Le catalogue des inventions est un recueil de poésie.

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Une bonne école qui n’a pas de prof

28 Juin 2023 | Carrière et formation

Dernier numéro du mois, donc Spécial Formation: on dit parfois dans Hors Champ que la meilleure Université d’Europe est… Palexpo. C’est une façon de parler, mais qu’on va illustrer par les récents salons. Sans plonger dans les piles de notes prises au fil de ces forums, on peut en peu de mots noter pour chacun une ou deux «lessons learnt», comme on dit en anglais.

Index (indexnonwovens.com) est le salon des «non-tissés»: on peut juger étrange qu’un journal grand public se penche sur cette industrie très pointue et au nom qui taquine l’absurde. Parler de «textiles non tissés» est un oxymore. Mais ces fibres qu’on presse ou colle plutôt que les tisser (ça va plus vite et c’est moins cher) sont partout: dans les véhicules, dans l’ameublement, dans les bâtiments, et dans le sanitaire: couches, masques… qui forcent les hôpitaux à en recycler des tonnes (ce fut un des grands thèmes du salon). Voyant à un stand indien une banane traîner sur la table, je taquine l’ingénieur, qui répond du tac au tac: «Oui, je crois qu’un jour on fera des fibres même avec de la peau de banane».
Deux dernières impressions, avant de sauter au salon suivant: le parcours étonnant des acteurs, dans de telles industries nouvelles ou méconnues. A Index, on trouve des gens ayant un passé dans la mode, d’autres dans la chimie ou ayant œuvré dans la production avant de se livrer à la formation. Point commun: ils ont dû s’adapter à «une industrie dont j’ignorais l’existence quand elle m’a recruté»… ça leur évite d’être académiques. Industrie jeune mais ayant déjà des problèmes d’âge: dans cette branche comme dans d’autres, on voit aussi des expert(e)s de haut vol faire – entre deux emplois – du bénévolat pour les tables rondes: de bon ou mauvais augure pour l’avenir de l’économie?

Une faculté de géométrie

Autre salon pointu où les «lessons learnt» ne sont pas toujours celles qu’on pensait trouver: celui du contrôle aérien (airspaceworld.com). On croyait le radar enterré par le satellite, il revient en force. On pensait l’aiguilleur du ciel superflu, une table ronde crie à l’urgence d’en nommer (table ronde en circuit… fermé: que des syndicats au podium). Surtout, on découvre un volet de l’écologie aérienne, omis pendant des lustres par les «rapports» adhoc de l’Aéroport: les économies d’énergie en aviation, ce n’est pas que celles de papier dans les bureaux ou d’éclairage dans les halles. C’est le moteur d’avion, certes, mais qui n’est pas du ressort des aéroports ni des contrôleurs. Là où le contrôle aérien peut apporter son savoir-faire à l’écologie, c’est dans le calcul des trajectoires: la plus propre n’est pas toujours la plus courte.

L’intendance est en avance

Crochet à la Maison de la paix pour un débat sur la «santé en ligne»; bigre, on y parle moins de santé que du sujet obligé: les «droits» des peuples… alors retour à Palexpo voir la santé telle qu’elle mijote chez les boutiquiers. On a déjà parlé dans cette page du salon Vitafoods (.eu.com), qui montre le meilleur et le pire des modes pour la santé et le manger. Les bienfaits de tous ces produits de «bien-être» ne doivent pas toujours être pris au pied de la lettre. Mais l’analyse de la société, si: quand ils traquent les besoins du public à coup d’études de marché, les experts entendus aux divers podiums de Vitafoods «parlent vrai», plus qu’un prof de socio. Et au forum du premier jour, on a vite saisi que la santé allait faire un grand virage, avec la médecine en self-service grâce aux progrès des outils au poignet. Un mois plus tard dans le même lieu, c’est le salon Connect in Pharma (en un mot puis .com) qui en a, à son tour, donné les signes.
La chaîne de production pharma se rapproche toujours plus du patient en aval, et la pharmacie de quartier n’aura plus sa place si elle ne se rend pas utile. De même que le médecin, qui sert désormais plus de confident que de soigneur. Dans la recherche et l’industrie, on sent une impatience face aux données «épidémiologiques» que le secret médical empêche d’exploiter. Même son de cloche un jour plus tard à la Salle du Faubourg, lors d’une table ronde de la Ligue Pulmonaire (lpge.ch). De toute façon, le secret médical est relatif: suffit de passer une heure en salle d’attente, voire dans l’ascenseur, l’autobus ou le bureau… pour tout savoir de la santé de la moitié de la République.

