Un sésame vers trois mille ans de savoir-faire viticole

«Le vin albanais est inconnu de la population helvétique», explique Egin Telqiu. Et l’homme sait de quoi il parle. A son actif, plusieurs années passées en tant que sommelier dans les hôtels de luxe à Genève, une centaine de dégustations organisées aux quatre coins de la Suisse… et toujours ce même mélange d’étonnement et d’émerveillement suscité chez le public qu’il fait voyager à coup de cépages uniques. Même les experts découvrent en ouvrant un vin albanais un univers inexploré. Et les éloges ne manquent pas, y compris chez les plus grands vignerons suisses. «Yvan Parmelin – vigneron du Domaine de la Croix à Bursins sur la Côte vaudoise – m’a dit qu’il était très jaloux de mon vin», glisse Egin Telqiu, pas peu fier.
Après avoir sillonné la Suisse pour promouvoir ses vins, l’œnophile a désormais pignon sur rue au bout du lac. Adriatic Heirlooms propose une cinquantaine de «vins d’auteur» avec de nombreux cépages autochtones trouvables nulle part ailleurs et soigneusement sélectionnés pour ravir le palais. Voilà une vitrine de choix pour dévoiler à la Suisse le vin d’Albanie – sans doute l’un des secrets le mieux gardé du terroir méditerranéen. Dans cette même boutique, des eaux-de-vie extraites à partir de pur jus de raisin et des huiles d’olive au bouquet remarquable. Là aussi, l’excellence balkanique tient tête à la maestria d’Italie.

Des produits d’exception

Comme il faut toujours le boire pour le croire, on ouvre une bouteille emblématique d’Adriatic Heirlooms: un Kallmet Prestige, primé à Londres et Berlin. Au nez, on distingue très vite un riche bouquet de rosacées. La première attaque en bouche amorce sur des fruits confits – entre pruneaux et cerises, avec un léger goût de poivre. En fin de bouche, une légère acidité pointe le bout de son nez. Elle est si bien maîtrisée qu’elle vient légèrement titiller le palais jusqu’à faire saliver, et déguster à nouveau. «Un vin sans acidité, c’est comme un homme sans colonne vertébrale», précise Egin Telqiu, dont le palais semble aussi aiguisé que son sens de la formule.
Le blanc n’est également pas en reste. Le Lavardar est d’une rondeur remarquable en bouche et ravit par ses notes de fleur blanche. «C’est le vin que mes clients suisses ont adopté pour la fondue et la raclette», souligne notre expert. On comprend pourquoi. Jamais deux sans trois, le passionné nous sert un verre de Monte Mecca, un très soyeux et équilibré assemblage «cousu main». Du Montepulciano pour l’opulence, du Merlot pour le fruit et du Cabernet pour la charpente. Parfait pour exalter un plat de chasse.

Terroir plurimillénaire

L’Albanie réunit tous les paramètres géographiques et historiques pour une viticulture et oléiculture d’exception. Le climat y est comparable à celui de son voisin italien, avec lequel elle a échangé beaucoup de savoir-faire viticole. Voilà quasiment trois mille ans que celui-ci se développe en Albanie, et l’industrialisation de masse n’est pas près de passer par là.
Ce terroir ancestral, Egin Telqiu y est né. Il entretient encore des liens étroits avec lui. Guidé par l’émotion que lui procure le vin, il retourne régulièrement au pays pour participer aux vendanges et s’associer avec les vignerons les plus passionnés. Ceux-ci semblent en tout cas avoir trouvé un ambassadeur de choix pour la Suisse. Si le pays ne connaît encore que très peu le savoir-faire viticole albanais, il est en train de s’y ouvrir. Et lorsque le vin albanais sera dans toutes les caves helvétiques, Egin Telqiu y sera assurément pour quelque chose.

Jean Friedrich