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Un ouvrage qui fera date

Paysan, que ton chant s’élève au clair matin

4 Oct 2023 | Chevaliers du terroir

Caracolant depuis plusieurs semaines en tête des ventes des librairies en Suisse romande, «Faire paysan» (Editions Zoé), signé du co-auteur du livret de la dernière Fête des Vignerons Blaise Hofmann, est un voyage intime juste et vrai sur le monde paysan romand qui a mauvaise presse en ces temps de crise écologique. Auteur d’une douzaine de livres, dont «Estive» et «Notre mer», Blaise Hofmann, écrivain qualifié de voyageur (il est récipiendaire du Prix Nicolas Bouvier 2008 au Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo), révèle tendrement dans cette enquête superbement écrite le plus vieux et le plus essentiel métier du monde, celui de paysan, qui se réinvente constamment. L’écrivain et vigneron répond à nos questions.

– Pour quelles raisons avez-vous décidé d’écrire ce livre?
– Les initiatives contre les produits phytosanitaires, en 2021, m’ont fait mal au ventre. Elles auraient pu être l’opportunité de réunir les citoyens et leurs paysans autour d’une table pour évoquer les enjeux, les périls et l’avenir de l’agriculture suisse. Hélas! Le débat a été stérile. Les positions se sont renforcées. J’ai voulu par ce livre donner la parole à tout le monde, bios et conventionnels, ville et campagne, grandes exploitations technologiques et micro-fermes en permaculture, tenter de comprendre les avis et voir quels pourraient être les points de convergence.

– Pourquoi avoir choisi la forme du reportage ou du récit, plutôt qu’une forme romanesque ou de fiction?
– La forme s’est imposée d’elle-même, et je m’aperçois que ce livre me ressemble. Je souhaitais au départ faire un long reportage en immersion (j’ai été journaliste). Rapidement, j’ai compris qu’il fallait étudier l’évolution historique de l’agriculture (j’ai étudié l’Histoire). Enfin, tout cela résonnait intimement avec mon enfance paysanne, mes quatre grands-parents paysans, mon village natal: l’écrivain a pris le relais pour y ajouter du ressenti, de l’émotion.

– Quelles sont, selon vous, les raisons qui expliquent la mauvaise réputation actuelle du monde agricole à notre époque malgré le succès, notamment, des brunchs à la ferme et sur le plan politique (votations fédérales soutenant l’agriculture suisse)?
– Les paysans paient encore toutes les erreurs commises dans les années 1960-90. Il y a une inertie terrible dans les représentations, et les progrès réalisés depuis 2000 ne changent rien. L’année 1996 a en outre marqué un basculement, avec la maladie de la vache folle, qui a rompu la confiance en les éleveurs, et l’instauration des paiements directs, qui ont fait des paysans, dans l’esprit des citadins, des «assistés» à charge de la population. On a oublié la noblesse de leur fonction première : nourrir… Il serait temps qu’on attribue cette mauvaise réputation aux vrais responsables des fiascos agricoles: la grande distribution, les monstres de l’agroalimentaire et de l’agrochimie.

– Votre participation à la Fête des Vignerons vous a-t-elle rapproché de la Suisse romande et plus généralement de la terre nourricière ?
– La Fête a peut-être encore enfoncé le clou. C’est durant sa gestation que j’ai repris un hectare de vigne familiale et commencé à l’exploiter. Plus généralement, la Fête m’a sensibilisé à l’importance de la transmission entre les générations, des patrimoines immatériels, tous ces savoir-faire, ces savoir-être, ces gestes en voie en disparition.

– Pensez-vous que la paysannerie ait encore un avenir dans notre pays?
– Evidemment! On constate une hausse des CFC agricoles. De plus en plus de femmes, de plus en plus de «néo-paysans». Partout, on revendique un retour à la terre. Reste à inventer une agriculture durable écologiquement, mais aussi économiquement et humainement.

– Comment expliquez-vous le grand succès que rencontre votre ouvrage?
– Trois fermes disparaissent chaque jour en Suisse. Les paysans ne constituent plus que 1,7% de la population. Il semblerait qu’on se rapproche d’un seuil que la population n’ait pas envie de franchir. La pandémie et la guerre en Ukraine ont peut-être bousculé le sens des priorités. On souhaite une agriculture à taille humaine, des circuits courts, et en même temps tendre vers une forme d’autonomie alimentaire, remettre l’alimentation au centre de la politique agricole.

 

Propos recueillis par Laurent Passer

«Faire paysan», par Blaise Hofmann, Editions Zoé, 2023.

Blaise Hofmann.