Une définition de l’«Occident» est de se mettre en… question.

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hors champ

C’est oui ou c’est non?

3 Mai 2023 | Culture, histoire, philosophie

«Un monde sans les Nations Unies serait-il meilleur?»: un brin agacé par mes taquineries, mon voisin pensait avoir asséné l’argument imparable. C’était au concert des 75 ans de l’Organisation mondiale de la santé, assorti de vivats pro domo à chaque pause. En m’entendant répondre «Oui!», il n’en crut pas ses oreilles; car son «?» était en fait le «!» du vivat suprême, juste arrondi pour ne pas faire trop carré. De nos jours, chez les «gentils» comme chez les «méchants», on croit toutes les avenues à sens unique. Quel chemin de traverse laisse encore échapper aux «Oui!» et Non!» qui n’attendent même pas la question?

De l’angélisme et du cynisme, lequel est la peste et lequel le choléra? On sait – ne serait-ce que par la vie de famille ou par les règles de politesse – combien il est difficile d’être «vrai» ou «juste» plutôt que «bon». C’était d’ailleurs la phrase clef d’un film passé il y a peu au festival Black Movie: «To the North». A l’école aussi, un maître qui prend son titre au mot sera sur la touche, et en art, la critique des modes est passée… de mode.

Penser ou plaire?

Mais c’est dans le monde onusien que «se dire des amabilités est notre devoir premier», pour citer un expert au très numérique Sommet mondial sur la société de l’information (envieux de l’électron… libre). Dans le titre d’un débat, le Club de la presse avait un jour posé la question de la virginité des «organisations non gouvernementales»; mais après cet unique «?», ce fut un faux débat: dès qu’on mit le moindre bémol aux vertus des pêcheurs de migrants, on se fit taper sur les doigts et sur la langue. D’autres fois, quand le journaliste excédé répond à une militante par une boutade – «Je suis contre les droits humains!» – la syncope n’est pas loin: «Qu… qu… qu’aaa… qu’avez-vous dit?!?». C’est donc bien le «ça va de soi» sinon «sans dire», qui fait des évidences – peu à peu mais sans appel – de fausses évidences (qu’on a pu par chance taquiner à un récent forum: unocha.org/humanitarian-networks-and-partnerships-weeks-hnpw). Mais le cynisme peut aussi devenir une routine qui tombe à son tour dans les fausses évidences. Le temps est passé – le cas Eric Zemmour l’a montré – où un candidat qui narguait le public (et prouvait ainsi qu’il n’était pas «suiviste») gagnait des points le jour de l’élection.

Indignez-vous… des autres!

Après les «!» en forme de «?» des « gentils », voyons donc les «!» des «méchants» qui, désormais, clament à tout vent que les droits humains sont un «impérialisme masqué», que les peuples du Sud ne sont «plus dupes», que l’islamisme est la voix des «nouveaux opprimés», que l’étroit «Occident» snobe le grand «Monde», que l’Europe a la «russophobie» dans le sang depuis Charlemagne, que «l’opération spéciale» en Ukraine n’est qu’une réaction tardive mais légitime à «l’invasion» de l’Irak, que la conquête du Soudan a vu «le crime de guerre suprême» des Anglais, que nos «pseudo-démocraties» vivent sous le joug du «capital»… Ces derniers temps au Palais des Nations aussi bien qu’au Salon du Livre, on s’«indigne» de plus belle, comme le voulait Stéphane Hessel. Les amis du Kremlin et même des Américains martèlent que les Etats-Unis ont en Irak le sang de «deux millions de victimes» sur les mains. Pour faire bon poids, ces comptables ont inclus toutes les vies perdues suite à l’embargo qui a précédé l’action armée.

Le point barre est-il cardinal?

