Commissaire
Un métier de parti-pris
«Le yogi et le commissaire»: c’est le livre qu’écrivit Arthur Koestler quand il mit un bémol à sa foi rouge. Un enfant s’étonne que «commissaire» désigne tantôt un policier, tantôt un militant, tantôt un muséologue. On pourrait définir notre démocratie postmoderne par la confusion des trois rôles. Plus encore que la science du maître dans un amphi, l’art des expos fait boire son public à la coupe de l’intox. «Injustice environnementale… Alternatives autochtones» qui vient d’ouvrir au Musée d’ethnographie, l’illustre à merveille.
Le Musée d’ethno a au moins un mérite… il ne cache plus la couleur: «Notre expo est très engagée… écologiquement et socialement responsable», put-on entendre d’emblée lors de l’allocution de bienvenue aux médias… et à nouveau à la fin de la visite, quand un des artistes invités remercia «ce musée qui prend position». Avant de rendre la liberté aux journalistes, on nous rappelle encore que «qui ne prend pas position en la matière est un lâche»… formule déjà entendue lors de l’Appel pour Julian Assange. Quoi de mal à ça? On le verra plus tard… et pour l’instant, pas de temps prévu pour les questions de la presse, avant d’entamer un tour des salles, assorti d’une leçon d’une heure où chaque phrase est d’un péremptoire sans appel. Même quand elle est vide de sens ou erronée: «Tout produit de consommation quel qu’il soit est fait pour moitié d’huile de palme!». Vraiment? Même une auto ou un ordi? L’oratrice corrige: «Je voulais parler des cosmétiques». Un peu plus tôt… «En raison des essais nucléaires, les habitants des Iles Marshall ont subi pendant des années des rayons égaux à une bombe atomique du type Hiroshima par jour!». C’est peut-être vrai, mais ça n’a ni queue ni tête, car les Hiroshimais sont morts mais pas les Marshalliens. Conseil d’ami: visitez l’expo en compagnie d’un avocat…
La commissaire fait du yoga
De la reconnaissance des savoirs autochtones à leur glorification, il y a un pas… que le directeur du musée et la commissaire de l’exposition ont confondu avec le «Grand bond en avant». Un des points forts de la visite fut le plaidoyer d’une femme de Guyane, qui accuse la République française de ne pas reconnaître les droits des autochtones, car «nous avons notre propre manière de communiquer avec les esprits». D’autres artistes – l’expo parle par la voix d’artistes – affirme que «tout ce qui est fait en bois de cèdre rouge est pur amour et respect». Mais le sommet fut atteint quand on parla de la Norvège, Etat assoiffé d’or qui veut «voler et détruire les territoires autochtones». A nouveau, le témoignage est émouvant, dans la bouche d’une ancienne journaliste devenue artiste pour s’affranchir de «la neutralité et l’objectivité» médiatique qui brident l’engagement. Très bien, mais… le Musée d’ethnographie est-il un musée de science ou d’art? Il nous a assez rebattu les oreilles de sa scientificité ces dernières décennies pour trouver louche cette symbiose. D’autant que la question cruciale a été éludée d’un bout à l’autre, malgré la présence de Julian Burger, patriarche de la cause autochtone dans le système des Nations Unies. Qui représente les «peuples autochtones?». Il suffit de penser aux cas concrets… aux Mapuches ou aux Inuits… aux Tatars et aux Basques… aux Bretons et aux Mayas… aux Hmongs et aux Saharaouis… sans parler des Catalans… pour voir que le Musée d’ethno nous mène par le bout du nez.
Après moi, le déluge ou le désert?
D’ailleurs, l’intitulé même de l’expo est une pétition de principe, plus qu’une prise de position: on pourrait tout aussi bien dire que – face à la fin du monde par la faute du carbone – tous les êtres vivants seront enfin égaux… à moins de fuir sur Mars avec Bezos et Musk. Quant aux savoirs autochtones, certes, l’heure du mépris est passée: si les Rouges, dit-on, jetaient les chamanes de Sibérie du haut d’un avion, en leur criant «montre tes pouvoirs magiques!»… Satajit Ray, dans un de ses films, vantait la hi-tech des igloos et des sages Lapons touchaient le cœur d’un Théophile Calas. Un artiste venu du Québec à Genève – Claude Bolduc – a aussi peint le calvaire des Amérindiens. N’empêche… ce n’est pas un des leurs qui a retrouvé la clef de l’écriture des Mayas.
Un vaccin contre le doute
Si on a vu ici un musée par le petit bout de la lorgnette, c’est parce qu’ils sont tous du même bois… même ceux qui ne sont pas sous la tutelle stricte du pouvoir politique: celui de la Croix-Rouge s’est livré ces jours à une intox sur le thème «tous les musées sont biaisés blanc et mâle»… ce qui est parfois vrai, mais sied très mal à un musée du sang versé par les guerres (prio.org/Publications/Publication/?x=7207, politicalviolenceataglance.org/2013/07/11/male-victimhood-in-armed-conflict/). Au vu des idées toutes faites que les âmes vertes et les cœurs roses nous injectent chaque jour, l’historien Jacques Julliard parle de troisième glaciation, après celle du stalinisme des Année Trente à Cinquante, puis celle des Soixante-huitards au pouvoir. Mais face aux «injustices environnementales», la glaciation, c’est tout bon…
Boris Engelson
POUR EN SAVOIR PLUS
ville-ge.ch/meg/ pour visiter et sameg.ch pour adhérer; voir aussi la plateforme des «autochtones» docip.org et catalogue.nla.gov.au/Record/2027964 (hélas! une des rares traces de Julian Burger sur le web), ainsi que art-law.org (qui vient de tenir des assises sur la restitution en archéologie); pour élargir le sujet: events.unesco.org/event?id=529131406&lang=1036, icom.museum, museums.ch et thematis.ch.