culture & nature
Comment distinguer une puce d’un rat
C’est d’un sujet frivole qu’on va traiter ici; quoique… ça dépende pour laquelle des deux ou trois parties: le rat, la puce ou vous et moi.
La nature revient en force en ville et pas toujours comme on en rêvait: depuis la pandémie, on a lu toute sorte d’histoires sur les puces et sur les rats… Pour ma part, j’ai craint les puces et j’ai reçu un rat. Si vous en cherchez un, je peux vous le donner, mais d’abord, voici ce qu’il m’a apporté et retiré.
Minnie aime les médias
Les puces ou punaises de lit font trembler la France: c’est d’une de mes sœurs – pourtant tenant «à la suisse» son ménage à Paris – que j’ai entendu des récits effrayants des puces de lit qui entrent on ne sait par où mais qu’il est si dur de mettre à la porte. J’avais jadis – reporter débutant en Iran lors de la chute du Chah – été infesté de gale… que le seul hôpital ouvert en ces jours d’émeute avait cru être un mal vénérien encore moins glorieux. Ce verdict erroné fit que la gale m’avait suivi au retour d’Europe, où une clinique moins myope avait vu juste: la maladie n’est certes pas fatale, mais elle infeste vite les proches. Il faut donc apporter au service idoine toute sa garde-robe et sa literie, matelas compris.
Avec les puces de lit, c’est bien pire: toute la maison est à traiter… jusqu’aux prises électriques. Alors quand en été j’ai été piqué la nuit plus d’une fois par un insecte, puis de même chez le voisin du dessus, branle-bas de combat dans l’immeuble. Et comme les feuilles de «conseils utiles» disaient que le bicarbonate pouvait limiter les dégâts, j’en ai mis dans ma chambre et à la cuisine.
Mais c’était une fausse alerte: quand – le lendemain – je trouvai des traces de pattes d’un pouce et une rigole au milieu, j’ai ouvert mon Buffon et dus voir les choses en face: en fait de puce, j’étais l’hôte d’un rat. Oh! j’avais déjà eu des soupçons: était-ce juste le bois qui travaillait, quand j’entendais du bruit la nuit? Et les lacets de mes chaussures neuves étaient-ils vraiment déjà coupés quand je les avais acquises? Je ne me rappelais pas non plus avoir acheté des haut-parleurs sans fil… or ils n’en avaient plus. Quant aux livres anciens, pourquoi donc ont-ils soudain eu «mal au dos», tandis qu’une ou deux îles ont disparu du Pacifique sur ma mappemonde? Alors j’ai préféré nier la gravité de la situation: «Oh! juste une petite souris… j’ai déjà connu ça une fois».
Mickey aime la musique
J’ai donc acheté un petit piège, mais la petite souris ne voulait pas s’y glisser; puis un plus gros calibre, sans plus de succès: là, ce n’était plus une question de taille, mais de savoir-faire. Les rats n’ont pas la mémoire courte, et tous ne sont pas aussi audacieux que celui du film «Ratatouille», qui veut «aller de l’avant» (malgré les pièges que – pour le faire revenir au bercail – ses pairs lui montrent dans une boutique). Mais d’où donc est sorti – c’est le mot – mon rat?
Le Service de la faune avait une réponse toute prête. «Parbleu! la réfection des égouts dans votre rue les a poussés à chercher une résidence secondaire». Et si mes voisins des étages aiment bien les portes ouvertes sur cour pour que la maison soit fraîche, l’instinct sûr du rat l’a mené à mon logis sous-rez. Mince! avec toutes les piles de livres que j’ai chez moi, pas facile de trouver où le rat se terre, même avec l’aide des experts. Et les Travaux publics n’étaient guère émus par mes appels à l’aide (j’ai fini par écrire à la ville de Hamelin: on verra ce que peut leur musicien).
A vrai dire, un rat est si méfiant et si malin qu’il n’est pas facile de le voir: c’est au bout de trois mois que je l’ai surpris une fois. Et surtout, il tombe rarement dans les pièges, fût-ce celui des graines toxiques. J’ai donc dû prendre mon mal en patience, et ce qui devait arriver arriva.
