carrière & formation

Un article sur le Congrès mondial des «Moonistes» a-t-il sa place dans le rubrique «carrière et formation» d’un hebdomadaire immobilier… surtout sous la plume d’un total mécréant? C’est ce qu’on va voir, et qui pourrait prouver qu’il manque dans la presse romande une rubrique couvrant l’actualité tant du côté des œcuménistes les plus lyriques (interreligieux.ch) que de celui des laïcs les plus stricts (libre-pensee.ch).

C’est d’ailleurs à Uni-Mail qu’un technicien habitué à me voir de tous les congrès s’est dit que je ne voudrais pas non plus rater – en ligne sinon à Séoul – ce «Sommet pour la paix»… malgré mon incroyance pendable. Etre «agnostique» permet de gagner sur les deux tableaux: celui de la modernité ouverte par Anaxagore… et celui de l’immunité promise par Dostoïevski. «Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis», s’effrayait l’écrivain scrupuleux mais se réjouit le moderne profiteur. Mais pas au point de laisser tout le monde jouir de ce nouveau confort. Face aux gens «raisonnables» et «raisonneurs» sinon «rationnels», on est parfois tenté d’implorer des esprits marteaux pour leur clouer le bec.

La raison manque de couleur

Ce qui vaut un article «carrière et formation» sur un tel sujet, c’est que ladite Eglise du «Messie Moon» est devenue par la suite «Eglise pour l’unification» chrétienne puis «Fédération pour la paix universelle»… et ces mues sont – plus qu’un simple article – un roman en soi. On en dit le pire, et la page de Wikipédia en français n’est pas flatteuse… entre dérives sectaires et clins d’œil aux populistes. Mais les Nations Unies l’ont accréditée et elle pénètre le monde universitaire avec son «International Association of Academicians for Peace». De toute façon, l’essentiel est ailleurs: que ce mouvement ait trois millions d’adeptes comme il le dit ou dix fois moins, c’est une micro-société avec ses carrières, ses formations… et ses commerces. Et son «International media association of for peace»: début février s’est même tenu un «Festival des communicateurs»… et le Congrès mondial de mi-février – voué plutôt à la réunification de la Corée – fut un attrape-tout, de l’ex-patron des Nations Unies Ban ki-Moon à José Manuel Barroso ou au premier ministre ex-Khmer Rouge Samdech Hun Sen et foule d’ex-premiers d’Espagne, du Canada, du Nigéria ou du Japon… On eut même droit à des vedettes de la chanson avec des hymnes à la mort… du 38e parallèle. L’idylle entre Donald Trump et Kim Jong-un au fil des ans aurait bien pu être nouée dans ce milieu.

La paix vaut bien une messe

L’homme qui m’a tuyauté sur le Congrès est un adepte du mouvement, où il a trouvé l’amour de sa vie: le révérend Moon était célèbre pour les mariages de masse dans des stades. En ce sens, on peut dire qu’entre une abominable secte et une respectable Eglise, seule la taille et l’âge font la différence. Et à vouloir classer les courants de pensée entre «rationnels» et «mystiques» et les mouvements politiques entre «démocratiques» et «obscurantistes», on est face à des paradoxes: le chef des Taiping au XIXe siècle était évangéliste, le «Christian Science Monitor» fut vénéré à notre gauchiste «Institut d’études du développement», Billy Graham fut un pacifiste du mouvement contre la Guerre du Vietnam, la John Birch Society fait parfois des infidélités à sa vocation réac, l’Organisation mondiale de la santé signe des pactes avec les Adventistes, les communistes d’Angola s’appuient autant que Bolsonaro sur les évangélistes, et l’ex-pilier du «Nouvel Obs», Jacques Julliard fait ces temps un retour à la religion. Ce n’est pas mon genre, mais avec les Moonistes accueillis comme des apôtres jusqu’au Palais des Nations, on peut se poser la question: la société civile, où chacun fait carrière par surenchère rhétorique sur la paix et les droits… n’est-elle pas prise à son propre piège?

Boris Engelson

P. S.: Ce texte a été écrit juste après le Sommet il y a un mois; la Corée s’est enflammée en été 1950… et l’Ukraine à la fin de février 2022; c’est donc au seuil de 2094 que l’«Eglise pour l’unification» devrait chanter des hymnes contre le 30e méridien: réservez votre numéro du Journal de l’Immobilier!