Et si le coin le plus fréquenté des «systémicologues» était celui des «pions»?

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carrière & formation

Systémicologue: un métier simple d’emploi

24 Nov 2021 | Carrière et formation

C’est «systémique»: formule magique quand, après un siècle de mots, de lois, d’actes, de postes… on n’arrive pas à ses fins – en matière d’«égalité» genre ou race, par exemple -. Au point que notre République – même la Genève Internationale – semble divisée entre les «systémicologues» qui jugent et les «métiers réels» qui sèment, taillent, lavent.

Un cas typique est le salon Gem (gemgeneve.com), qui – suite à l’éclatement du Salon mondial de l’horlogerie de Bâle – rassemble à Palexpo le monde des pierres précieuses: gemmologues, négociants, bijoutiers… de tous horizons qu’on aimerait mieux connaître: métiers spéciaux souvent transmis de père en fils ou fille, chaque famille méritant sans doute un livre… d’or.

Les bijoutiers on la dent dure

Parmi les exposants, on trouve aussi des convoyeurs… des libraires… et des écoles: une table ronde les a vues défiler toutes… et qu’on va désigner ici par leur site Web (elles ont aussi des portes ouvertes en début d’année): hesge.ch/head/ qui avait même son exposition, les plus pratiques cfparts.ch et eaa-la-chaux-de-fonds.ch (qui a son 150aire au mois de mai), etvj.ch (ou vd.ch), et les écoles privées creageneve.com et isg-luxury.ch, pour qui la gestion du luxe demande un recul philo (la Gübelin Academy ou celles de Christie et consorts sont dans une autre niche). Mais ce défilé d’orateurs récitant leur page de garde fait voir – là aussi – un hiatus entre les mots et les mains: juste à côté et tenant le stand d’une des écoles, une jeune femme venait de créer sa propre maison de joaillerie, après en avoir rêvé dix ans. Qu’a-t-elle fait entre-temps: «Technicienne dentaire… une parfaite entrée en matière». Mais c’est surtout au débat sur l’éthique de cette industrie – dans le cadre du salon (puis repris par Crea) – que le hiatus est devenu béant. Au podium, les meilleurs experts de cette noble matière, mais tenus par la langue de bois en raison de leur fonction. Ainsi, ils étaient incollables sur les normes, étalons, règles… mais quand on leur demandait de quoi ils/elles parlaient au juste… le travail des enfants, la sécu des machines, le fair-play du marché, le respect des forêts… eux/elles-mêmes ne le savaient plus bien. Par chance, il y avait dans le public un vieux routier du Nord et un étudiant du Sud qui avaient vu une mine de leurs propres yeux.

Vérité à Palexpo, erreur à la Santé

Mais de tous les métiers de cette précieuse industrie, celui qui se porte le mieux semble être… celui de la sécurité. C’est du moins ce que je pensais avant de retrouver – dans le même Palexpo mais un peu plus tard aux Automnales – un Securitas de Gem dans le rôle d’un étudiant de l’Ecole d’étiopathie. Ce coin des Automnales (salontherapiesnaturelles.ch) réservait une autre surprise, toujours au chapitre de la gemmologie: sous prétexte des vertus énergétiques du «sang de dragon», un bijoutier de terrain a montré un film sur une chasse à la pierre dans la région russe de Kola… aussi beau que sa raison sociale (thefairystone.com): de quoi contrer la crise des vocations en géologie? Quant à un autre espace des Automnales voué à la «voyance», on se demande comment l’officialité genevoise le chouchoute tout en chassant les «fake news» en médecine ou ailleurs. Mais ce serait un autre article, alors passons aux deux autres métiers «réels» de la semaine, à commencer par les nettoyeurs d’instruments. Au Centre de conférence près de la Place des Nations se sont tenus ces derniers mois deux grands congrès d’hygiène (conference.icpic.com et wfhss-congress.com). Le premier sur le «contrôle des infections» – tenu à mi-septembre – en est à sa sixième édition, et a commencé comme congrès de… l’hygiène des mains, ce qui en dit long. Un problème simple à première vue, mais que la «formation» ne semble pas résoudre. Les «systémicologues» sont à la fois solution et problème: trop de normes, pas assez de temps… c’est en partie la cause du mal; ou simple poids de la routine ou du respect: on a dû permettre aux infirmières de gronder leurs chefs pour servir de garde-fous! D’ailleurs, le pape du sujet – Magic Didier Pittet – est bel et bien paru sur scène en magicien lors d’un «karaoke».

Entre Fritz Lang et Franz Fanon

Mais à mi-novembre, l’autre congrès – celui de la «stérilisation» – était bien plus terre-à-terre, voire «sous-terre». Ces métiers de simples nettoyeurs d’instruments – souvent terrés au sous-sol de l’hôpital – ne se sentent pas reconnus; et ont lutté au cours de ces années pour «la création d’une nouvelle profession avec certificat fédéral: technologue en dispositifs médicaux» («technicien» étant un titre protégé par de plus hautes écoles) (voir odasante.ch, careum.ch, spectrust.org). Même si on peut parfois être sceptique face à la multiplication des diplômes, on sympathise vite avec ces damnés de la terre dont les savoirs sont très pointus… le congrès l’a montré. Dernier métier bien réel, même s’il est souvent taxé du contraire: le négoce en céréales (Global Grain sous events.fastmarkets.com). On en a souvent parlé sous cette plume, et on y revient car ceux qui font métier d’«anti-affameurs-du-peuple» sont des «systémicologues» typiques. Preuve par trois (ou en tout cas par un) cette année, avec une anecdote qui rime avec le titre de l’article: «Un biologiste assis pendant trois jours derrière le stand d’une société de certification (swissdecode.com)»; «Oui, un jour j’en ai eu marre du labo et j’ai voulu voir ma science en action»; «Pourquoi avoir lancé votre boîte en Suisse… vous étiez chercheur en Italie?»; «Là-bas, je dosais des flacons chaque jour à la même heure, mais un dimanche, je l’ai fait le matin pour voir ma copine à midi… et le résultat dans le bocal fut si surprenant qu’il me rendit célèbre jusqu’en Suisse» (le détail chimique sera conté une autre fois).

Le sexe des anges est-il fertile?

En résumé, ce tour de piste ne prouve pas que les gens qui s’agitent à Palexpo ou à l’Intercon soient moins stériles que ceux du Palais des Nations ou de la Maison de la Paix… et Ciné Onu ou Norrag ont abordé ces jours des sujets vitaux qu’on tentera de traiter à l’avenir. Tout ce qu’on peut dire à ce stade, c’est que quand il n’y a plus de place (de travail) sur terre, on en crée chez les anges du ciel: pas sûr que les anges qui prolifèrent pour contrer les dérives «systémiques» d’inégalités genre, race ou climat servent à autre chose qu’à eux-mêmes, mais c’est sans doute le drame du temps; si on laisse trop de brillants diplômés sans emploi, cela mine le pilier de notre société: la valeur de la formation.

 

Boris Engelson