Gilles et Letizia Varone.

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Gilles Varone, nouvelle coqueluche de la gastronomie suisse

4 Sep 2024 | Chevaliers du terroir

Les aficionados du bien-manger nous l’annoncent déjà comme le successeur de Didier de Courten. Dans son nouveau restaurant de Saint-Germain (Savièse), le jeune chef valaisan vous réserve bien des surprises.

Entre gourmets et gourmands, de Genève à Constance et de Chiasso jusqu’à Bâle, on commence à se chuchoter plus qu’un bon tuyau, presque un secret: «Lors de ton prochain passage en Valais, il faut absolument que tu ailles manger chez Gilles Varone, à Savièse, juste en dessus de Sion!». Il faut dire qu’à 29 ans, le cuisinier valaisan connaît une ascension météoritique. Il a déjà une étoile Michelin et le GaultMillau en a fait l’an dernier sa «découverte de l’année». Alors, phénomène de mode ou cador que rien n’arrête? Qui d’autre, pour répondre à cette «question pour un nouveau champion», que le patron du GaultMillau Romandie?
«On m’en a parlé très vite – Gilles était encore à Chandolin – et j’ai décidé d’y aller avec un collaborateur chevronné de notre guide, nous raconte Knut Schwanden. Les locaux n’étaient pas vraiment ceux d’un grand chef, mais son concept, son intégrité, sa rigueur m’ont complètement impressionné. C’était du sérieux, presque militaire! Le menu était remarquable, basé sur des produits locaux. Quand Gilles Varone nous a présenté ses plats et sa cuisine, j’ai ressenti une joie rare, fantastique».

Un décor contemporain, pour un accueil chaleureux.

Un dîner spectacle

Et puis, Varone a déménagé au centre de Saint-Germain, son village saviésan natal. «J’étais à son inauguration, poursuit le critique gastronomique. Le restaurant est une vraie réussite, et le chef avait, cela m’a surpris, encore progressé. Je l’ai trouvé très mûr pour son âge; la brigade qu’il dirige possède d’évidentes compétences. La cuisine était totalement ouverte, tous les convives ont la chance d’assister à un ballet très calme, un travail d’une grande modernité, conduit par un maître queux au savoir-faire et à l’autorité naturels».
Le résultat? «Un dîner spectacle inspiré, assène un Knut Schwanden plus qu’enthousiaste. Gilles Varone innove, mais sans tomber dans tous les travers qui guettent les jeunes chefs talentueux à leurs débuts, à savoir la facilité et les côtés modernes pris avec des raccourcis dommageables. Varone, lui, il fait du millimétré. Tout est pensé. Et de conclure, presque poétique: «En tant que client, ça fait du bien de pouvoir partager en intégralité les rêves d’un grand cuisinier qui a une conscience élargie du monde et de son travail. Je pèse mes mots: c’est admirable».

Sous le regard du grand-père

Ses première inspirations, Gilles Varone les voit comme des racines solides. «La bonne cuisine, c’était l’affaire de mon grand-père, qui mettait tout son cœur dans les plats qu’il nous servait. Ce qui me frappait, enfant, c’était sa volonté de faire plaisir quand il se mettait aux fourneaux. Et lui, l’électricien, il y parvenait en faisant de petites choses simples et savoureuses. Notamment avec les champignons, sa passion. Il connaissait tous les bons coins, d’ailleurs».
Il faut dire que les Saviésans sont gourmands et honorent régulièrement leur mythique flon de Savièse (En patois: flon dé Chavyęje), l’incontournable tarte aux fruits, la plupart du temps aux pommes. Sans parler de la diversité de leurs vins, de leurs fromages et des petites herbes de montagne que Gilles cueille tous les mardis avec sa femme et une partie de sa brigade: «J’adore ce moment dans la nature qui nous permet de nous vider la tête et de déstresser».
La nature, omniprésente dans la commune, et les traditions, jouent un vrai rôle dans la scénographie du restaurant Gilles Varone. «J’aime la vue formidable qu’on a d’ici sur le Val d’Hérens. De l’autre côté, il y a notre belle église et le cimetière d’où mon grand-père veille sur moi depuis un an déjà».

Cavalier seul

Avant d’égrener ses petits secrets, le chef tient à mettre certaines choses au point. «Il y a toujours des jalousies, des racontars, quand on ouvre une maison comme la mienne. Alors je suis fier d’être maître à bord avec ma femme, sans aide externe. On est donc ici chez nous et on ne doit rien à personne! Si je peux me consacrer pleinement à ma cuisine, c’est grâce à mon épouse Letizia. Elle assure tout l’administratif et les RH, ce qui est énorme dans une maison comme la nôtre. Ensuite, j’ai une super brigade made in England. Des gens que j’ai connu lorsque je travaillais là-bas (chez la star suisse Anton Mosimann, chez Petrus by Gordon Ramsey, chez Trivet de Johnny Lake et au Bibendum de Claude Bosi, sa référence ultime, Réd.) et qui ont aussi coopté d’autres professionnels qui nous ont rejoints aujourd’hui».

Un concept séducteur

«Nous proposons la seule cuisine entièrement ouverte de Suisse romande, enchaîne Gilles Varone. J’avais été frappé en Angleterre en voyant que de nombreux grands chefs optaient pour des tables avec vue sur leur travail. J’ai décidé en ouvrant mon restaurant de franchir un pas supplémentaire et de faire en sorte que toutes les tables bénéficient de ce spectacle».
«Pas pour ma gueule, rigole le chef. Mais pour que les clients retrouvent des repères, comprennent le temps nécessaire à la préparation des aliments, puissent se faire une idée des différentes étapes avant d’avoir leur plat devant eux». Car Gilles est, par conviction, davantage qu’un adepte des circuits courts: «Je ne suis pas un écolo dans le sens où je ne fais pas de politique, mais je voudrais qu’on réapprenne à manger de bons produits. Derrière la viande, il n’y a pas juste une assiette le temps de manger, mais toute l’histoire d’un animal, de ceux qui l’ont élevé, de ceux qui sont intervenus en boucherie pour l’apprêter».
Socialement aussi, le restaurant Gilles Varone est au top: «On fonctionne du jeudi au dimanche, avec une seule et même équipe pour deux services. Ça ressemble parfois aux longues journées qu’on enchaînait à Londres. C’est ça, le monde de la gastronomie! Alors j’ai décidé qu’on aurait également congé le mercredi pour compenser nos heures supplémentaires».

Eternel insatisfait

Devant le succès, Gilles garde les deux pieds sur terre. «Qui bouderait pareille situation? Je suis bien sûr heureux de voir que le lancement du restaurant est une réussite, mais je suis un éternel insatisfait. Je fonce tête baissée sans jamais perdre de vue que non content de promouvoir ma région et ses produits (que je trouve d’abord dans mon propre jardin), je veux toujours m’améliorer et, peut-être, atteindre un jour le niveau, l’exigence et l’excellence des chefs que j’admire. Ça peut donner l’impression fausse que je manque d’humilité, que je suis une sorte de paramilitaire hyper décidé dans sa démarche. Ce n’est pas le cas. Oui, j’aurais sûrement pu me brûler les ailes, mais grâce à Letizia, j’ai appris à contrebalancer ce tempérament. Et cela participe sans doute de l’ambiance très zen qui règne dans notre établissement».

 

Gérard Sermier