La Suisse bientôt mise en boîte?

Reste Environnement Professionnel Horlogerie Joaillerie (ephj.ch), salon mal nommé qui a donc ajouté en sous-titre «Le monde de la haute précision». Depuis ses débuts horlogers (de l’amont des pièces détachées à l’aval des luxueux écrins), ce salon est devenu triple: l’instrumentation médicale et les robots de production ont trouvé là les partenaires ou le contexte qu’il leur fallait. Tandis que les artisans horlogers y découvrent des horizons nouveaux: on a pu y suivre – entre autres – un exposé sur une méthode d’identification des objets de valeur par un «ADN» sans gènes mais avec encre. Mais on a pu aussi y entendre des propos peu roses sur l’avenir de la branche: «L’horlogerie helvétique prospère en valeur, mais s’effondre en volume: ça ne peut pas durer sans fin».

La raison rime avec poésie

On nous dit que la science va sauver le monde, mais les rêves des inventeurs excèdent les capacités de l’industrie (en tout cas par le nombre). Au Salon des inventions (inventions-geneva.ch), même la hi-tech des Universités de pointe peinait à se «vendre»: peu importe, les gens font le voyage pour garder vive leur flamme au contact d’autres Gaston Lagaffe des cinq continents. Une des inventions (ou traductions) les plus inattendues fut le fait d’une maman qui a mis au fond du pot une image qui change quand on fait pipi dessus: «Je ne suis pas la seule mère qui peine à mettre ses enfants à popo». Bref, pendant une semaine, Palexpo devient le forum du meilleur des mondes, et si «Environnement (…) horlogerie» cité plus haut est le salon du «monde de la précision», celui des inventions pourrait mettre en sous-titre: le salon «de la poésie de précision».

Quand on est d’accord, on ne se dit plus rien

Une fois passé le défilé des salons, une chose saute aux yeux: entre l’univers «commercial» et les cercles «académique» ou «onusien», on ne se parle guère. A un récent forum «Afrique 2050» (africa21.org), le très calé expert en alimentation du South Centre a admis qu’il n’allait jamais aux congrès du négoce des céréales. Et alors revient à la mémoire le regret exprimé à un congrès (graincomevents.com) dans un grand hôtel: «A nos forums où se trouvent les acteurs de la branche, les grandes agences officielles ne montrent même pas le bout de leur nez» (ces temps, les Russes non plus, du moins comme orateurs). Plus comique, il y a un ou deux lustres, à Global Grain, des militants devant l’hôtel criaient «A bas les spéculateurs», tandis qu’à l’intérieur, parmi les journalistes accrédités, on trouvait même ceux de journaux rouge vif qui jugeaient le forum «passionnant» (voir aussi fastmarkets.com et plattsinfo.spglobal.com).
Pour sa part, le tout récent Congrès mondial des Chambres de commerce (13wcc.iccwbo.org: on y reviendra à l’avenir… il y a de quoi faire) a tenté de lancer des ponts entre Palexpo et le Palais des Nations, ou plutôt de parler la langue des «bonnes causes»: celle de la femme ou du climat. Au point qu’une des rares voix à ne pas chanter des psaumes fut celle du Sinbad moderne qu’est Abdallah Chatila; et celle d’un jeune juriste d’Asie centrale qui – à une soirée conjointe au Palais des Nations entre le patron de la Chambre et le Haut-Commissaire – a dénoncé la mise aux normes «droits humains» comme autant d’occasion de corruption des inspecteurs d’entreprise: «Ils monnaient leur tampon».

Deux milieux captifs de l’image

Deux importants salons ne peuvent trouver leur place ici: celui de l’aviation d’affaires Ebace (.aero) et celui des diamantaires Gem (gemgeneve.com). On en trouvera les raisons dans les œuvres posthumes du soussigné, mais pour faire court, trop de communicateurs/trices tuent la communication. Quoique même les absents ajoutent leurs couleurs à la leçon sans profs: qui dit foire dit variété, pour le meilleur et pour le pire.

 

Boris Engelson