Les arômes riches et puissants de L’Etivaz proviennent du large bouquet d’herbage naturel et de fleurs dont se sont repues les vaches.

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chevaliers du terroir - L’Etivaz AOP

Des arômes qui éclatent en bouche!

27 Nov 2024 | Chevaliers du terroir

En 2024, le fromage d’alpage L’Etivaz fête les vingt-cinq ans de l’obtention de sa certification AOP (Appellation d’Origine Protégée). Ce sont aujourd’hui les membres d’une coopérative autonome qui contrôlent l’entier de la chaine de création de valeur de ce fromage d’alpage; ils s’inscrivent dans le même esprit visionnaire qui a caractérisé les producteurs des années 1930. L’incroyable richesse gustative de L’Etivaz AOP, ainsi que son mode de fabrication artisanal, lui valent le nom bien mérité de «Perle vaudoise».

Fromage à pâte dure, L’Etivaz AOP est produit entre le 10 mai et le 10 octobre, à partir du lait fourni par des vaches paissant sur 130 pâturages des Préalpes vaudoises, situés entre 1000 et 2000 mètres d’altitude. Ces quelque 3000 vaches fournissent un lait riche et fleuri, qui sera chauffé exclusivement au feu de bois dans des chaudières en cuivre. Le processus d’affinage, effectué dans les caves de la coopérative, éveille les arômes riches et puissants provenant du large bouquet d’herbage naturel et de fleurs dont se sont repues les vaches.
La pâte du fromage est de couleur jaune ivoire, les meules pèsent de 15 à 35 kg. La production de l’été avoisine 460 tonnes de fromage, soit 20 000 meules, dont plus de 45% est destiné à l’exportation. Au cœur de la saison, entre fin juin et mi-août, environ 250 meules sont acheminées chaque jour vers les caves situées à l’entrée de la localité de L’Etivaz. L’appellation «L’Etivaz» renvoie au terme d’«estivage», c’est-à-dire la période durant laquelle les vaches vont pâturer sur les alpages.

La vie au cœur des pâturages:
la famille, le feu et la flore

La fabrication de L’Etivaz AOP occupe 67 familles – dont neuf producteurs bio – durant la saison estivale. Ces membres de la Coopérative des producteurs de L’Etivaz AOP disposent d’un savoir-faire transmis de génération en génération. Si jusqu’aux années 70, la présence au chalet et la fabrication du fromage était assurée par les hommes, elle est aujourd’hui une affaire de famille. Les enfants participent aux tâches de la vie quotidienne sur l’alpage avec leurs parents et peuvent même bénéficier d’un «congé d’alpage» pour le dernier mois de l’année scolaire.
La richesse botanique – 237 variétés florales recensées dans la zone de production (soit dix communes entre le Chablais et le Pays-d’Enhaut) – est l’essence même des arômes de L’Etivaz AOP, qui peuvent varier selon les alpages. Ces différences sont dues à la situation géographique, à l’altitude et l’orientation de l’alpage, à la qualité botanique du lieu et de la période de production. La pâte du fromage peut également varier dans ses nuances. Par exemple, les fromages du début de saison ont une nuance plus jaune, due aux pissenlits en grand nombre dans les pâturages au mois de juin.

Une préparation minutieuse.
 La fabrication de L’Etivaz AOP occupe 67 familles durant la saison estivale.

Une aventure portée par des
visionnaires

Au XVIIIe siècle, le fromage des Alpes vaudoises était déjà exporté, contribuant à la prospérité de l’économie régionale. De Vevey, les meules de fromage étaient acheminées en barques sur le Léman jusqu’à Genève puis par le Rhône, à destination de Lyon ou Marseille. «Jusque dans les années 1930, les producteurs – dépendants de l’Union suisse du commerce de fromage – faisaient face à des conditions de stockage précaires dans les caves des chalets, explique Jérôme Groebli, délégué du Comité, chargé de la direction de la Coopérative des producteurs de l’Etivaz AOP. En 1932, trente familles, productrices de fromage au Pays-d’Enhaut, décident de prendre leur destin en main: elles se regroupent en association – l’Association des Producteurs de fromages d’alpage des Alpes vaudoises – afin de gérer de manière autonome la commercialisation et les quantités de fromage produites; l’Association sort alors de l’Union de suisse du commerce de fromage et construit sa première cave à L’Etivaz». Le terme «L’Etivaz» est utilisé dès l’inscription de l’Association au Registre du commerce en 1934.
En 1974, l’Association se constitue en Coopérative des Producteurs de fromages d’alpage L’Etivaz; dès lors, cette entité maîtrise toute la chaîne de valeur: maintenance des pâturages et des cheptels, gestion de la production, de l’affinage et enfin, commercialisation. Un modèle unique dans le monde de l’industrie fromagère! L’extension progressive des caves de L’Etivaz suit cette évolution, passant d’une capacité de 3200 meules à 30 000 pièces aujourd’hui.
Dans les années 90, afin d’ancrer le fromage à son territoire et de protéger à la fois le savoir-faire et la marque, une procédure d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) est lancée par Jacques Henchoz, ancien producteur et président de la Coopérative entre 1994 et 2002. En 1999, L’Etivaz est le premier produit alimentaire suisse à obtenir l’AOC, notamment en raison de la richesse botanique de la région, dont les vaches se nourrissent. Le lien entre la qualité du fourrage alpin et celle du lait, puis du fromage, fait l’objet de plusieurs études. Le terme AOC est remplacé en 2013 par l’Appellation d’Origine Protégée (AOP). Depuis, L’Etivaz AOP répond à un cahier des charges précis dont le respect garantit notamment que le lait cru a été transformé sur l’alpage et chauffé dans une chaudière en cuivre exclusivement sur feu de bois (épicéa de la région).
Après une vingtaine d’années à des postes clefs, notamment chez Nestlé, et membre de plusieurs conseils d’administration, Jérôme Groebli apporte aujourd’hui ses compétences commerciales, en marketing et en finance à la Coopérative, dont il a repris les rênes en 2024. Une vision pointue qui ouvre de nouvelles perspectives!

