Dessiner un coeur, c’est facile; mais «montrer» un neutron, c’est encore plus trompeur!
(l’excellente Fondation Lego est dans le coup du Portail de la science qui doit s’ouvrir au Cern cette année).

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hors champ

Ça va sans dire

11 Jan 2023 | Culture, histoire, philosophie

Rien n’est plus dur, pour un journaliste, que de vivre dans un monde où tout a été dit. En un sens – hélas! – c’est le cas en ce début d’une année de plus.

A quoi «bon» parler et écrire? Ce qui renvoie à la question de l’origine de la langue: à quoi bon parler, si c’est juste pour dire à son voisin «fait beau c’matin»; il le voit de lui-même, comme le «ici on vend de belles oranges pas chères» de la fameuse blague.

Le mensonge est un souverain populaire

La locution populaire «parler de la pluie et du beau temps», c’est donc parler pour ne rien dire. Des siècles plus tard par contre, «Il fait beau chez nous cet hiver» est une info clef donnée à l’oncle Picsou quand il appelle d’Amérique ses neveux Sanlsou… qui veulent un cache-nez pour Noël: trop lyriques, ils ont fourni son alibi à l’oncle… «A quoi bon, s’il fait beau?». Plus vital encore car question de vie et non de nez, le «pas un nuage en vue» des «guides du ciel» dit au pilote s’il peut atterrir sans risque à vue et pas au nez. L’indicatif n’a donc de valeur qu’à distance; voyons le futur, puis l’impératif ou le vocatif et le conditionnel ou le subjonctif, dont des linguistes disent qu’ils sont la vraie source des langues.
«Il fera beau demain», ancêtre du «On rasera gratis», est fort utile… au devin qui monnaie l’avenir en rose. Et miracle: le votif «Dieux de la pluie et du beau temps… prends un bœuf et un œuf… mais qu’il fasse beau demain!» des incantations propitiatoires n’entame guère le prestige du sorcier quand vient (ou dure) la sécheresse ou la tempête. Sans doute que le public attend moins la magie de la pluie que les rites de style. De l’incantation à la comptine à la compta… que de paroles ou de lettres servirent aussi à éduquer les enfants sinon à plaquer son/sa conjoint(e), à vanter son poisson pourri ou à séduire les votant(e)s, à signaler l’attaque ou à berner l’ennemi… si besoin en langage codé.
Pour bercer les bébés, un air suffit sans mots… mais siffler ne vaut pas «Attention!»… «Viens ici!»… «Tu te rappelles?»… et ne dit pas si c’est pour «Jean» ou «Marie». Encore omet-on ici l’écrit, créé pour flouer le fisc ou – cette fois – bercer l’histoire. Ce qui nous ramène – par oral ou en écrits – aux vœux de Nouvel An du départ…

L’air du temps sert à passer le temps

Bref, dans ces colonnes pendant des lustres, avant de prendre la plume, on se posait la question: qu’écrire qui n’ait été dit mille fois? C’était plus facile avant le Web, quand on vivait en bulle… mais désormais, même la «nouvelle» la plus fraîche ou l’analyse la plus savante nous arrive du bout du monde en un clin d’œil.
Question plus cruciale encore: qu’écrire qui ne le soit pas pour plaire à l’esprit du temps… bref, comment aller au bout de ses idées, malgré les lancers de tomates ou les jets de pierre des gens normaux qui ont les mots «justes» mais ne parlent pas «vrai»? Nul besoin d’être un génie ni un héros pour ça: suffit d’être d’emblée mal vu des gens «bien» et autres tireurs d’oreilles, d’avoir la tête déjà pleine de cabosses et la veste tachée des deux côtés… et on est vite hors des cercles «de qualité» sans même penser à mal. En démocratie, les grands penseurs sont grands du grand silence que leur disque rayé impose aux timides… et les grands cœurs le sont surtout par leur morale «bouche en cœur». Mais dire ça… si choquant pour les chastes oreilles de l’an passé encore… devient monnaie courante – voire évidence qui va sans dire – au seuil de 2023.
On dit «Nul n’est grand homme pour son valet», mais en temps normal, le valet garde le secret. La Covid puis l’Ukraine les ont-elles déchaînés? Depuis peu, les médias les plus sages s’en prennent à la justice biaisée, à la militance bornée, au pacifisme bêlant, à la censure masquée, au syndicats pourris… on va le voir.

