Qui tourne le plus en rond: l’élève ou l’école ?

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Non à l’école de recrues… oui à l’école enfantine?

28 Sep 2022 | Carrière et formation

Spécial Formation… comme chaque fin de mois: par chance, l’éducation… la formation… l’instruction… les savoirs… les compétences… les qualifications… il y a sans cesse du nouveau à en dire. On l’a encore vu ces jours, d’Uni-Mail à la Rue de la Prairie et au Palais des Nations sans oublier la Kzern… où on est prêt à toutes les rébellions contre tous les systèmes. Sauf… le système scolaire, certes imparfait mais dont on a la nostalgie en temps de pandémie et dans lequel les ministres voient – guerre après guerre – un «outil de paix»?

«L’école stimule-t-elle ou endort-elle l’esprit?»: c’est la question clef de l’éducation depuis le fameux texte – vieux de quatre mille ans et cité dans «L’Histoire commence à Sumer» – de la «Maison des tablettes». Ce n’est donc pas pour faire le malin ni pour gêner les orateurs que le soussigné l’a posée à son tour dans la «chatbox» lors d’une rencontre en ligne avec les experts de l’Unesco et de l’Unicef… en vue du «Sommet sur la transformation de l’éducation» de mi-septembre à New York (à ne pas confondre avec la plus ciblée «Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur» de mi-mai à Barcelone; toutes deux sous www.unesco.org).

Les enfants bannis de l’école?

La question – sous la forme d’un tel mot d’enfant – est certes sans réponse, mais rien ne serait pire que de l’oublier tout à fait. C’est un risque constant (on l’a bien vu avec les deux experts surpris en ligne). D’autant que «l’éducation nationale» ou «l’instruction publique» est – malgré les «évaluations» – juge et partie: dans nombre de pays dont la Suisse, les salaires s’adjugent les deux tiers du budget des écoles, hautes ou basses. Et les chiffres montrent peu de lien entre le coût et l’effet de l’éducation (sans quoi le Honduras et la Sierra Leone seraient champions du Nobel: voir ourworldindata.org). Alors revenons au Forum de l’Unesco… et au livre qui lui sert de base: «Repenser nos futurs ensemble». Le livre ne prend pas les désirs des profs pour les réalités de l’élève, ni la quête de gros sous pour une feuille de route: la table des matières ne met les enseignants qu’en troisième place des soucis, après l’école «inclusive» (…), les «apprentissages» pour la vie (…) et le (…) «durable», et avant le numérique, puis le financement qui clôt la liste. Interactif, le Sommet demande non juste ce qu’il faut mettre de neuf dans l’école, mais aussi ce qu’il faut en sortir de vieux. Bref, les experts se montrent habités par le doute…

L’ombre qui précède le modèle

Chassez le naturel, il revient au galop: un(e) expert(e), même à l’écoute, doit avoir le dernier mot… et une institution, même main tendue, sait garder son aplomb. Ainsi et dès avant le Sommet, le livre précité rappelle tout d’abord que «l’Unesco (est) chef de file pour l’éducation» avant de résumer le projet sous forme d’un collage des notions dans le vent: «changer de cap»… «contrat social»… sans oublier les potentialités transformatrices de la «technologie»… tout en clamant d’emblée que «la salle de classe» est «indispensable»… malgré les souvenirs mitigés qu’en gardent les adultes. Or, si l’école – du Bengale à Genève – peine tant à rendre le numérique soluble dans l’éducation (ou l’inverse), c’est bien que la question est plus que jamais ouverte (voir «Ecole 4.0» plus loin).

A quoi rêvent les centaures?

Ne soyons pas sévères envers les inamovibles – sinon immobiles – augures qui ont sans doute des rêves d’oiseaux migrateurs: c’est le rôle des «autorités» – ministres, experts, profs – d’être gardien(ne)s de leur temple… même quand on se dit «réformateur/trice». Mais dans un monde où le mot clef «éducation» affiche d’emblée dix milliards de pages à l’écran (dont celles de www.oecd.org obsédée par le manque d’esprit critique, du primaire au supérieur)… et où notre presse locale (www.ghi.ch) titre «L’instruction en famille cartonne»… on peut se demander si les ombres de l’éducation ne tirent pas plus vite que ses modèles. Des modèles qui fuient en avant mais sont avares de bilan de leurs illusions passées: le Sommet dont on vient de parler n’est pas le premier de l’Unesco à vouloir remettre à jour l’éducation (il y en eut déjà deux autres en un demi-siècle, mais on n’en discute plus guère; voir www.unige.ch/fapse/erdie/files/7915/0678/9647/Elfert-EED8.pdf).

