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carrière & formation

Tous d’accord pour un sens unique

3 Nov 2021 | Carrière et formation

Construire «un monde meilleur»: ce n’était sans doute pas le programme d’ Adam… à la rigueur, celui de la Pomme d’Eve… mais c’est devenu la litanie de notre société… et surtout, de tous les héros en herbe primés par les pouvoirs publics et privés. C’est vrai que l’état du monde laisse à désirer, malgré deux siècles de Révolutions et Déclarations… de Machinisme et d’Information. Même si «le monde ne s’est jamais si bien porté» («We never had it so good!»), comme pense le patron du Palais des Nations pour dire au millénaire de faire un ultime effort. Alors, suffit-il de pousser à la roue et tirer au collier – une dernière fois – pour sortir le char de l’ornière? Ou faisons- nous tout bonnement fausse route… au risque de traquer un ennemi imaginaire? On pouvait se poser la question tout au long des trois jours du «Gesda», début octobre au Campus Biotec,h où scientifiques, diplomates, financiers, journalistes… se donnaient la main, le mot et le beau rôle (gesda.global et thinktankhubgeneva.org).

«We want to be an honest broker» (qu’on peut rendre dans notre langue par «Servir de courtier sans parti pris»): c’est ainsi que les deux têtes du «Geneva Science and Diplomacy Anticipator» – ex patrons l’un de Nestlé, l’autre du Poly – ont défini leur rôle. Qui y verrait quoi que ce soit à redire… sinon un savant dans la salle qui avait sans doute lu Richard Popkin: «Qui dit courtier dit deux parties adverses: qui sont-elles, dans votre cas?». Et c’est vrai que le consensus, l’unanimité, l’œcuménisme vident de leur sens toutes les grandes idées et les bonnes intentions. «Si nous sommes d’accord sur tout, c’est que nous ne nous sommes rien dit», put-on entendre un jour à la radio, et Karl
Popper pensait de même. Or notre société est condamnée aux bonnes intentions et aux vérités massives: cet article va dans le même sens que les deux d’avant, sur les grands génies tenus de parler comme de petits clercs… avec le lexique de la repentance démagogique. Cette gouvernance par l’alliance des meilleurs – «leading scientists», «engaged diplomats», «social investors», «quality media» – a plus d’une fois été à fins contraires, en cent siècles. Et dans une société démocratique de connaissance, c’est plus que jamais une illusion… on va voir pourquoi.

Control Data était la meilleure

Le grand coup de Gesda, c’est son «radar»: liste ou atlas de deux cents «percées émergentes» en science, d’où le nom de «anticipator». On peut trouver prometteur un tel programme sous l’égide de deux aigles du savoir et de l’action, mais… il y a au moins trois ou dix «mais». Notre monde est-il malade par défaut ou par excès de science? A la première table ronde, une oratrice a tout de même ironisé sur les millions d’articles savants écrits (sinon lus) chaque année… et chez les bibliothécaires d’Ailis, on sait la faible teneur en nouveauté de ces milliers de revues pointues qui ont fait la gloire, puis la ruine de Robert Maxwell. On pourrait ajouter les congrès techniques qui se tiennent par centaines dans chaque niche de métier. Sans oublier les quinze and d’école obligatoire, qui devraient laisser des traces de science à chacun. Quant à semer en sciences fertiles, les Fonds de la recherche ou Horizon Europe et des cercles comme Futuribles ne font que ça depuis des lustres. A mon expérience, ce n’est même pas aux sommets savants que s’élabore la science de demain: «La seule chose qui compte, aux yeux des congressistes les plus scientifiques, c’est la qualité… de la bouffe»… tel est le constat entendu il y a peu à un colloque de tourisme. Plus qu’aux grands congrès, c’est dans les petits salons techniques sans prétention (exemples récents ou locaux: ephj.ch, nonwoven-innovation.com, nova-institute.eu, renewable- carbon.eu sinon vitafoods.eu.com) qu’on trouve le plus d’idées en germe, de science en action, d’esprits en veille. A vrai dire, le lieu ultime où se mêlent tous les avis sur tous les savoirs, c’est… la Bourse! «Des journalistes? Non, c’est rare; ce sont surtout des banquiers qui ont la curiosité de venir voir ce que nous faisons», m’a dit un jour un exposant à un salon biotech.

Les trains à l’heure sont
dans l’horaire officiel

Bref, le mal n’est pas dans le «main dans la main» qui donne au Gesda un air connu (fr.wikipedia.org/wiki/Si_tous_les_gars_du_monde)… c’est le consensus qui vire tôt ou tard à la croisade. Le plus traître, dans cette convergence pour le Bien, guette les médias: nul doute que l’obsession de l’ancien patron des Nations Unies à Genève – Michael Møller, qui courtise (sinon impose) le «constructive journalism» – procède d’une excellente intention. Quand on le taquine sur le côté «Pravda» des médias «positifs» et leurs trains qui arrivent à l’heure, il répond que «on ne veut pas censurer les médias… mais (que) chaque critique doit être assortie de solutions». C’est d’ailleurs à quoi se vouent deux agences de presse: l’officieuse «Geneva Solutions» et l’onusien «New Humanitarian» … à l’éthique du deux poids-deux mesures. Sans parler de la Fédération mondiale des journalistes scientifiques… qui font de la comm’ sans le savoir! Là, le consensus des professeurs et journalistes avec l’officialité humanitaire ou républicaine fait de l’aventure humaine un voyage organisé. Mais le malentendu ultime sur la science, l’éthique et leurs penseurs sauta aux yeux (hors Gesda… à Uni-Dufour) lors d’un récent débat sur «l’intelligence artificielle». A trop montrer à l’écran «Le penseur de Rodin», on finit par se demander si l’intello n’est pas un être statique assis sur une position. D’autres savants ont clamé que leurs idées les plus fraîches leur étaient venues en… faisant de la varappe.

 

Boris Engelson