Yann Courtiau, auteur, libraire et mélomane.

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Un ouvrage intriguant

David Bowie, lecteur compulsif

16 Nov 2022 | Culture, histoire, philosophie

Fou de musique et de littérature, l’auteur genevois Yann Courtiau explore dans les multiples livres dévorés par l’iconique artiste anglais les influences des grands mouvements de sa vie. «David Bowie – Lector in Fabula»: comme autant de voyages en quête d’éternelle liberté.

La légende l’a transformé en mythe. Mort en 2016, Bowie, excentrique visionnaire, héros du glam, du pop et du rock, vit désormais aussi bien dans les livres. Une juste accumulation d’hommages à celui qui n‘a cessé de s’en nourrir. Trois ans avant sa disparition, dans le cadre d’une mémorable exposition londonienne qui lui était consacrée, l’artiste livrait au public une liste des cent livres l’ayant le plus marqué. Cent titres d’un éclectisme extrême, mince parcelle de son imposante bibliothèque, mais suffisants à rappeler combien le musicien anglais fut un lecteur assidu tout au long de ses multiples vies et célèbres avatars empilés sur cinquante ans de carrière. Preuve de sa boulimie livresque partout et en tout temps, les malles d’ouvrages emplies à ras bord que Bowie avait emportées sur le tournage du film «L’homme qui venait d’ailleurs» (1976) pour abreuver de lecture toutes ses pauses. Au nombre des ouvrages qui lui sont dédiés, celui de Yann Courtiau fait mouche. Certes, parce qu’il est informé, érudit, tout à la fois libraire, grand lecteur et mélomane. Et surtout parce qu’il va au-delà des influences littéraires sur l’œuvre de l’artiste pour retenir leur impact sur les grands moments de sa vie.

Une conquête, une aventure

«David Bowie nous a laissé une liste de livres, et cette liste de voyages littéraires avait des choses à raconter. J’en avais le pressentiment», explique l’auteur. L’artiste n’était pas juste un lecteur de Jack Kerouac, le mythique écrivain de l’errance et de la dérive, de Bruce Chatwin, chantre de la pensée nomade, d’Anthony Burgess, de Nabokov, d’Orwell ou un fervent admirateur de Mishima. Il lisait aussi des auteurs moins connus comme Keith Waterhouse, Muriel Spark, ou Anatole Broyard avec son livre kafkaïen dans la bohème new-yorkaise. Dans ses choix, riches en personnages rebelles, marginaux, en rupture, on note entre autres «Cité de la Nuit», décrivant le monde interlope de John Rechy.
«Bowie s’éduquait par la lecture. Lire était un espace de liberté, une conquête, une aventure». Et l’écrivain genevois de nous plonger dans une présentation captivante, qui tisse sur une trame chronologique des connexions éloquentes et des effets de miroir entre les ouvrages et son célèbre lecteur. Comme Chatwin, Bowie a toujours voyagé. Installé en Suisse de 1982 à 1997, il disait alors: «Ici, je suis bien. J’ai tout, la musique et les livres. Je n’ai pas besoin de racines». Comme Kerouac qui, dans «Visions de Gérard» (1963), rendra hommage à son frère aîné mort à l’âge de neuf ans, Bowie sera aussi frappé par la disparition tragique de son demi-frère Terry, en 1985. A sonder patiemment, minutieusement ces trajectoires livresques et leurs échos dans le vécu, l’auteur réveille aussi certaines obsessions de l’artiste, celle du Berlin entre les deux guerres, par exemple, et de son intérêt pour «Mr. Norris change de train» (1935), de Christopher Isherwood.

Rock et livres, deux mondes proches

Ancien disquaire, DJ à ses heures perdues, libraire au Rameau d’Or pendant près de dix ans et actuellement chez Payot, Yann Courtiau observe qu’au-delà des a priori, l’univers littéraire n’est pas si éloigné du monde musical pop, rock ou rap. «Comme Bowie, les rockers peuvent être de grands lecteurs. La réciproque est aussi visible, puisqu’il est fréquent que des groupes musicaux apparaissent dans la littérature contemporaine». Comme «Vivre vite», de Brigitte Giraud, lauréate du prix Goncourt 2022, qui cite Joy Division, et «Performance», inspiré des Stones, de Simon Liberati, Prix Renaudot 2022. Dans «Frictions», son premier livre (2019), Yann Courtiau a déjà traqué les apports de la littérature dans la musique et vice-versa. On retrouve ses qualités dans son nouvel ouvrage: pas de cascades hasardeuses de noms et de références. Des références, oui, à foison, mais qui font sens.

 

Viviane Scaramiglia

 

«David Bowie – Lector in Fabula», par Yann Courtiau.
Editions La Baconnière, Genève, 2022.

En couverture du livre, portrait de David Bowie signé Pajak.