérer un intérêt immédiat, que cela soit par le sujet, par la composition, par la qualité picturale ou par tout autre «artifice» permettant la capture du regard. Une image se doit de raconter une histoire que chaque observateur a le droit de s’approprier.

L’origine du projet

La célèbre image du photographe Man Ray (1890 – 1976), La Femme au violon a été l’instigatrice de ma collection Artmoniac.
Cette image, l’une des plus chère au monde, a été vendue plus de 10 millions de dollars.
La Modèle, Kiki de Montparnasse, égérie de Man Ray, symbolise un violon dont les ouïes ont été ajoutées ultérieurement au crayon sur le tirage; Photoshop de l’époque.

S’inspirer n’est pas copier
L’idée m’est venue de réaliser quinze mises en scène décrivant le lien que je fais entre ces instruments et la Femme; la clarinette, la contrebasse, la trompette, le basson, le xylophone, la harpe, la grosse caisse, le triangle, le saxophone, le piano, le violon, le violoncelle, le cor, la flûte, les cymbales.

La Clarinette

« Lorsque le Mâle devient le Mal »

Une jeune clarinettiste charmeuse de serpent souhaite faire une balade à bicyclette avec son compagnon le serpent. Arrivé-e-s dans un lieu charmant, elle souhaite lui accorder un peu de détente et l’extrait du panier.
Après avoir interprété quelques gammes et sans aucune raison connue de nous, son compagnon se dresse et devient agressif, cachant son venin mortel.
Il s’agit d’une métaphore décrivant la violence dont beaucoup de femmes sont victimes.
Le serpent et son crachat représentent la sexualité, la mort; la pomme croquée le péché.

La réalisation

Il était nécessaire de trouver un lieu isolé d’une part pour créer l’ambiance calme d’une artiste lorsqu’elle répète, et un terrain sablonneux pour que le serpent puisse évoluer, d’autre part.
Bicyclette, tronc d’arbre, panier et pomme partiellement croquée ont été amenés sur le site.
J’ai eu recours à un herpétologue, lequel est venu avec son assistant et deux cobras. J’ai appris que certains étaient cracheurs, ce qui n’était pas le cas de ceux-ci, donc pas de problème sécuritaire. (le crachat a été ajouté en post production)
La difficulté était de positionner le serpent dans le bon angle de prise de vue et qu’il soit «dressé». Des crochets manipulés par les herpétologues ont permis le bon positionnement, et surtout que les «acteurs» ne prennent pas la poudre d’escampette.
Après plusieurs tentatives, l’un étant fatigué, le second est entré en piste, malheureusement sans succès.
Après une période de repos, nous avons sollicité le premier, qui a permis la réalisation de l’image finale.
Quant à la Modèle Jena, elle se souviendra longtemps de cette performance.

Livre recueil de 15 images et textes de la collection.