Regard vers le haut ou tête
en l’air?

Jusqu’au tournant du siècle, le Bureau international d’éducation – agence de l’Unesco chargée surtout des programmes scolaires – tenait congrès tous les quatre ans (d’habitude à Genève) avec les ministres du monde entier… qui apportaient par caisses entières leur «Rapport» (à la reliure d’autant mieux ouvrée et au diamètre d’autant plus gros que les écoles du pays étaient à la pire dérive). Par chance pour l’Unesco, j’ai dû – au tournant du siècle – jeter le mètre cube de ma collection, et il n’est pas sûr que le Bureau en ait une, quoi qu’il en dise: sans doute la subtile Emeline Brylinski – qui vient de soutenir sa thèse sur les premières années du Bureau – nous donnera-t-elle un jour le fin mot de l’histoire (par exemple lors d’un suivi du captivant www.unige.ch/fapse/files/5916/6307/4174/Programme_Histoires_europeenes_education.pdf, qui a donné envie d’en savoir encore plus).

Les profs manquent de philo

Autre cas, autre lieu, mais mêmes réflexes lors du lancement – au local «Pulse» de la Haute école (…) d’ingénierie – d’un livre: «Ecole 4.0» (www.georg.ch), ouvrage à dix-huit voix semi-officiel semi-rebelle avec Xavier Comtesse à la barre (voir aussi www.manufacturethinking.ch). Comme toujours sous cette plume-là, on échappe aux idées toutes faites lancées d’en-haut; mais cette fois, les hautes sphères ont tout de même su laisser leur marque. Moins par affirmation que par inadvertance: on nous annonce d’emblée que «ce livre ne donne pas de réponses… c’est rare d’écrire un tel livre». Pas sûr… un bon roman ne donne point de leçon: c’est un tic de prof, dénoncé même au Globe du Cern ces jours par un champion de la «pensée oblique» (www.ourednik.info). Retour à «Pulse» et à ses audaces très relatives… comme l’ode à «l’intelligence collective», nouveau paradigme de l’éducation: mais toute Académie avant même Wikipedia n’a-t-elle pas déjà usé le concept? Quant à «Apprendre à collaborer», c’est – depuis un siècle – le mot d’ordre des scouts qui viennent de tenir leur méga-camp en Valais (www.mova.ch).

Forts en thème sans discipline!

Le livre est à entrées multiples que le soussigné n’a pas encore toutes explorées… aussi va-t-on s’en tenir ici à une anecdote… révélatrice comme certains lapsus. Voulant flatter l’apprenti, un des experts d’«Ecole 4.0» clama au podium que «le cerveau est issu de la main… nous sommes tous homo faber» (cité de mémoire). Ledit expert est un homme aussi capable qu’aimable… ses mérites et talents ne sont pas en cause. Mais un expert se croit tout permis s’il n’est pas contredit: certes, la langue et la main ont partie liée, mais les manchots savent parler et les poissons ou les serpents ont un cerveau. Ce n’est pas pour chercher la petite bête… c’est pour combler la seule lacune des grands esprits: le garde-fou… héros des seules anecdotes. Surtout en pays de fantômes: les «politiques éducatives» sont condamnées à l’échec en ce sens qu’elles ne peuvent avoir de but clair. Malgré la terminologie attrape-tout de l’Organisation mondiale de la santé, on sait en gros ce qu’est un malade… et aux Agences spatiales, on voit si la fusée a atteint son but. Même les armées ont des outils – sinon des recrues – taillé(e)s pour leur tâche. Mais qu’est-ce qu’un(e) citoyen(ne) «instruit» sinon «cultivé», c’est encore plus vague avec Google ou l’Unesco qu’avec Aristote ou Rousseau. La Palice dirait «C’est avoir son brevet à l’usure… du froc ou du temps».

 

Boris Engelson