En creusant le plafond, Martin Balbi (un autre prisonnier) arriva dans une sorte de galetas qui lui permettait de rejoindre la cellule de Giacomo Casanova. Après de multiples aventures et contretemps, ils finirent par s’évader et fuir Venise.

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HISTOIRE - Une évasion rocambolesque

Casanova s’échappe des Plombs

25 Jan 2023 | Culture, histoire, philosophie

Lorsque l’on évoque le nom de Casanova, c’est surtout l’image du séducteur qui vient à l’esprit. Pourtant, sa vie mouvementée ne se résume pas aux liaisons libertines. Aventurier doté d’un sens moral assez élastique, il est tour à tour abbé, musicien, enseigne de vaisseau, diplomate, espion, joueur invétéré, amateur de sciences occultes et même escroc à ses heures.

Giacomo Casanova naquit à Venise en 1725. Après de solides études, il s’orienta vers une carrière ecclésiastique. Cependant, suite à de nombreuses incartades, il dut quitter cette voie. Dès 1754, il se mit à voyager et mena dès lors une vie d’aventurier et de séducteur. De retour à Venise en 1755, il fut rapidement couvert de dettes, alternant les conquêtes amoureuses (notamment des femmes de notables vénitiens), les combinaisons financières douteuses et les propos malheureux. Menant une vie dissolue, il finit par dépasser les bornes. Pourtant prévenu par une lettre anonyme qui l’incitait à quitter la ville, il choisit de rester à Venise. Funeste décision!
En juillet 1755, les autorités l’accusèrent, entre autres, de libertinage, franc-maçonnerie, occultisme. Le Messer-Grande (chef de la police) vint arrêter notre trublion pour l’enfermer dans la prison des Plombs (Piombi), l’une des plus terribles de Venise. Celle-ci se trouvait dans les greniers du Palais de Doges (Palazzo Ducale) et son nom venait du fait que le toit était recouvert de plaques de plomb. En été, la chaleur y était insupportable et en hiver le froid mordant. Amené en gondole jusqu’au quai des prisons, on le conduisit ensuite au Palais des Doges par le fameux Pont des Soupirs.

L’évasion

Sa cellule pleine de puces était petite, la chaleur intenable et il ne pouvait pas s’y tenir debout. On le laissa sans rien jusqu’au lendemain matin. Enfin, son geôlier nommé Laurent lui demanda de quoi il avait besoin et ce qu’il voulait manger. Casanova put, en payant, obtenir un lit, une table, une chaise, des habits et des repas soignés: soupes, rôtis, volailles, pain et vin. On lui accorda également des livres «convenables».
Estimant n’avoir rien fait de mal, il pensait sortir rapidement et gardait espoir. Après avoir été sérieusement malade, il décida de s’évader en creusant le plancher de sa cellule. Début 1756, lors d’une brève sortie, il trouva un gros verrou qu’il se mit à limer avec du marbre noir afin d’en faire un outil. A la suite d’un long travail, il arriva à en faire un «esponton» qu’il cacha dans son fauteuil. Restait un problème: le geôlier balayait régulièrement la cellule… Casanova réussit à lui faire croire que la poussière remuée le rendait malade et qu’il ne fallait plus passer le balai.
Après quelques péripéties, Giacomo se mit à l’ouvrage, creusa le plancher et tomba sur des plaques de marbre qu’il parvint à desceller, non sans mal. Restait encore une dernière planche. Tout était prêt mais, malheureusement, le 25 août Laurent vint tout joyeux annoncer à Casanova qu’on allait lui donner une autre cellule, neuve, claire, avec vue sur le Grand Canal et où l’on pouvait se tenir debout. Malgré ses suppliques pour ne pas changer de logis, on le transféra avec ses affaires, dont le fauteuil contenant l’esponton bien dissimulé. Lorsque Laurent trouva le trou dans l’ancien cachot, il se vengea en apportant de la nourriture avariée et en fouillant régulièrement la cellule. Rien de plus.
Giacomo compris que le geôlier n’avait pas parlé du trou aux autorités supérieures par peur d’un blâme, voire d’un renvoi. La situation s’apaisa et notre prisonnier résolut alors de s’échapper par le toit. Un jour, il reçut un livre qu’un autre prisonnier nommé Martin Balbi avait lu et annoté en cachette. Casanova coupa en pointe l’ongle de son petit doigt, qui était très long, pour en faire une plume et écrivit avec du jus de mûres. Ainsi, grâce à des échanges de livres, les deux hommes établirent une correspondance. Trop surveillé pour creuser lui-même, Casanova arriva à faire parvenir l’esponton à Balbi. Ce dernier commanda des images saintes et en tapissa les murs et le plafond de sa cellule, dissimulant ainsi le trou. En creusant, il arriva dans une sorte de galetas qui lui permettait de rejoindre la cellule de Giacomo. Après de multiples aventures et contretemps, ils finirent par s’évader et fuir Venise.
Casanova raconta son évasion, un peu romancée, dans un livre intitulé «Histoire de ma fuite», publié à Prague en 1787. Il en parla aussi dans ses mémoires, «Histoire de ma vie», commencés en 1789. Jacques Casanova de Seingalt finit sa vie seul, impotent et ruiné, comme bibliothécaire du comte von Waldstein, un de ses frères maçons, au château de Dux en Bohême (Duchcov en Tchéquie)*, où il mourut en juin 1798.

 

Frédéric Schmidt

 

* Le château de Duchcov, construit par l’architecte français Jean-Baptiste Mathey, a vu passer dans ses murs des personnalités telles que Goethe, Friedrich Schiller, Frédéric Chopin, Casanova (comme bibliothécaire) et Ludwig van Beethoven (1812). Enfin, c’est aussi dans ce château qu’eurent lieu des conversations politiques entre le tsar Alexandre Ier de Russie, le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse et l’empereur François Ier d’Autriche.