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culture & nature - Marbres du Parthénon: des Suisses agissent

Albion cessera-t-elle de défier Aphrodite?

16 Août 2023 | Culture, histoire, philosophie

Le 20 juin dernier, le Musée de l’Acropole à Athènes fêtait ses quatorze ans. Tel un adolescent qui jamais encore n’a connu ses parents, cette institution reste orpheline de la moitié environ des marbres du Parthénon, que détient le British Museum. Malgré quarante ans de résolutions de l’Unesco et de l’ONU, en dépit de négociations avec le gouvernement grec, l’institution britannique persiste à refuser leur rapatriement. Le Comité suisse pour la réunification des marbres du Parthénon (CSRMP), présidé par le professeur Dusan Sidjanski, se mobilise pour le retour de cette œuvre dans son pays natal.

Gros plan du panneau Horsemen. Les sculptures du Parthénon situées à l’origine au-dessus des colonnes du péristyle du Parthénon sur l’Acropole (British Museum, Londres).

Il y a 2500 ans, sous l’impulsion de Périclès, un ensemble monumental unique est érigé sur la colline qui domine la capitale grecque, l’Acropole: le Parthénon en occupe le cœur. Ce temple incarne l’apogée de la culture grecque. Les visiteurs affluent du monde entier pour le voir, au rythme de plus de 16 000 personnes par jour.
Sur le pourtour du Parthénon, une frise longue de 160 mètres racontait à la manière d’une bande dessinée la naissance des dieux grecs et la vie quotidienne des Athéniens sous Périclès. L’architecte suisse Bernard Tschumi, qui a conçu le Musée de l’Acropole, qualifie cette décoration de «suite narrative». «Je suis de ceux qui pensent que ces marbres sont le premier film au monde», renchérit Dusan Sidjanski, fondateur du Département de science politique de l’Université de Genève, dont il est aujourd’hui professeur honoraire.
En 1801, alors que la Grèce était une province de l’empire turc, l’ambassadeur britannique à Constantinople, Lord Elgin, a arraché plus de la moitié des sculptures du Parthénon, leur causant des dommages certains, pour les envoyer à Londres. A l’époque déjà, des voix, dont celle de Byron, s’insurgent contre ce transport, mais en 1816, une Commission officielle britannique conclut à la légalité de la cession des marbres par les Ottomans. Le British Museum, qui les conserve aujourd’hui, se prévaut encore de cette Commission pour défendre la légitimité de sa possession.

Des négociations discrètes

En 1982, la Conférence mondiale de l’Unesco sur les politiques culturelles recommande le retour des marbres en Grèce, une position réitérée de nombreuses fois depuis par différents organes de l’Unesco, par l’ONU et par le Parlement européen. En 1983, Melina Mercouri, la ministre grecque de la Culture, demande la restitution des frises. Mais en 2021, le premier ministre britannique Boris Johnson répétait encore que les marbres étaient légalement en possession du British Museum.
Des négociations discrètes ont été entamées en novembre 2021 entre le président du musée et le premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis. Le refus des autorités britanniques d’intervenir dans les tractations lie les mains du musée, car le British Museum Act de 1963 lui interdit de se défaire des objets en sa possession.
Au début de cette année, le British Museum s’est déclaré ouvert à un prêt à la Grèce, tout en refusant de transiger sur la propriété des marbres qu’il détient. Pour la Grèce, accepter un prêt signifierait avaliser la position du musée, bien que le mot «prêt» serve parfois à habiller des solutions durables, voire définitives.

Des précédents

«La Convention de l’Unesco 1970 contre le trafic illicite de biens culturels ne s’applique pas aux marbres du Parthénon, à cause de sa non-rétroactivité», explique Patricia van Gene-Saillet, secrétaire du Comité suisse pour la réunification des marbres du Parthénon. «La démarche de restituer les biens culturels à leur pays d’origine a pris de l’ampleur depuis le début de ce millénaire», souligne-t-elle cependant.
Le gouvernement italien a par exemple rendu en 2005 l’obélisque d’Axoum qui avait été transporté à Rome par les troupes de Mussolini. Emmanuel Macron a commandé en 2018 un rapport qui conclut à la restitution de milliers d’objets emportés lors de l’occupation coloniale des pays africains. En 2021, les Pays-Bas se sont engagés à restituer tous les objets apportés aux collections nationales durant l’ère coloniale.
Depuis deux ans, plusieurs avancées laissent espérer qu’une solution est à portée de main, indique Mme van Gene-Saillet. En janvier 2022, le quotidien «The Times» s’est prononcé – pour la première fois en deux siècles! – en faveur du retour des marbres à Athènes. Le fait que le Vatican ait restitué en mars 2023 à la Grèce des éléments de la frise, que l’Autriche soit actuellement en discussion avec la Grèce pour des prêts croisés de longue durée grâce auxquels Vienne transférerait à Athènes les fragments qu’elle conserve et qu’un musée de Palerme ait en 2022 conclu un accord de prêt à long terme avec la Grèce met le British Museum sous pression.

Le droit évolue

Dans son récent livre «The Parthenon Marbles and International Law», Catherine Titi, chercheuse au CNRS spécialisée en droit international, estime que ces décisions marquent une évolution de la jurisprudence internationale et font naître une règle de droit coutumier qui s’applique à tous les Etats. Elle rappelle aussi l’arrêt de la Cour Internationale de Justice de 1962, obligeant la Thaïlande à rendre au Cambodge les objets prélevés dans le temple de Preah Vihear: «Cet arrêt dit bien que ce qui appartient à un monument public lui est lié pour toujours».
Le gouvernement grec a proposé au British Museum le prêt de pièces de sa collection pour des expositions tournantes, en remplacement des sculptures du Parthénon. Cette solution est soutenue par le groupe «Parthenon Project», créé et financé par l’homme d’affaires grec John Lefas et présidé par l’ancien ministre britannique de la Culture, Lord Ed Vaizey. Deux autres lords conservateurs, Lord Dobbs et la Baroness Meyer, siègent au Comité de cette association, aux côtés notamment de l’acteur Steven Fry. Ils s’activent à obtenir le soutien de membres du Parlement pour l’adoption de The Elgin Marbles Act, qui permettrait au musée de contourner la loi de 1963. Il est donc possible qu’au moment où il atteindra sa majorité, le magnifique musée de l’Acropole ne soit plus orphelin.

 

Cesare Accardi

 

Le Comité Suisse pour la Réunification des Marbres du Parthénon a réalisé une belle vidéo visible à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=RAA4tsLM_vM