Pas plus gênant qu’un tapir
Une de mes voisines venue du Brésil s’est étonnée de mon idée fixe: «Prendre ou chasser le rat? Mais chez nous, on vit avec… c’est un animal de compagnie comme un autre… et puis, tôt ou tard, il part de lui-même». Même point de vue dans une animalerie, où une ratologue aguerrie m’explique que – si je ne suis pas à un tiroir de chaussures, vingt câbles d’ordinateur, la moitié de mes éponges ou un rayon de livres près, je découvrirai avec le temps combien un rat est futé et doux.
Seul tort, il doit ronger même quand il n’a pas faim: ses dents poussent en continu, et s’il s’échine à faire un trou dans la porte pour passer dans l’autre chambre, c’est plus pour l’exercice que pour l’aventure. N’empêche, l’animalerie m’a vendu une «pierre à rat» décorée de légumes; je lui laisse de temps en temps un bout de pomme, de tomate ou de chocolat. Et enfin, de l’eau: tant que je voulais sa mort, je n’y avais pas pensé; comment a-t-il tenu trois mois sans boire? Et une histoire me revient en mémoire, qui aurait été confiée par un gardien de prison à un délégué de la Croix-Rouge: «Un jour, j’ai fait mettre au violon dans la cave un ivrogne qu’on venait d’amener… et puis on l’a oublié; quinze jours après, ce fut trop tard».
Alors, depuis peu, je le nourris et l’abreuve, et lui ai même donné un nom: Kyral, car il a fait tomber d’un rayon le livre de Panaït Istrati. Bref, plus le temps passe, plus les offres de voisins de me prêter leur chat me font hésiter. Au moment d’écrire ici mes mémoires d’un raté pas encore dératé, je suis donc allé voir deux ou trois faits et chiffres. Et dire qu’il y a cinquante ans en France, on riait quand la «recherche scientifique» finançait l’étude du «toilettage du rat».
La puce tuée dans l’œuf
Un rat solitaire s’ennuie… au point de cesser de manger ou de s’arracher les cheveux; je lui ai donc payé un miroir, dans l’espoir qu’il saute dedans et que je puisse les déposer tous deux au grand air. Un rat et son reflet ont le même sexe, tant mieux car les rongeurs sont encore plus fertiles que les lapins: chaque année peut ajouter deux zéros à leur nombre! Résultat, il y a autant de rats que d’humains sur Terre… et encore, c’est aux chats qu’on doit de ne pas avoir perdu la partie: ils en tuent une vingtaine de milliards par an.
Les laboratoires se contentent d’une centaine de millions de rongeurs mis à mort rien qu’en Amérique. En Inde, certaines grandes villes ont des dizaines d’employés qui détruisent chaque nuit des milliers de rongeurs. Alors si je laisse la vie sauve à mon rat, ce ne sera qu’une goutte dans l’océan. Mais il reste au rat un espoir: l’hebdomadaire «Time» a publié l’an dernier un article sur le «contrôle des naissances» à l’usage de la gent trotte-menu. Mais même là, c’est une infime partie du problème: après en avoir douté, on pense que les insectes – que même un végan laisse tuer par myriades – sont doués de peines et de joies. En tout cas, la «Gazette du rat» fut – pendant des mois – la grande école des sciences de la vie pour toute la rédaction.
Boris Engelson
PS: Ce numéro étant un Spécial Culture & Nature, c’est l’endroit où parler aussi des vaches laitières qui se sont pavanées en janvier à Palexpo (swiss-expo.com). La foire avait deux aires: celle des prestataires, allant des machines agricoles au fourrage ou au sperme, et même au… massage zen. «Vous êtes surpris? Les paysans ont des problèmes de dos!». Sur l’autre aire, les vaches et les veaux étaient torchés par leurs vachers et vachères, qui campaient à côté avec leurs propres cantines: rares sont les foires où le contraste entre ruraux et urbains est aussi net. Les seul(e)s endimanché(e)s que j’ai croisé(e)s était un couple qui tenaient une foire pareille à… Djakarta, et qui était venu tout exprès de là-bas!