«Spécial formation», ce numéro, comme à chaque fin de mois; cette fois, c’est une rencontre pittoresque qui va donner matière à «apprendre»: Saraswati… déesse de l’éducation pour les Hindous… et objet d’une récente fête de l’association Agomoni à la paroisse Baulacre derrière la Gare (voir aussi «Saraswati puja in Geneva» sous youtube.com). Mais on ne prête qu’aux riches, et si en mainte culture le bon élève a sa divinité tutélaire, y a-t-il çà ou là un saint des sots? L’imbécile – c’est l’origine du mot: «qui va sans béquille» – aurait bien besoin d’un tuteur.
N’étant pas «croyant» en général et encore moins «hindou»… j’ai cru bon de faire mon «coming out» dès le début de la fête face à mes hôtes… qui m’ont aussitôt rassuré: «Nous non plus ne sommes pas dévots: cette fête est surtout pour nous – originaires en majorité de l’Est de l’Inde où Sarasvati est fort populaire – une occasion de mettre du feu de Bengale dans l’hiver de Genève». Et comme le Bengali qui m’y avait convié est un chercheur avisé et citoyen engagé, j’ai été d’accord – au nom de cette rime – de dire deux mots de son groupe dans les colonnes de «Hors Champ».
«Guerre sainte» pas trop indienne
Certes, le folklore d’une fête est toujours innocent; et l’Inde séduit depuis des siècles le touriste par sa foison de religions. Du dedans, c’est autre chose: de Delhi à Mumbaï ou Kolkata, les libres penseurs des deux ou trois bords trouvent leurs cultes de plus en plus normés par le nationalisme hindou renaissant ou par le clergé musulman intolérant (qui ont malgré tout à ce jour évité le pire). Les fondateurs du Pakistan – Jinnah en tête – étaient peu observants, et on trouve même parmi eux un Juif de Vienne converti: Leopold Weiss, dont le fils Talal Asad reste à la fois tout à fait «musulman» et assez libre penseur grâce à sa bonne «formation»… on reste dans le sujet. Quant au Bengale, ce n’est certes pas au Bangladesh musulman que Saraswati est le plus célébrée, mais au Bengale occidental: terre du poète Rabindranath Tagore et du cinéaste Satajit Ray (dont le film «Pater Panchali» fit jadis sensation aux «Salons» où vient d’être projeté ces jours un film… indien lui aussi: voir blackmovie.ch). Bref, et comme dirait Töpffer de ce chapitre décousu, rien n’est plus «éducatif» qu’une promenade en zigzag. Car les courses en ligne droite font dire qu’en fin de compte «les gens éduqués (sont sans doute) les pires» (selon «Sans oser le demander» sur France Culture). Un film d’Iran montrait la formule magique: le mariage mixte entre un soldat et une étudiante… «ainsi les enfants du pays seront tous instruits». Assez de zigzags, même s’ils ne sortent pas trop du cadre: d’ailleurs «Les Salons» – entre la Place de Neuve et celle du Cirque – sont les héritiers de la «Société genevoise des amis de l’instruction». Bref et au prix de quelques contorsions, on est resté ici dans le sujet de l’«éducation»… mais revenons à Saraswati et… ses «alternatives».
Minerve maintient la tête haute
Saraswati n’est pas la seule divinité de l’éducation… ou de la sagesse… ou de la science… des notions qu’on a souvent opposées en ces pages… et dont le sens est sujet à caution quand on remonte aux sources… du Nil ou du Gange de l’époque (et même dans l’avenir proche). Les Grecs avaient Athéna devenue la romaine Minerve… les Egyptiens, Toth… Babylone, Nabû… les Vikings, Mimir… et ça vaudrait la peine de les voir de plus près… sans doute, des livres l’ont-ils déjà fait. La «sagesse» de Thot se déclinait dans toutes les sciences: la musique, l’écriture, le dessin, la géométrie, l’astronomie, la médecine… Athéna était emblème de la raison et de la sagesse, mais aussi de la prudence et de la guerre, qui ne font pas toujours bon ménage, on le voit ces jours… mais l’imprudence a bel et bien fait perdre le plus fort en maintes occasions: on relira avec profit «La guerre du Péloponnèse» entre Athènes et Sparte qui, malgré son nom, vénérait aussi Athéna mais avec «mesure». Quant à Pallas, autre nom d’Athéna, c’est de nos jours celui d’un groupe d’autodéfense féministe (pallas.ch). Les Muses – qui ont laissé leur nom aux musées et à la musique – mériteraient un chapitre en soi. On ne peut conclure sans dire encore deux mots de Saraswati: déesse du verbe et des… rivières, inventeuse de l’écriture, elle se reconnaît surtout à son dédain des possessions matérielles. Drôle de partage des tâches: s’il suffisait d’être sobre ascète pour penser juste…
L’Olympe est mal scolarisé
A noter qu’un esprit de la stupidité apparaît dans la littérature grecque sous le nom de Coalemos… mais – comme dit un proverbe arabe – «Dieu a guéri des aveugles et des lépreux… mais jamais des sots»: il faudrait donc envoyer les dieux à l’école… mais ne risquent-ils pas de faire encore baisser le niveau?