La vie d’un territoire

L’Etivaz AOP n’est pas seulement un bon fromage. «Sa production joue un rôle socio-économique fondamental pour toute une région; elle permet à nombre d’exploitations agricoles de perdurer, puisque pour certains, la production de fromage représente jusqu’à 70% de leur revenu annuel, souligne Jérôme Groebli. En outre, c’est grâce à ces producteurs que les pâturages et les chalets d’alpage sont si bien entretenus». Un patrimoine de montagne dont profitent largement les touristes!
A sa création, la Coopérative avait pour but de valoriser un savoir-faire particulier et une qualité de fromage exceptionnelle. Cette recherche d’excellence perdure encore aujourd’hui, grâce au travail et à la solidarité des producteurs. Henri-Daniel Raynaud, président de la Coopérative de 2002 à 2017, a joué un rôle important pour faire connaître L’Etivaz AOP et le promouvoir activement, notamment à l’étranger. Guère surprenant que ce fromage ait obtenu plusieurs reconnaissances mondiales: n°2 comme Meilleur fromage (2023, Tours/France) et n°1 des fromages d’alpage (2024, Wisconsin/USA). Lors du Superior Taste Award 2024-25, de prestigieux Chefs et sommeliers lui ont attribué 3 étoiles.
Des ambassadeurs gastronomiques sont également actifs dans la valorisation de la marque, comme Benoit Carcenat, Meilleur Ouvrier de France 2015, qui dirige les cuisines de son restaurant gastronomique (2 étoiles Michelin) «La Table du Valrose» à Rougemont. Dans ses créations, il apprête L’Etivaz AOP avec talent. «Notre mission commune est de promouvoir les qualités de ce fromage haut de gamme qui allie subtilement tradition et modernité», conclut Jérôme Groebli.

 

Véronique Stein

GROS PLAN

Production de L’Etivaz AOP: rien n’est laissé au hasard!

 

Des pâturages à l’assiette, plusieurs étapes permettent de sublimer le lait, selon un procédé identique depuis trois siècles. Stocké dans des baquets, le lait de la traite du soir est écrémé le lendemain matin à l’aide d’une poche. Ajouté à celui de la traite du matin, il est versé dans une chaudière en cuivre. Le lait ensemencé par des cultures de bactéries lactiques est porté à 32° C sur le feu de bois. Le producteur ajoute alors de la présure, enzyme naturelle extraite de la caillette de veaux. Après un court brassage, le tout est mis au repos afin que le contenu de la cuve puisse cailler. Le caillé est ensuite découpé délicatement grâce à un tranche-caillé. Ce mélange parfois plus de 1000 litres – brassé continuellement, est chauffé sur le foyer à environ 57°C.
L’artisan enveloppe alors la masse dans une toile de lin pour permettre au liquide de s’écouler et de sortir le fromage; celui-ci est ensuite mis dans un moule et pressé. Les marques en caséine servant à identifier le producteur et le numéro du fromage sont apposées sur chaque meule, ceci permettant de garantir la traçabilité du produit. Le fromage est retourné à plusieurs reprises tout au long de la journée. Les meules sont frottées au sel fin des Mines de Sel de Bex et conservées à l’alpage au maximum durant sept jours avant de rejoindre les caves de la Coopérative. Les fromages sont alors plongés durant 24 heures dans un bain de saumure. Les meules sont retournées et frottées au sel fin (Mines de sel de Bex), puis disposées sur des tablards en épicéa pour sécher.
Durant la période d’affinage, allant de 135 jours à deux ans environ, selon le goût plus ou moins corsé recherché, le précieux fromage est amené à maturation.
Pour la création du fameux «L’Etivaz à Rebibes AOP», fromage extra-dur passé sur le rabot et que l’on déguste à l’apéritif, des meules de petite taille sont sélectionnées à «l’âge» de six mois. Elles sont «démorgées», lavées et frottées à l’huile de tournesol avant d’être séchées dans le grenier durant trente mois au minimum.