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CULTURE - Des livres vraiment verts

Deux coups de cœur pour les paysans

26 Fév 2025 | Culture, histoire, philosophie

Ils sont reconnus et aimés, mais ils sont plus que jamais abandonnés à eux-mêmes et en danger de mort, en France mais aussi plus largement en Europe et même en Suisse. A l’heure où le Salon de l’agriculture de Paris vient d’ouvrir ses portes, le philosophe français Michel Onfray défend passionnément ces paysans qui, depuis la nuit des temps, assurent la survie des hommes tout en faisant résonner une profonde et éternelle musique venue du fond de la terre… et peut-être du ciel.

Les paysans, reconnus et aimés. Vraiment?

Son père était ouvrier agricole, il travaillait au jour le jour dans une ferme pour un salaire de misère, sans protection ni garantie d’aucune sorte. Devenu philosophe, professeur et auteur d’une œuvre riche et originale, dont plusieurs records de vente, Michel Onfray n’a pas oublié ses origines et ne cesse de les revisiter avec ferveur, avec reconnaissance. Il faut dire qu’il s’est retrouvé par hasard, tant par son histoire personnelle que par ses préoccupations de philosophe, au cœur de l’un des enjeux les plus sensibles et les plus déterminants de notre époque: l’avenir de l’agriculture, la crise écologique, la disparition ou la survie du monde paysan.

Nature, poésie et curé du village

Dans un livre dont le titre résonne comme un cri d’alarme, «Entendez-vous dans nos campagnes» (Editions du Plénitre), Michel Onfray plaide pour une agriculture naturelle et vivante, respectueuse des rythmes de toujours, ceux de la terre comme du cosmos. Une agriculture virgilienne, dit-il, vivant en symbiose avec la nature, au gré des saisons et de l’alternance des jours et des nuits. Les odeurs de la terre, les duretés de la météo, les gestes quotidiens, les cadences obligées, les fêtes: un univers qui, pendant des millénaires, a assuré aussi bien la survie des hommes qu’une forme de spiritualité, la travail de la terre étant profondément ancré dans la poésie quotidienne et le curé du village toujours là pour célébrer les moissons et faire sonner les cloches!
Pourquoi, demande Michel Onfray, les paysans sont-ils aujourd’hui menacés de disparition? Pourquoi en sont-ils réduits à lutter vaille que vaille pour leur survie, alors que leur travail est de plus en plus valorisé et reconnu comme une tâche indispensable, une mission sacrée? Premier écueil, selon lui, l’écologie politique qui multiplie les normes et les interdits pesant sur leur travail et empoisonnant leurs journées. Une fausse écologie «urbaine, punitive, livresque, politicienne» qui s’oppose à la vraie écologie, «rurale, concrète, pragmatique», celle cultivée par le monde paysan depuis le début des temps.
Deuxième écueil, ensuite, selon Michel Onfray, l’hyper-industrialisation de l’agriculture qui vise finalement, à terme, à une agriculture sans terre, une espèce de post-agriculture détachée de sa réalité physique. «Ceux qui travaillent à développer la viande cellulaire indiquent la voie, dit-il cette semaine dans une interview au «Figaro». Ce sont les mêmes qui, sous couvert de bien-être animal et d’écologie, défendent le wokisme et cette agriculture de chimistes qui pollue considérablement, d’actionnaires qui s’enrichissent. L’agriculture française est condamnée si rien n’est fait pour changer cette situation».
Ennemi juré de l’Europe de Maastricht, qui a érigé le libéralisme en modèle absolu, y compris pour l’agriculture, Michel Onfray plaide pour une sorte de renversement des priorités, «un changement de logiciel», comme il dit. Au lieu de la liberté des échanges sur le marché européen, il s’agirait de rétablir des contrôles entre les pays en fonction de la qualité et de la viabilité des produits agricoles cultivés çà ou là.

Le moine
devenu «paysan
de Dieu»

Revenir à la vérité de la terre, éprouver à nouveau ce lien un peu mystique entre la terre nourricière et le ciel, c’est aussi le thème d’un livre étonnant, «Paysan de Dieu» (Editions Albin Michel). Son auteur, François Cassingena-Trévedy, est un prêtre français, normalien, docteur en théologie, spécialiste de la tradition liturgique et traducteur des Pères de l’Eglise syriaque, qui a choisi plus modestement de devenir un «moine-poète-paysan». Son credo: «Il y a adéquation et presque équivalence entre le temps profane des tâches les plus humbles, soumises aux aléas des saisons et des bêtes, et le temps liturgique qui élève l’âme par ses rites et ses chants. L’étable apparaît alors comme «aussi sacrée que l’église», la traite devient un «exercice cultuel» et la bouse «matière d’un poème».
Etabli à 1000 mètres d’altitude, sur le plateau auvergnat de Cézallier, dans le village de Sainte-Anastasie, qui signifie «résurrection», le père François Cassingena-Trévedy fait penser, dans un tout autre registre, aux fameux «prêtres ouvriers» des années 60. Il vit sa foi à sa manière, dans une forme de rupture, en fonction de sa propre sensibilité et de ses envies. Il s’émerveille en voyant la neige qui tombe, le brouillard qui s’installe, les mésanges qui viennent picorer, les bêtes qui attendent leur pitance… Attentif à la terre, attentif à l’instant, aux plus petits bruits comme aux moindres frémissements de l’air, le «paysan de Dieu» poursuit sa prière intérieure. «La seule distraction nécessaire, confie-t-il, la seule distraction noble, l’immense et unique distraction, c’est d’être là où l’on est, si ce là-où-l’on-est se trouve être, par bonheur, là-où-l’on-aime-être, définitivement».

 

Robert Habel

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