Les vaches sacrées à l’abattoir

Un an de guerre à nos portes nous a-t-il ouvert les yeux… et sur quoi? «Mais où est donc passée l’Onu?» gémissent les chorales de la paix, même au cœur du Palais des Nations. «Les têtes politiques de l’Europe continuent à voir le monde au niveau d’une tête d’autruche», clament sans égards les étoiles de l’Otan. Va pour la fraternelle paix… objet de la soudaine dérision des gradés… passons à la vivante liberté: «L’air est plus libre en Russie que sur nos ondes en Occident»… répète l’ex-chef du Club de la presse. Lui semble donc penser que la Russie est libre comme l’aigle de sa bannière… ici on croit plutôt que la clef de notre République a mis en cage la pensée… mais même en des sens contraires, la chose a été dite… bref, un tabou de moins.
L’égalité, troisième idéal, partagé celui-ci par les militants de 1789 et ceux de 1917: les pertes subies en Bourse ces jours par les riches des Gafam a brisé – le temps que les mythomanes reprennent leur souffle – le mythe du «les riches toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres». Par contre, «on ne lâchera rien» n’est pas le slogan des patrons, mais le cri des employés du Canton de Genève qui – même nantis – veulent cet hiver «gagner une classe» au barème des salaires. Et si à Bruxelles on peste depuis des lustres contre les «lobbies» des affaires, on a mis le temps à admettre que les doubles tiroirs les plus étanches étaient… syndicaux; encore un tabou mal en point. Quant à la droiture de la Justice… les Valaisans disent tout haut ce qu’en aval on pense tout bas.
Bon, même si la liberté, l’égalité et la fraternité sont aussi bafouées ces temps en notre République qu’elles le furent en deux siècles et quart par les cinq d’Outre-Jura… le cœur et l’esprit gardent une valeur sûre: l’Amour!

Scène de ménage à Troie

Passe encore que – les chiffres le disent (d’Hélène de Troie à Viviane de Thoune) – le couple soit le haut-lieu du crime… mais tant qu’un de nos théâtres – qui se veulent plus audacieux l’un que l’autre – n’aura pas mis en scène une Juliette laide comme un pou et un Roméo grossier comme un charretier, l’amour sera l’alibi de l’élitisme, de l’égoïsme, du narcissisme, de l’aguichage: un troc de luxe, en somme. Faute d’amour en or massif entre humains et humaines, reste l’amour de la science et des arts.
Mince alors: un livre trouvé à la brocante – «La chose littéraire» du célèbre éditeur Bernard Grasset – dit pis que pendre de la mode des lettres qui attire ceux qui n’ont rien à dire, mais sont prêts à le faire pour la gloire et les épinards… seule rime qui vaille à leurs yeux. C’est le genre de vieux livres qui ne plaît pas à nos «services culturels»: voilà sans doute pourquoi selon un bouquiniste «lesdits services ne sont jamais à court d’argent pour flatter les artistes vivant et votant… mais n’auront jamais de fonds pour aider le vieux livre hors commerce». Certes, «qu’importe l’âge du livre pourvu qu’on l’ouvre et qu’il nous ouvre», diront les maîtres d’école… primaire ou tertiaire.
Mais qui croit encore aux vertus de la «formation»: suffit de lire le discours de haine de la Faîtière des étudiants sous renverse.co pour voir à livre ouvert que les Universités romandes ne sont plus que des sectes «woke» fermées sur leur nombril… même «Watson» le dit.

Parler d’un autre monde

Bref, tous nos totems sont pourris; mais comme dit l’adage, «tant qu’on a la santé…»: or même notre système de santé tant vanté… cette «sécu» du Nord que l’«Organisation mondiale de la santé» et celle «internationale du travail» donnent en exemple au Sud… est en faillite totale: «L’esprit public» en a tout dit ces jours à France-Culture. Dernier espoir, la science pure… et là le rôle des médias ne va pas de soi ni sans dire: le soussigné est un physicien raté, et cherche depuis lors ce que peut être une science non «académique». Mais la science n’est pas du Lego (même si cette maison joue le jeu au «Portail de la science» à Meyrin; voir image ci-jointe): il ne suffit pas de permuter les cinq signes de E = mc2 pour faire des lois «fondamentales». En fin de compte, il reste bien au sommet de l’Olympe ou au fond du Cosmos des vaches sacrées au-dessus de tout soupçon: si tout a été dit sur le bruit du bas monde, tout reste à dire sur les «non-dits» des hauts esprits. Alors, de l’Esplanade des particules au Festival (…) des droits humains, du salon de Palexpo sur l’art à ceux sur la médecine, de l’éthique de Building Bridges à celle de la Convention sur les armes bio… lieux où les médias mettent peu les pieds (parfois les mains pour applaudir)… on trouvera encore des choses à dire… surtout sur ce qui «va sans dire».

 

Boris Engelson