Bain de foule genevois pour Jacques Chirac.

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Claude Bonard raconte

Dans les coulisses de l’Hôtel-de-Ville genevois

30 Nov 2022 | Culture, histoire, philosophie

Racontant ses souvenirs d’une plume précise et alerte, l’ancien secrétaire général de la Chancellerie d’État de la République et canton de Genève Claude Bonard (d’origine vaudoise!) lève un voile sur la Cité de Calvin officielle, cantonale et internationale à travers maints épisodes de sa vie protocolaire et publique. Dans «Derrière le rideau», Claude Bonard nous livre de petites chroniques de la rue de l’Hôtel-de-Ville ou de la Tour Baudet, siège des autorités cantonales. Levons donc le rideau rouge et or sur une réalité souvent méconnue, mais qui dit toujours quelque chose de l’exercice du pouvoir!

Si Talleyrand avait pu dire: «Il y a cinq continents et puis il y a Genève», Claude Bonard, qui fut dix ans durant le bras droit du Chancelier de la République en portant le titre de Secrétaire général de la Chancellerie d’État, le plus ancien service de l’Etat, nous livre le récit vivant de nombreux épisodes vécus de la Genève cantonale et surtout internationale dans «Derrière le rideau-Petites chroniques de la rue de l’Hôtel-de-Ville», récemment paru chez Slatkine.
La ville du bout du Lac voit défiler chefs d’Etat et de gouvernement de toute la planète et le Conseil d’Etat doit les recevoir, les saluer, et organiser leur séjour ainsi qu’assurer, avec la Confédération, la sécurité de leurs rencontres. Claude Bonard nous rappelle ainsi le Sommet du G8 d’Evian, qui utilisa l’aéroport de Cointrin comme base aérienne, ainsi que les manifestations violentes qui émaillèrent cette rencontre internationale.
L’Hôtel-de-Ville fut incendié par le jet de cocktails Molotov, moins mondains que ceux que dut parfois organiser le secrétaire général de la Chancellerie. Peu de dégâts, plus de peur que de mal grâce à l’intervention énergique d’un citoyen genevois. C’est pour remercier les autorités genevoises que Jacques Chirac invita le Conseil d’Etat au défilé du 14 juillet à Paris, tradition qui s’est maintenue jusqu’à nos jours et permet d’entretenir des relations franco-suisses et genevo-françaises parfois complexes. Les leaders mondiaux défilent dans le récit agréable et pas pédant de Claude Bonard: Fidel Castro et ses cigares distribués aux policiers, Nelson Mandela et son bain de foule improvisé, Jiang Zemin et son début de visite d’Etat en Suisse bien mal commencée à Berne, mais réussie à Genève.

Visite mouvementée en Pologne

Bien plus, Genève entretient des relations internationales beaucoup plus intenses que les autres cantons suisses. De par sa position dans la géographie et dans l’histoire et comme l’un des sièges onusiens, elle vit souvent au rythme du monde et ses autorités doivent parfois parcourir un peu le monde. Il en fut ainsi lors d’un voyage rocambolesque à Varsovie en 1993, à l’occasion du retour des cendres du couple présidentiel polonais Moscicki, que raconte Claude Bonard avec verve et précision, puisqu’il y participa (et vit d’ailleurs aujourd’hui la moitié de l’année… à Varsovie). L’imaginer avec Bernard Ziegler, alors président du Conseil d’Etat, courir sous une pluie battante sur le tarmac varsovien chercher leurs valises oubliées au pied de l’avion vous rend humble.
Le récit livré à travers maints épisodes narrés par Claude Bonard, qui ne tombe ni dans l’anecdote, ni dans la violation du secret de fonction ou du devoir de réserve, révèle en creux un fonctionnement de l’Etat somme toute simple et digne, très suisse pourrait-on dire. Une sobriété de belle tenue, résume Claude Bonard. Avec l’art de rattraper toute situation mal engagée ou inattendue. Etre précis, Paul Valéry ayant dit «qui veut faire de grandes choses doit penser profondément aux détails», mais sans en faire trop du point de vue protocolaire, en cela réside la clef de la réussite du travail complexe de la Chancellerie de l’Etat de Genève. Et surtout éviter tout malentendu et, naturellement, toute humiliation. Le protocole et les usages diplomatiques servent à cela et Claude Bonard donne plusieurs exemples dans ses chroniques qui permettent de rappeler cette vérité.
Ce récit, nourri aussi d’indications historiques précieuses concernant les traditions et cérémonies genevoises et donnant des informations sur la préparation des séances du Conseil d’Etat, préfacé par l’ancien Chancelier d’Etat Robert Hensler, nous fait passer de l’autre côté du miroir officiel où nous découvrons, avec l’auteur, que le roi n’est pas nu, mais digne et compétent. C’est toujours bien de le constater.

 

Laurent Passer

«Derrière le rideau – Petites chroniques de la rue de l’Hôtel-de-Ville», par Claude Bonard.
Editions Slatkine, 2022.