Un «bénévole», ça coûte un… saladier
(vu à l’entrée d’une Haute école).

/

carrière & formation

Tout travail mérite salaire… mais tout mérite est-il comptable?

8 Déc 2021 | Carrière et formation

Deux colloques – à mi novembre – ont traité de santé, de risques et de primes dans l’emploi (tous deux en lien avec l’Inspection du travail): «La santé publique et la santé au travail face aux défis contemporains: l’exemple de la santé mentale dans le contexte de la Covid-19» et «Santé et sécurité au travail à l’heure de l’industrie 4.0». Difficile de rendre compte de ce qui s’y est dit, les ténor(e)s ayant d’emblée snobé le journaliste. Mais il est facile de parler de ce qui ne s’est pas dit, les non-dits étant la substance de tout colloque expert.

Une question clef semble avoir été éludée au colloque sur la santé mentale: souffre-t-on pour de vrai, ou par prime aux victimes? En clair, un conjoint humiliant, un patron hystérique, des parents menaçants… nul doute, cela fait des dégâts durables dans le mental de ce qu’on peut alors bel et bien nommer «victimes». Tel n’est pas d’emblée le cas de la dureté des temps: dire qu’être cloîtré par le virus est un calvaire sert plus les calvairologues que les calvairisés (la question peut du moins être posée). Dans ces pages, on a déjà plaisanté sur l’effet positif ou négatif de l’isolement: Isaac Newton a profité de la peste pour écrire sa théorie dans son cabinet; Mary Shelley a de même inventé son Frankenstein quand elle était bloquée par la pluie; et les récits de Charles du Bois-Melly parlent d’une Genève où la tête du grand noble ou du simple paysan était moins douillette. Surtout, des enquêtes (fondatrices de la sociologie, il y a un siècle) ont constaté une chute nette des suicides en temps de guerre. Bref, on ironise parfois sur les «services sociaux» qui servent surtout de raison «sociale» aux assistants «sociaux» et autres «psy» (ainsi qu’à leurs ministres de tutelle), mais ce n’est pas en évacuant la question de leurs colloques que l’Hospice Général et l’Inspection du travail vont évacuer la suspicion de l’esprit des gens. Malgré la «Swiss Corona Stress Study» – brandie à cette occasion – et ses effets «avérés» de la pandémie sur le mental… et malgré les «19 milliards du coût annuel du stress»… chiffre produit par des gens qui n’ont sans doute jamais suivi les débats sur le sujet à l’annuel Salon RH de Palexpo.

La santé a-t-elle l’esprit malade?

L’autre colloque était plus technique, moins par le numérique suggéré dans le titre que par le juridique… qui a là aussi débordé sur les métiers de la santé en clôture. Mais à nouveau – les demandes orales et écrites de l’intrus étant restées sans réponse – une question a été éludée. Certes, le droit du travail doit contrer les pratiques négrières, et un travail pénible ou dangereux mérite égards. Les mineurs des deux derniers siècles le savaient, qui avaient des primes de risque et étaient bien logés. Mais de nos jours, primes et bonus sont devenus des «acquis»… dans l’éthique du «toujours plus» (titre d’un livre oublié de François de Closets). «Pour être là quand vous avez besoin de nous», disait la récente Initiative sur les soins infirmiers, mais face à l’Omicron, les «nous» ont déserté le service «intensif»! Et en début de pandémie, quand l’armée a voulu donner un coup de main, l’Hôpital a en somme clamé – tel le fameux «better dead than red» – «plutôt morts que gratuit», à propos de ses malades et de son travail. La course-poursuite salariale entre infirmières et mandarins – que déplorait l’ancien directeur – est-elle en phase avec l’esprit du métier? Les «Hôpitaux Universitaires» et l’«Organisation mondiale de la santé» sont parfois complices de titres créés juste pour satisfaire les ambitions de carrière. Les nettoyeurs d’instruments dont on a parlé il y a peu dans ces pages ont plus de bon sens, quand ils réclament une formation continue qui puisse les hisser peu à peu jusqu’au niveau d’un chirurgien.

Pour se faire belle,
on ne compte pas

Ces questions ne se posent pas que dans les métiers de la santé: le pompier bénévole est-il un milicien démodé? Les seaux – pour la chaîne contre l’incendie – qui ornent la fontaine à Saint-Gervais, étaient-ils aux mains de gens payés pour? Et en cas de guerre, verra-t-on nos soldats demander «combien tu paies?», comme les légionnaires romains des années troubles? C’est bien ça qui est curieux: si les gens veulent «toujours plus» pour travailler, ils font du bénévolat sans fatigue pour leurs associations – vouées parfois à des causes moins nobles – pourvu qu’il y ait le label «humanitaire» ou «culturel» (sans parler des sports les plus éprouvants). Ou encore pour leur syndicat, mais plus guère pour les partis… encore moins pour leur Eglise. Le film «Call me intern» – objet d’un débat pendant la Semaine des droits humains – fut un symptôme de ces ambiguïtés: si c’est du travail, les bénévoles au Palais des Nations sont exploités… si c’est de l’étude, ils sont privilégiés. Pour conclure… laissons donc les questions faciles aux experts… gardons les questions gênantes sans réponse… et méfions-nous des chiffres officiels: ils disent même que les cancres en accidents du travail sont la Suisse et le Luxembourg (deux fois la moyenne en Europe). La diligente Suva s’est pliée en quatre (pages) pour prouver que c’était dû non à la négligence des patrons, mais à celle des statisticiens.

 

Boris Engelson