Le métier de cordonnier tire son nom de la ville espagnole de Cordoue, célèbre pour son travail du cuir.

/

culture & nature - Sur le bout de la langue

Champagne, badminton, siamois, sacrés noms de lieux!

31 Mai 2023 | Culture, histoire, philosophie

Quel est le point commun entre camembert, calvitie et rugby? Ce sont tous des noms de territoire devenus noms communs. Ils ne sont pas les seuls.

On n’y pense pas toujours, mais une bonne partie de notre vocabulaire provient de la géographie. Au fil des siècles, des noms de villes, de régions ou de pays sont entrés dans notre lexique courant. Certains sont évidents, notamment quand il s’agit de productions agricoles: bordeaux, camembert, champagne, etc. D’autres se devinent aisément: un tissu damassé a pour origine Damas; le cachemire, le Cachemire; les persiennes viennent de Perse; le rugby et le badminton des villes où ont été inventés ces sports et c’est évidemment à Berlin qu’a été mise au point la première berline. D’autres, en revanche, nécessitent un minimum d’explications.

En voici quelques exemples:

Bolduc. Ce drôle de mot est l’altération de Bois-le-Duc, la commune néerlandaise où l’on fabrique ce type de rubans très fin servant à envelopper les cadeaux. De quoi briller lors des prochaines fêtes de Noël (vous me remercierez!).

Calvitie. Jésus est généralement représenté avec une chevelure abondante. C’est pourtant lui qui est à l’origine de ce mot ou, plus exactement, le lieu de son supplice: le Calvaire, à Jérusalem. Inspiré du latin calvaria, le crâne, il s’agit de la traduction de l’araméen Golgotha, un mont dont la forme rappelle précisément un crâne. Par analogie, le terme a peu à peu servi à désigner l’absence de cheveux chez un homme dont la tête ressemble à une boule de billard… A noter que calvitie s’est substituée à chauvesse et chauveté, en usage en ancien français.

Cordonnier. Ce noble métier tire son nom de la ville espagnole de Cordoue, célèbre pour son travail du cuir. Le terme a supplanté au Moyen Age l’ancien français sueur (du latin sutor, cordonnier) et l’ancienne forme corvoisier (que l’on retrouve dans certains noms de famille). Sachez encore que, pendant longtemps, les cordonniers se consacraient à la confection de souliers neufs, le travail de réparation étant confié aux savetiers. La situation n’a changé qu’au XXe siècle, avec l’apparition de l’industrie de la chaussure. Aujourd’hui, les artisans spécialisés dans le sur-mesure sont dénommés bottiers.

Hamburger. Emblème de la «gastronomie» américaine (oxymore?), l’origine de hamburger est en réalité allemande. Le mot renvoie en effet à la ville de Hambourg puisqu’il s’agit de l’abréviation de hamburger steak, littéralement «steak hambourgeois».

L’origine de hamburger renvoie à la ville de Hambourg…

Limoger. Même l’étymologie recèle son lot d’injustices. L’image de la bonne ville de Limoges souffre encore aujourd’hui d’un épisode malheureux de la Première Guerre mondiale. C’est en effet dans le chef-lieu de la Haute-Vienne que le généralissime Joffre assigna à résidence un certain nombre d’officiers jugés incompétents. Le verbe limoger s’emploie depuis pour désigner toute révocation d’une personne, a fortiori quand elle est haut placée.

Limousine. Plus heureuse de ce point de vue, la région a également donné son nom à une voiture de luxe, sans que les linguistes sachent exactement pourquoi. Certains ont cru déceler un lien avec le manteau en poils de chèvre que portaient les bergers de la région, appelé précisément limousine; cette idée de protection aurait ensuite été transmise aux véhicules fermés qui protègent leurs occupants des intempéries. D’autres y voient plutôt l’influence de Charles Jeantaud, originaire de Limoges, qui inventa la carrosserie de cette catégorie d’automobiles. A moins qu’il ne s’agisse d’un emprunt au poitevin saintongeais, une langue d’oïl où ce terme était utilisé pour désigner des voitures possédant des vitres latérales.

Siamois. L’adjectif associé au Siam – le nom de l’ancienne Thaïlande – a connu une grande fortune en français. Il a d’abord désigné au XVIIIe siècle aussi bien une étoffe de coton qu’un canapé en forme de «S» dont les occupants se trouvaient en vis-à-vis. Il connaît aujourd’hui encore deux acceptions courantes. La première correspond à une espèce particulière de chats, importée du Siam à la fin du XIXe siècle. La seconde désigne la malformation de jumeaux rattachés l’un à l’autre. Ce fut notamment le cas de deux enfants originaires de ce pays, venus en France en 1830 pour se faire opérer, mais aussi des frères Chang et Eng Bunker, eux aussi originaires du Siam, qui devinrent célèbres après avoir été exhibés par Barnum aux Etats-Unis au XIXe siècle. C’était l’époque des zoos humains…

 

MICHEL FELTIN-PALAS

Une des acceptions courantes de l’adjectif «siamois», une espèce particulière de chats, importée du Siam à la fin du XIXe siècle.

Cette chronique de Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef de «L’Express» à Paris, est reproduite avec l’autorisation de l’auteur et du magazine.

 

©Michel Feltin-Palas/ www.lexpress.fr/novembre 2020.