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Mais où est donc passé l’esprit de la science?
«Science» et «scie» ont même racine: celui qui scie une matière pour voir ce qu’il y a dedans a une démarche scientifique. Peut-on en dire autant de celui qui nous «scie la caramelle» avec ses savoirs et «parle comme un livre» ou pis, «comme un prof»? C’est – hélas! – le travers de tous les «experts» – le plus souvent «de haut niveau» – qu’on entend tout au long de l’an dans la Genève Internationale ou dans les Ecoles Cinq Etoiles. Ces jours encore à un sommet technique aux Nations, la Banque mondiale a jonglé avec les chiffres à en perdre la raison. Dans ce «Spécial Formation», on va juste prendre deux cas récents dans les toutes hautes sphères des sciences dures. Mais dure ou molle, la science de pointe qui trône sur la brume est – souvent – celle de l’absurde.
Cet été, le «Science Gateway» va ouvrir à l’Esplanade des Particules devant le Cern, et on entend déjà les flonflons de la fanfare et les hourrahs des officiels. Nul doute, l’institution savante la plus cotée au monde a mobilisé le nec-plus-ultra de la communication scientifique de l’Univers. Il y a de quoi: «gateway», cela veut dire «passerelle», «portail», «entrée» du public dans les mondes parallèles. Mettant les pieds dans ce chantier en avant-première, les membres de l’Association suisse des journalistes scientifiques ne devaient pas trahir avant l’heure les secrets de la maison. Mais cela ne s’applique sans doute pas aux purs débats d’idée: une idée pure n’est d’ailleurs pas brevetable. Alors voyons ce qui cloche dans les idées pures de la communication scientifique, qui sait mieux parler «des sciences» que «de la science».
Ne tombez pas dans le panneau!
Avec casques et bottes requis par le chantier, le groupe «avant-premier» n’a guère le temps de lire en détail les panneaux. Dommage, car l’un tente d’expliquer la mécanique quantique, qui permet à des (en fait, «deux») «particules de s’influencer à distance». Bigre! mais est-ce vraiment là un trait de la mécanique quantique? La bonne vieille gravitation aussi exerce une «influence à distance» sur les autres corps. Les panneaux du «Gateway» sont bilingues, alors la version anglaise précise «instantanée» à propos de l’influence. Même ainsi et sauf erreur, au XVIIe siècle déjà, la gravité s’exerçait sans délai dans tout l’Univers (que le problème soit à «deux» ou «trois corps»). Plus tard au XIXe siècle, les électrons ont inspiré la notion de «champ» qui n’eut même plus besoin de parler de «deux» particules… pourvu qu’une soit «chargée»; mais l’équation mettait à mal l’«instantané». Ce fut une révolution, on mit du temps à en peser les effets… et ici, ce n’est pas le sujet.
Entre savoir et saisir, il y a un angle droit
Les théories actuelles confondent les ringards Newton et Einstein de la «mécanique classique», et c’est bel et bien le nœud de l’histoire (de l’Univers). Pas facile d’«expliquer» les mécaniques «non classiques» remises à l’ordre par le «Modèle Standard» au cœur du Cern. On peut même se demander s’il est sage de vouloir faire crier «Eurêka!» au public à tout bout de champ: à quoi bon «remplir» des panneaux et le cerveau juste pour pouvoir dire qu’on a «expliqué». Retour donc au «Gateway »: un panneau plus loin explique quant à lui que les particules élémentaires «ont toujours existé» car elles sont apparues «au tout début de l’Univers (…) il y a 13,8 milliards d’années». Un enfant verrait d’emblée le hic du «toujours» et de l’«instantané»; et un senior se rappelle soudain les paradoxes de l’espace-temps; alors il se demande «l’âge de l’Univers, c’est avec quelle échelle de temps? Dans la matière condensée des «débuts», le temps était presque éternel… en tout cas, il n’avait pas la même «durée» que de nos jours». Mais les experts en comm’ des sciences ce jour-là au «Gateway» sont jeunes et modernes: ils n’ont pas connu les maux de tête qu’Albert Einstein avait donnés à leurs grands-
parents. Bref, ici on ne jette la pierre à personne, et en tout cas pas à l’intox de la comm’: le journaliste – surtout s’il est chevronné, voire scientifique – est sans doute le premier coupable… quand il n’ose pas penser «autrement»: à singer le savant sans prêter sa voix au doute, on fait de l’intox «à la Monsieur Jourdain». Et si le soussigné ne suit pas la consigne ni les consignés, ce n’est pas par génie mais – comme l’enfant du Roi Nu – par bévue.
