André Paul a crayonné comme nul autre l’âme vaudoise.

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culture & nature - Hommage

André Paul, à la pointe du crayon et de l’humour

1 Mar 2023 | Culture, histoire, philosophie

Dans une monographie richement illustrée, l’enseignant valaisan Jean-Pierre Coutaz rend hommage à André Paul, le doyen suisse romand des dessinateurs de presse disparu en 2018, l’aîné des Burki, Mix et Remix, Chapatte et de bien d’autres, qui a illustré notamment toutes les «unes» de l’édition dominicale de la «Tribune de Lausanne», ancêtre du «Matin Dimanche». Evocation de cet immense et talentueux dessinateur, créateur d’un style reconnaissable entre tous.

Le petit Paul André Perret naît le 27 décembre 1919 au Locle. Il prendra ses deux prénoms comme nom de dessinateur, lui qui s’est formé dès 1939 à l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs à Paris. Quittant la France envahie par les Allemands, il retourne en Suisse et passe cinq années sous les drapeaux. Cette longue période militaire l’inspirera à de nombreuses reprises dans ses dessins de soldats et d’officiers suisses si caractéristiques. S’établissant graphiste à Bienne au sortir de la guerre, André Paul travaille pour Omega. C’est le célèbre journaliste Jack Rollan qui lancera André Paul dans la presse et dans le dessin de presse, dont il sera le doyen non officiel jusqu’à sa mort en 2018, à l’âge de 99 ans.

Le premier dessinateur de presse de Suisse romande

Selon Jean-Pierre Coutaz, «André Paul, travaillant souvent à la demande et dans l’urgence, ne s’est guère soucié de dater ses dessins, ni de les annoter. Si bien que les événements liés à l’actualité politique et autres domaines ne suscitent aujourd’hui – hélas! – que de vagues souvenirs chez le lecteur. Néanmoins certaines œuvres, même après bien des années, collent singulièrement à cette période qui est la nôtre et se révèlent parfois presque prémonitoires portant sur la guerre, la pollution, la sexualité, le tabagisme ou les réfugiés».
Curieux, attentif à son environnement et à ses concitoyens, André Paul, en fin observateur, croque tout ce qui lui passe à portée de plume. Par son travail d’illustrateur, il doit se documenter dans des domaines très variés: de la médecine à la pédagogie, de l’alimentation aux produits de beauté, de la politique aux techniques scientifiques. Il consacre son talent à l’illustration de brochures professionnelles, de nouvelles et de romans aussi différents que «Thérèse Desqueyroux» de François Mauriac et toute la série des San Antonio de Frédéric Dard.
Jean-Pierre Coutaz précise: «Quand il ne dessine pas, il est en permanence en train d’observer le monde qui l’entoure. Rien ne lui échappe. Le regard qu’il porte sur les êtres est plus malicieux qu’ironique, jamais agressif, toutefois sans complaisance. Doué d’un sens de l’autodérision, il refuse tout dogmatisme. Cette ouverture d’esprit et cette tolérance éclairent toute son œuvre».

Le peintre de l’âme de la Suisse

Comme Antoine Duplan l’a écrit dans «Le Temps» lors du décès du génial dessinateur de presse, André Paul a crayonné comme nul autre l’âme vaudoise. Duplan poursuit: «Il était un monument. André Paul Perret, qui, à 90 ans bien sonnés, gardait l’œil et l’esprit vifs. Parce qu’il a dessiné le logo du Crapaud à Lunettes et des réclames pour la CGN ou les CFF, parce que tous les dimanches il croquait l’actualité en «une» de «La Tribune», l’artiste a dessillé les yeux d’une génération de petits Romands».
André Paul a exprimé l’âme de la Suisse, de ses institutions, de son peuple de montagnards et de citadins un peu rugueux, mais travailleurs, porteurs d’une certaine jovialité. Antoine Duplan ajoutait: «Parfois féroce ou polisson, flirtant avec l’humour noir, André Paul ne s’est jamais départi de sa gentillesse. Ce virtuose du trait excellait dans les métamorphoses; les poings serrés d’un bras de fer dessinent les profils de Carter et Brejnev. Il n’avait pas son pareil pour représenter les plaisirs de la table. Sans négliger une pointe surréaliste, comme cette pince de crabe ouvrant la boîte de l’intérieur. La tendresse l’emportait toujours sur la cruauté». André Paul Perret fut unique et ne peut être rapproché d’autres dessinateurs. La Suisse lui doit une partie de l’image qu’elle s’est donnée à elle-même durant presque un siècle grâce au crayon doux et acéré de cet artiste singulier. La monographie parue fin 2022 aux Editions Château & Attinger, présentant de nombreux dessins évoquant le tabagisme, la guerre, la vieillesse, l’amour, rend un bel hommage à celui qui fut vraiment nôtre.

 

Laurent PASSER

«André Paul à la pointe de l’humour»,
par Jean-Pierre Coutaz. Editions Château & Attinger, 2022.