Les villes regorgent d’endroits inutilement bétonnés qu’il est aujourd’hui indispensable de rendre à la nature.

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culture & nature - Biodiversité urbaine

Comment favoriser les pollinisateurs sauvages?

5 Juil 2023 | Culture, histoire, philosophie

Nous publions ici la seconde partie de la «Note rapide Biodiversité n° 984» rédigée par Hemminki Johan, naturaliste, pour l’Agence régionale de la biodiversité en Ile-de-France. La première partie, «Ruches en ville: fausse bonne idée» est parue dans Le Journal de l’Immobilier n°83, du 28 juin 2023, suscitant l’intérêt de nombreux lecteurs. Les deux volets sont disponibles sur www.jim.media et nous conseillons également aux intéressés de consulter le site de l’Agence: www.arb-idf.fr. (Réd.).

Considérant les limites à l’installation abusive de ruches, celles-ci restent de bons supports pour reconnecter le public à la nature et au vivant – et plus particulièrement aux insectes, mal connus, voire mal aimés. Souvent, les collectivités ou associations qui installent des ruches proposent également des créneaux ouverts au grand public pour venir rencontrer l’apiculteur gestionnaire et en apprendre davantage sur les abeilles domestiques.
Ces moments, rares dans le quotidien des citadins, sont importants pour changer la perception de la biodiversité, de ses composantes et des menaces auxquelles elle fait face. Néanmoins, il est aujourd’hui nécessaire d’appréhender l’ensemble des pollinisateurs et même s’il est plus facile d’installer des ruches ou des hôtels à insectes que de leur offrir des habitats favorables, l’urgence de la situation nécessite des moyens encore trop peu mobilisés. Ce n’est que grâce à une évolution de nos modes de production, de l’utilisation de nos terres et de notre conception du vivant que la tendance pourra s’inverser.

Molécules interdites… mais
répandues

Le 23 janvier 2023 a marqué un tournant, avec l’interdiction définitive des néonicotinoïdes en France. Ces produits, dont la toxicité envers les abeilles a été largement démontrée, ont des effets négatifs plus globaux sur les écosystèmes. Cette décision, bien que majeure, ne doit pas pour autant masquer la réalité de l’usage encore massif des phytosanitaires. En 2022, le CNRS de Chizé et l’Université de Bourgogne-Franche-Comté publiaient les résultats d’une étude sur la rémanence des pesticides dans l’environnement. Grâce à l’analyse de poils de micromammifères, capturés pour l’occasion, puis relâchés, les scientifiques ont découvert que 75% des animaux ressortaient positifs à 13 molécules interdites (pour certaines depuis plus de 30 ans) et à 25 molécules autorisées sur 140 composants recherchés.
Pire, aucune différence n’a été observée entre les exploitations biologiques et conventionnelles, preuve que ces produits sont omniprésents dans l’environnement et dans l’ensemble des maillons des écosystèmes. Ainsi, le développement de pratiques alternatives qui se détournent des phytosanitaires – comme l’agroécologie, qui a démontré son efficacité – constituerait une première étape essentielle pour l’amélioration de l’état de santé des pollinisateurs. Cette transformation a déjà commencé en France dans les espaces publics et privés en milieu urbain, avec l’application de la loi Labbé dès 2017, dont le périmètre s’est étendu le 1er juillet 2022. Elle s’applique désormais aux propriétés privées, aux lieux fréquentés par le public et aux lieux à usage collectif (à l’exception des golfs, des terrains de grands jeux, des pistes d’hippodrome et des terrains de tennis sur gazon, dont l’accès est réglementé, maîtrisé et réservé aux utilisateurs, et dont l’interdiction n’interviendra qu’en 2025).

Espaces verts pas si verts

L’autre enjeu majeur est celui de l’occupation du sol et de l’espace laissé à la biodiversité. En ville, les espaces dits «verts» sont encore trop souvent gérés intensivement par souci esthétique. Les tontes fréquentes et l’utilisation de semis et de plants horticoles sont incompatibles avec l’installation des insectes, dont les pollinisateurs. La gestion écologique associée à une gestion différenciée, qui consiste à réduire l’entretien, à favoriser les plantes locales et à diversifier les strates de végétation, permet de créer des conditions plus hétérogènes qui apporteront vivre et couvert aux espèces. Une grande diversité de pollinisateurs sous-entend également des écologies et des exigences variées. De nombreuses espèces ont besoin d’habitats spécifiques pour réaliser leur cycle de vie.
Ainsi, certaines abeilles solitaires creusent des terriers dans les sols meubles, quand d’autres utilisent le bois mort pour construire des loges. En ce qui concerne les syrphes (mouches à l’apparence d’abeilles), certaines larves affectionnent les zones humides et la végétation en décomposition pour réaliser leur développement. Afin de reproduire ces habitats particuliers, il est possible de mettre en place des aménagements peu coûteux dans les espaces. Un simple talus de terre meuble (avec idéalement 50% de sable environ) exposé sud sera rapidement colonisé par des brigades d’abeilles, qui y creuseront leurs terriers. Laisser au sol un tas de branchages morts de différents diamètres ou un pierrier bien exposé au soleil servira à une multitude d’autres espèces. Créer une mare temporaire ou permanente, en évitant l’apport de poissons, favorisera d’autres cortèges. Ces propositions d’aménagements sont aussi valables pour les jardins privés, qui représentent une part non négligeable des espaces de nature en ville.
Une autre approche consiste tout simplement à laisser des espaces sans gestion, en libre évolution, comme dans certaines friches en ville. Ces lieux, sous forte pression foncière, ne doivent pas être uniquement considérés comme des espaces en attente d’urbanisation. Certaines friches sont devenues avec le temps des îlots de nature, offrant calme et refuge à la biodiversité: elles hébergent ainsi une faune et une flore riches, parfois composées d’espèces rares que l’on n’observe habituellement pas en ville. Il est également possible d’aménager le bâti pour les pollinisateurs. Les toitures végétalisées, quand elles disposent d’un substrat suffisamment profond (au minimum 10 cm) et d’une végétation herbacée locale, peuvent devenir des relais entre les espaces verts, en proposant gîte et ressources aux espèces, tout en absorbant les eaux pluviales.
Sur les façades, l’installation de plantes grimpantes, comme le lierre, permettra de satisfaire les besoins de nombreux pollinisateurs tardifs et aidera à rafraîchir les villes en limitant la réflexion des rayons solaires. Dans certains contextes, il est également possible de se tourner vers des conceptions alternatives, avec l’utilisation de paillages ou de murs en terre, qui laisseront des interstices favorables à l’installation des insectes. Enfin, pour la reconquête de la biodiversité, il est désormais nécessaire de s’orienter vers les concepts de renaturation d’espaces imperméabilisés afin de rendre des lieux autrefois stériles colonisables par les espèces. Les villes regorgent d’endroits inutilement bétonnés qu’il est aujourd’hui indispensable de rendre à la nature.

 

HEMMINKI JOHAN
Chargé d’études, naturaliste
Agence régionale de la biodiversité en Ile-de-France
Département biodiversité de l’Institut Paris Région
Paris – www.arb-idf.fr