Le music-hall, grande fac de sciences
Cette gêne du «j’ai rien compris mais je n’ose pas le dire… fût-ce à moi-même», on la retrouve au Musée d’histoire des sciences qui tient expo cet été sur la «pesanteur» (geneve.ch/fr/actualites/choses-exposition-musee-histoire-sciences;). Que les pommes tombent des arbres, même les singes le savent; et qu’un obus a sa plus grande portée si on le tire à 45 degrés, même un soudard de jadis avait fini par le savoir. Par contre, que «là-haut, c’est comme ici-bas», cette simple phrase résume la Renaissance et sa révolution astrale. Mais c’est dans une opérette tirée de Victor Hugo qu’on a pu l’entendre, ce qui fut cité en ces pages mainte fois depuis. C’est toutefois «l’identité de la masse pesante et inerte» (à savoir: un corps deux fois plus dur à mouvoir par un cheval aura aussi un attrait double pour le sol) qui sous-tend la «relativité générale»: Albert Einstein et son bras droit Leopold Infeld le disent en mots simples dans un livre de poche à cent sous.
La mécanique devient géométrie
Retour au Musée près de la Perle du Lac: noyé dans les murs, un bref texte fait in extremis un clin d’œil à la Relativité Générale, avec en sus le schéma de «l’espace déformé» par la gravitation (du genre vivreaulycee.fr/relativite-generale-et-espace-courbe/). Schéma sans doute juste, mais qui aide ou qui brouille la voix des profondeurs du Trou Noir et de la Masse Obscure? Plus on ouvre grand les yeux devant le schéma, moins on y voit clair: car deux corps qui passent au même endroit dans le même «temps» ne feront pas la même course dans le même «espace». Qu’importe, le propos de cet article n’est pas la «Quatrième Dimension», mais la pédagogie et ses illusions… d’optique. Car là encore sur les panneaux, on en a dit trop ou trop peu… d’autant que pour la Relativité, les forces – en particulier celle de la gravitation: c’est même en toutes lettres au Musée – «ça n’existe pas». Dans un musée, entre ce qui n’existe pas mais dont on parle et ce qui est mais que l’on tait, encore heureux si on arrive à trouver la sortie. C’est une fois dehors qu’on reprend ses esprits: où est la limite entre pédagogie et comm’? Car dans tout musée, c’est moins l’esprit des «commissaires» que la loi du genre qui s’impose: un laboratoire, un professeur, même une Municipalité… sont tenus d’épater la galerie (bien plus que l’opérette citée plus haut)! Faut-il lire les livres pour enfant pour être moins otage du rituel savant et «entrer» enfin dans le sujet?
Potion ou formule magique?
Que veut dire «faire comprendre» et «comprendre» et à quelle fin «créative»? Tel est l’objet de ce texte, qui n’est pas un cours de physique: l’auteur en serait bien indigne. Mais que «fait comprendre» l’Esplanade des Particules, alors que la «simple» définition de «particules» est sujette à caution depuis trente siècles? Et de nos jours en comm’ des sciences, on ne sait plus bien ce qu’est une «loi», une «théorie», un «modèle», voire une «formule». Et soudain on se demande pourquoi, en anglais, science de pointe se dit «rocket science», alors qu’en français, «it’s no rocket science» se dit «c’est pas sorcier» (repris comme titre d’une série télé… fétiche du service de comm’ du Cern).
Alors on va s’en tenir à la vieille blague sur les Allemands des années trente, «intelligents, honnêtes et national-socialistes… mais jamais les trois à la fois»: le savant moderne est «érudit, objectif et scientifique… mais jamais les trois à la fois». Et c’est vrai à plus forte raison des «experts» de tout poil en économie, en éducation, en informatique, en sociologie, et en sécurité… hormis les malfaiteurs, qui n’ont pas droit à l’erreur.