Sarah Jollien-Fardel: «Sa préférée», un premier roman qui cartonne.

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Rentrée littéraire

Du brut de décoffrage

16 Nov 2022 | Culture, histoire, philosophie

Près de 500 romans francophones ont été annoncés lors de la rentrée littéraire automnale, sorte de must qui agite la planète des éditeurs, libraires et lecteurs. La première rentrée post-Covid a mis en valeur trois poids-lourds de l’édition française: Virginie Despentes, Amélie Nothomb et Guillaume Musso, l’auteur francophone le plus vendu dans le monde. La Suisse romande s’associe aussi à ce phénomène bien parisien qui se répètera au printemps pour lancer les livres de l’été. C’est un premier roman inattendu qui cartonne actuellement: celui de la Valaisanne Sarah Jollien-Fardel, «Sa préférée», éditée par l’éditrice française Sabine Wespieser.

«Cher connard», le titre provocateur du dernier livre de Virginie Despentes, a suffi pour lancer les hostilités et les ventes de cet nouvel opus de la sulfureuse auteur de «Baise-moi». Non-roman, «Cher connard» est un échange de lettres entre trois personnages qui entretiennent une correspondance «qui se sauvent la vie» (sic) et que découvrent les lecteurs de celle qui est devenue en 20 ans un écrivain incontournable, inventant un style et un univers dont la violence des temps et du vocabulaire n’est pas absente. C’est aussi une forme d’essai, avec des considérations sur notre époque, la littérature, l’existence: est-ce là une nouvelle forme de roman d’après confinement? Immédiatement placé au pinacle germanopratin d’une presse envoûtée par cette femme qui parle comme un camionneur, «Cher connard» ne figure que sur la liste actuelle des dames du Femina pour être éventuellement couronné d’un prix littéraire.

Amélie Nothomb, convenue

La dame belge en noir aux hauts-de-forme et autres couvre-chefs nous offre avec «Le Livre des sœurs» sa nouvelle livraison romanesque, qui tombe régulièrement comme la saison des fraises ou des asperges. Amélie Nothomb, dans un style parfait et policé, nous parle d’un sujet grave avec la légèreté des bulles de champagne qu’elle apprécie sans modération. Elle fait de la vie d’une petite fille précoce et mal-aimée de ses parents (de qui peut-il bien s’agir?), qui entretient un rapport fusionnel avec sa sœur (ah, le scoop: Amélie a une sœur!) un conte «noir et lumineux», affirment les critiques ébaubis. Bref, même si cela est de la belle ouvrage, comme la dentelle de Bruges, cela ne s’apparente pas à de la littérature. Pour cela, il faudra attendre la parution en octobre de «Londres», un nouvel inédit de Céline, retrouvé dans les manuscrits découverts de manière rocambolesque en 2021.

Guillaume Musso l’incontournable

La machine bien huilée de Guillaume Musso a produit, terme vraiment choisi et juste, un roman qui s’arrache partout: «Angélique» (cela ne s’invente pas, mais elle n’est pas marquise des Anges…) vient d’être placée en piles dans tous les endroits vendant des livres de France et de Navarre. Rien à dire donc de ce nouveau volume, qui va contribuer sans nul doute à maintenir son auteur comme numéro un incontesté des ventes depuis plus de dix ans (Musso vend plus d’un million d’exemplaires chaque année). Non que nous soyons opposé au succès, loin de là. Mais que dire d’un roman dont l’heureux éditeur nous dit qu’il s’agit d’une «enquête fiévreuse, exaltante et inattendue autour de la mort d’une danseuse étoile»? On devine qu’il doit s’agir de la dénommée Angélique, mais laissons-nous surprendre…

Roman coup de poing, «Sa préférée» vaut surtout par une langue âpre et précise comme une lame taillée sur un silex valaisan.

Et en Suisse romande?

Si nos deux fameux auteurs suisses romands de polars, Nicolas Feuz, qui occupe le poste de procureur général de l’Etat de Neuchâtel entre deux signatures, avec «Les larmes du lagon», et Marc Voltenauer, qui ne fait lui que des signatures, avec «Péril au Grand-Saint-Bernard», caracolent en tête des ventes en cet automne livresque, la bonne surprise, et celle-ci vraiment pleinement littéraire, est le beau et émouvant livre de la Valaisanne Sarah Jollien-Fardel, «Sa préférée», qui est devenu en quelques semaines un véritable phénomène de librairie et a même figuré sur la liste du prestigieux Prix Goncourt. Roman coup de poing, parlant de la violence domestique dans un Valais confit dans la religiosité et la fermeture au monde, «Sa préférée» vaut surtout par une langue âpre et précise comme une lame taillée sur un silex valaisan. Magnifique portrait d’une émancipation féminine, on peut lui prédire un grand succès populaire (c’est fait) et critique (avec déjà le Prix Fnac).

 

Laurent Passer