Que répondre à ces diplomates, politologues et communicateurs désabusés, sinon qu’ils/elles ont raison… sauf sur un point? Mais le plus crucial de tous: la vérité, seul os à ronger laissé au scientifique et au journaliste une fois l’opinion repue des parties plus tendres (comme la démagogie victimaire qui donne tous les droits à qui s’en réclame). Face à ces assertions, n’est-ce pas au «?» de reprendre ses droits pour mener la vie dure aux «vérités» qui arrangent… trop de peuples? Des questions sans réponse facile, en voici une poignée, rien que sur l’Irak et l’«islamophobie». Si machiavélique que soit la politique de «l’Occident» en «Orient», peut-on oublier que Saddam Hussein régnait par le sang et par les gaz: n’a-t-il pas eu recours aux armes chimiques contre la rébellion de Kurdes enchantés de l’arrivée des Américains? Ne s’était-il pas vanté lui-même d’avoir des armes capables de détruire ses ennemis et d’abord Israël? Pendant l’embargo, n’y eut-il pas tout de même une clause en faveur des médicaments? L’Iran et Total n’ont-ils pas récolté plus de dividendes de l’opération que les Etats-Unis ou Exxon? Des héros comme Salman Rushdie et Noam Chomsky souscriraient-ils au réquisitoire du Geneva International Centre for Justice dont le Comité laisse pantois qui en lit la liste? On entend tant de «déclarations» au Palais des Nations qu’on n’y a plus d’oreille pour les drames moins bruyants, comme ceux de musulmans du Cachemire victimes de leurs «djihadistes» venant dans les familles prendre plaisir chez les femmes et tuant les pères ou sœurs qui ne les laissent pas faire.

A qui la faute?

Assez pour l’Irak, passons à la Russie: certes, Astople de Custine – un cousin de Tocqueville – est parti en Russie royaliste mais en est revenu démocrate… un peu comme les étudiants que Norodom Sihanouk envoyait à dessein à Moscou, car ceux revenant de Paris étaient «tous Rouges». Pour le reste, n’a-t-on pas plutôt connu en «Occident» des vagues de russophilie… portée par les marins anglais à Mourmansk, par les épargnants français à Pétersbourg, par l’aristocratie allemande aux Tsars et par les architectes italiens au Kremlin, par la République de Weimar à l’Armée Rouge (le fameux char T-34 avait un moteur BMW), par les émules de Pestalozzi aux enfants des boyards… et d’une manière universelle, par le gauchisme des intellectuels d’Occident au point que Léon Blum voyait dans le parti communiste à l’Assemblée Nationale un «mouvement nationaliste étranger»? Tandis qu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le président Roosevelt n’avait de mots assez doux pour «my friend Staline»; et que la thèse d’un Otan joyeux de voir l’URSS s’émietter est contestée tant par Françoise Thom que par Marat Shargorodsky: «Au contraire, l’Otan craignait de se retrouver avec trois ou quatre puissances nucléaires». Plus anecdotique mais tout de même parlant, les étudiants de l’Uni de Genève se retrouvent dans la «Datcha», au «Spoutnik», au «Makhno» ou à «Radio Vostok». Quant au mémorial à Souvorov dans nos Alpes, ce n’est que l’an dernier qu’on en a déchanté. Bref, la thèse de la russophobie ne risque-t-elle pas de sombrer, faute de voir l’iceberg des «?» immergés?

La Russie est-elle au Sud?

On pourrait poursuivre à propos des peuples d’Afrique «indignés» par l’Occident, de l’Inde qui perd ses savants lassés de son rétro, des Kouriles dont le Japon n’ose pas parler au sommet d’Hiroshima… Certes, le pire est devant nous, comme le laissait entendre ces jours un orateur à l’Institut Confucius et comme le pense le Pentagone. Et d’accord, le Sud est souvent à l’Ouest qui (lui) a perdu le Nord; mais si – comme il l’a fait il y a un siècle – le Couchant passe le relais au Levant, peu importe le nom qu’on donne aux quatre vents.

 

Boris Engelson