HISTOIRE - Espionnage au XVIe siècle
Au service secret de Sa Majesté!
Le règne d’Elisabeth 1ère d’Angleterre, de 1558 à 1603, fut culturellement riche et politiquement mouvementé: complots et menaces d’invasion se succédèrent. Pour y faire face, elle put compter sur un maître espion particulièrement habile, Sir Francis Walsingham.
Lorsque Mary Tudor monta sur le trône en 1553 et tenta de restaurer le catholicisme, Francis Walsingham, fervent protestant, préféra l’exil. Après plusieurs années passées en Europe, il ne rentra en Angleterre qu’après le couronnement d’Elisabeth 1ère. Ambassadeur d’Angleterre en France de 1570 à 1573, il fut nommé secrétaire d’Etat et membre du Conseil privé après son retour à Londres. Peu à peu, il créa un service de renseignement efficace aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.
Sa première priorité fut de déjouer les nombreux complots catholiques visant à renverser Elisabeth pour la remplacer par Mary Stuart, reine d’Ecosse. Cette dernière, bien qu’en résidence surveillée en Angleterre, pouvait utiliser la valise diplomatique de l’ambassade de France pour sa correspondance. En effet, elle avait été reine de France1.
Bien entendu, Walsingham avait pris soin de recruter des agents au sein de ladite ambassade. Ces derniers lui révélèrent qu’un certain Francis Throckmorton était chargé de transmettre des lettres secrètes entre Mary Stuart et ses sympathisants anglais. En novembre 1583, Throckmorton fut arrêté et emprisonné à la Tour de Londres. Torturé, il donna tous les détails du complot avant d’être exécuté. Il s’agissait de faire coïncider le soulèvement de l’aristocratie catholique anglaise avec un assaut naval mené par le duc François de Guise (oncle de Mary Stuart), le tout financé par le roi Philippe II d’Espagne.
Le piège
Malgré l’échec du complot, tout danger n’était pas écarté. C’est pourquoi Francis Walsingham décida en septembre 1585 d’interdire la valise diplomatique à Mary Stuart. Peu après, un nommé Gilbert Gifford se présenta à elle pour lui proposer d’acheminer secrètement sa correspondance. Il proposait de faire passer les lettres, dissimulées dans des tonneaux de bière. Bon catholique et inspirant toute confiance, il fut engagé. Pourtant, Gifford était tout simplement un agent de Walsingham… C’est ainsi que fut déjoué le complot dit de Badington.
Pour sa correspondance, la reine d’Ecosse utilisait un alphabet chiffré créé par Thomas Morgan. De son côté, Sir Francis avait également son propre spécialiste en la personne de Thomas Phelippes, mais aussi un faussaire nommé Arthur Gregorye capable de refaire un sceau à la cire2. Ainsi, la correspondance de Mary Stuart pouvait être déchiffrée, voire même truquée. Dans une lettre, Walsingham fit ajouter une page dans laquelle il était demandé à un certain Badington les noms de gentilshommes fiables susceptibles d’agir contre Elisabeth. En mai 1586, après des mois de surveillance et de décryptage, Walsingham fut en mesure de mettre en cause la reine d’Ecosse dans cette cabale. Les conspirateurs furent arrêtés et Mary Stuart décapitée en février 1587, malgré les réticences d’Elisabeth.
John Dee:
le premier 007?
L’astrologue et mathématicien John Dee fit partie des personnages que Walsingham aimait utiliser. Dee signait ses lettres à la reine «007», ce qui, selon certains, aurait inspiré Fleming pour son personnage de James Bond. Les deux 0 représentaient les yeux au service de la reine et le 7, chiffre hautement symbolique, pouvait signifier ici l’aspect entier, permanent et total du dévouement de Dee envers sa souveraine. A l’époque, la menace d’une invasion espagnole pesait encore sur l’Angleterre: celle de la Grande y Felicisima Armada. Francis Walsingham se démenait pour obtenir des renseignements stratégiques permettant d’organiser la défense anglaise. L’un des buts de Philippe II3 était de rétablir le catholicisme en Angleterre comme religion officielle et de détrôner la reine Elisabeth 1ère.
Grâce à l’un de ses agents, Antony Standen, alias Pompeo Pellegrini, Walsingham se procura une copie du rapport fait par le marquis de Santa Cruz, alors chargé de l’Armada. Cette flotte se composait de 510 navires, dont 150 bâtiments de guerre. Sur les conseils de Sir Francis et du comte de Leicester, la reine Elisabeth envoya en avril 1587 le corsaire Francis Drake attaquer une partie de la flotte espagnole à Cadix avant qu’elle ne prenne la mer. Ce raid retarda les préparatifs espagnols et donna plus de temps aux Anglais pour préparer leur défense. En raison de renseignements contradictoires, Walsingham ne savait pas encore à quel endroit les Espagnols avaient prévu de débarquer. Il faut dire que l’un de ses agents, Edward Stafford, était en fait au service de Philippe II! On ne gagne pas à chaque coup…
Partie de Lisbonne en mai 1588, l’Invincible Armada, après avoir subi de nombreuses tempêtes et plusieurs combats, fut contrainte de renoncer à ses objectifs. Quant à Walsingham, il mourut le 6 avril 1590, épuisé par des années de travail acharné. Son action fut d’autant plus remarquable qu’il ne disposait pas, au départ, d’un service secret institutionnel organisé. Il recrutait lui-même ses agents, de l’aristocratie aux bas-fonds londoniens. A sa mort, il comptait également de nombreux correspondants dans toute l’Europe et même en Asie.
Frédéric Schmidt
1. Mary Stuart (1542-1587). Reine d’Ecosse de confession catholique, elle épousa le futur François II en 1558 et devint à ce titre reine de France de 1559 à 1560. En effet, François II mourut à 16 ans et régna à peine plus d’une année.
2. A cette époque, le courrier était souvent cacheté. C’est-à-dire scellé avec de la cire à cacheter sur laquelle on apposait généralement un signe distinctif (Initiales, armoiries etc.). A l’ouverture de la lettre, la cire durcie se brisait.
3. Philippe II (1527-1598) roi d’Espagne. Avant d’être roi, il épousa en secondes noces la reine d’Angleterre Mary Tudor en 1554. Il fut donc roi consort d’Angleterre jusqu’en 1558, date de la mort de Mary Tudor.