Le premier produit de la science: les hiérarchies… systémiques (que décrit avec humour ce dessin de l’association «Accorder»… et qu’a su tenir en échec – pendant deux jours au seuil de l’Assemblée mondiale de la santé – le tout aussi cordial «World Heart Summit»… tandis que l’Unesco jonglait ces temps avec les besoins contraires de la «Science ouverte»).

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carrière formation

Technocratie ou bonnocratie?

25 Mai 2022 | Carrière et formation

Dernier numéro du mois, donc «Spécial Formation»… mais aussi «Spécial Nations»: un journaliste doit écrire chaque mois sur les Nations Unies pour ne pas perdre son accréditation. Comment céder à ces circonstances sans pour autant faire du remplissage? Deux ou trois rencontres onusiennes récentes illustrent les impasses de la formation: celle des adultes coincés entre l’exigence technique et le devoir d’être bon.

Semaine de réseautage pour les «humanitaires» de terrain, mi-mai au Centre de conférences (voir unocha.org); la santé pour tous est un des grands thèmes au fil des cinq jours; or depuis qu’existent des ministères ad hoc, plus elle avance, moins on l’atteint, alors on lui trouve un nouveau slogan: «One Health» qui inclut toute «l’écosphère». Cette remise à plat donne à une foule d’agents l’occasion de raconter leurs frustrations, et à une myriade d’experts d’offrir leurs leçons… sur trois étages au quartier des Nations. Et comme – dans les salles de congrès ou d’école – on entend souvent mal, cela donne au journaliste le temps de penser dans son coin… et de se demander soudain: «Depuis deux siècles, la médecine n’a fait que croître et s’aiguiser; de quels moyens a-t-on besoin pour venir à bout du mal»? Alors, dès la séance levée, le soussigné demande l’un(e) après l’autre aux participant(e)s (tous/toutes des pros): «Combien y a-t-il – selon vous – de travailleurs/euses de la santé dans le monde?». Question posée de diverses manières – plus ou moins précises – mais la réponse est toujours la même: «Pas la moindre idée!» (pas même à un ou deux zéros près). Seule une cadre de l’Organisation mondiale de la santé fait une estimation, à partir du nombre de sanitaires par mille habitants selon les pays. Moralité: comme dans la fable de Florian ou dans le conte d’Andersen, la plupart des gens qui «savent» ne voient pas ou ne veulent pas voir la question clef: dans ce cas, les «moyens» de la santé servent-ils la santé… ou ses moyens?

Du moment qu’on dévisse les statues…

Autre exemple à la Semaine de diplomatie scientifique (gesda.global): en ouverture au Palais des Nations, table ronde «de haut niveau» (au point que les inscriptions furent closes avant même d’être ouvertes, laissant la salle à moitié vide)… en présence même de la Directrice russe Tatiana Valovaya (unog.ch). Posté à la sortie une fois les litanies finies, le journaliste s’est livré au même exercice qu’avec les humanitaires: «Quel propos… quelle idée force… vous a frappé(e)?». Vaine question, au vu du nombre d’auditeurs qui avaient passé l’heure le nez à l’écran de leur «mobile» (et là aussi, d’une piètre sono). Un junior – malgré tout – avait tendu l’oreille, et conclu du débat que «le savoir savant est géré de manière trop verticale… émiettée». J’objecte: «Pardon! Une Encyclopaedia Universalis (par exemple) concentre, synthétise, partage!»; et l’autre de répondre: «Dans le genre, je préfère le modèle Wikipedia». Soit, mais le «modèle» Wikipedia est la négation du modèle académique et diplomatique que la Semaine met en valeur… sans laisser le mettre en cause. A preuve: au moment du bilan en fin de semaine, le vocabulaire de l’instituteur reprend le dessus… avec les «leçons à emporter chez soi». Car ces aigles de la pensée – certes, aussi compétents que démocrates – veulent aider la société à «voir juste»… sur le climat, les vaccins et la paix. «Ils pensent résoudre ensemble tous les problèmes de l’univers», ironise un participant pourtant plus qualifié que le journaliste. Même le Cern – lieu d’une des séances «restreintes» – a donné à un sceptique l’impression d’être «à bout de souffle».

Le rat des champs voit-il plus juste?

En observant la Genève Internationale la semaine dernière, on est conduit à se poser la question: quand le ciel est plein d’étoiles, est-on mieux orienté ou plus étourdi? Entre les deux forums dont on a parlé plus haut s’est glissé – au Palais des Nations – un colloque sur «l’histoire de l’Institut international de coopération intellectuelle», ancêtre de l’Unesco. Sujet d’intérêt pour tout le monde intellectuel et coopératif, mais discuté en cachette par ceux qui y ont trouvé un filon de carrière: pas même annoncé à l’agenda de l’Université ni aux médias des Nations Unies (au mieux, dans un coin de l’agenda de la «Maison de l’histoire»). De toute façon, la semaine était si chargée… entre le Réseau humanitaire, la Science et diplomatie, la journée de la Commission électrotechnique internationale (aiwithtrust.org), le Prix de la Chambre de commerce américaine avec les recteurs de nos Ecoles polytechniques, des colloques venus d’Inde qui n’ont de Genève que l’en-tête (asar.org.in)… sans parler du congrès du fret (fiata.org) et de celui du grain (graincomevents.com) où on dit que l’Europe est «folle» de bio… Qui donc peut se faire une idée de tout ça, même dans un créneau convenu (le climat ou les robots sont de tous les congrès, quel que soit le titre)? On peut se laisser griser par ce feu d’artifice… et par la biographie recyclée des personnalités (letemps.ch/suisse/scandale-lomm-rebondit est une rare trace d’une autre «vérité qui dérange»): à «Science et diplomatie», un ex-patron de l’Organisation (…) météorologique jonglait – à l’écran – avec les logos des organisations internationales comme un gosse avec des pièces de Lego… mais peut-on construire quoi que ce soit avec des logos?

 

Boris Engelson