Carrière, formation
Les mots sont-ils des particules élémentaires?
«Carrière & Formation». Oh! la formation a mille facettes, de la crèche à la thèse. Et c’est bien le «doctorat» qui va être le prétexte à une promenade à travers deux ou trois «soutenances».
On pourrait facilement ironiser sur les sujets de thèse: techniques – voire étroits – par la force des choses, ils sont plus souvent issus du souci «quel sujet de thèse puis-je bien me trouver?» que «quelle question cruciale reste-t-il encore à traiter?». Dans ses romans, David Lodge se moque souvent de son propre milieu; et on trouve en ligne des dialogues désabusés du genre «quel est l’intérêt des thèses de doctorat si personne ne les lit?»… à quoi répond «la première qualité d’une thèse est d’être terminée (…): surtout ne pas tenter de pondre la thèse du siècle». Certes, une soutenance est un rite initiatique autant qu’une contribution à la science. Dommage, car c’est à ça que la crème de la jeunesse consacre ses plus belles années. Un journaliste nostalgique a même suggéré au service de presse de l’Université d’organiser une rencontre annuelle ou mensuelle avec les doctorants. Et «Ma thèse en 180 secondes» est une façon «comm’» de rendre les jeunes chercheurs plus «publics». N’empêche, une fois le titre de «docteur(e)» estampé, le contenu du demi-millier de pages n’intéresse plus grand-monde. Curieux: trouver la simple liste des thèses soutenues cette année est «un parcours du combattant»… et une analyse du catalogue serait une thèse en soi. Quant à retrouver des écrits héroïques, comme ceux de Gianni Mocellin sur l’intelligence artificielle, cela relève de l’archéologie (voir systomatics.ch/theory/TheoryAmicalScienceJeanFr.pdf). Et soudain me revient en mémoire une anecdote: colloque sur «le mouvement ouvrier et la question de la guerre» (titre cité de mémoire)… or le matin même, j’avais trouvé aux puces une œuvre sur le même sujet… écrite dans les années soixante par un doctorant genevois au nom slave… donc je le signale aux experts du colloque… qui haussent les épaules: «Oh! ça doit être un de ces Serbes réacs de l’équipe à Jacques Freymond» (ce qui n’était en fait pas le cas).
La procédure fait-elle le procédurier?
A la lecture de l’agenda de l’Unige ces temps, trois thèses ont retenu mon attention: il serait vain d’en faire ici l’examen détaillé… qui demanderait au journaliste d’être lui-même expert en chaque sujet. C’est donc un tableau impressionniste qu’on va brosser en vitesse ici, en évoquant ensuite les rêveries qu’il suscite dans la tête du journaliste. Une thèse en «sciences de la société» portait sur «Les nouvelles frontières de l’in/validité». J’ai écouté en ligne (mais pas d’un bout à l’autre) la candidate Monika Piecek défendre sa «bonne cause»… sans excès de pathos ni effets de manche: travail solide et utile, m’a-t-il semblé. Tout autre domaine… une thèse sur «La maîtrise des faits par l’avocat (…et… les) moyens de preuve». Cette fois-là, j’étais sur place, dans une salle pleine de confrères du jeune Tano Barth… mais l’enjeu était à la portée d’un public motivé. En gros: la compétence de l’avocat émane-t-elle surtout de sa maîtrise du dossier, ou de celle de la loi? Par exemple, un avocat qui demande à la police des renseignements sur la partie adverse dans un procès sur la garde des enfants… doit-il être blâmé pour «incitation à trahir le secret d’un fonctionnaire»? «Non», dit le thésard, pour qui l’avocat n’est pas un auxiliaire de l’administration judiciaire et se doit tout entier à une défense bien étayée. «Pas si simple», objecta un juré, qui rappela qu’au XIXe siècle, dans un canton suisse, l’avocat était proscrit des procès, car perçu comme un emberlificoteur. Preuve que la conscience de ses limites en vertu du droit n’était pas secondaire en regard de la diligence en faveur du client.
Ne pas être juge et partie se limite au droit
D’un bond, passons à la thèse «Définir la déterminologisation»: approche outillée en corpus comparable dans le domaine de la physique des particules». Cette fois, je n’étais ni en ligne ni sur place, ayant découvert un jour trop tard l’avis de soutenance de la Faculté de traduction et d’interprétation… et j’ai donc dû chercher copie du texte de Julie Humbert-Droz. Pour juger de la valeur de la thèse, on doit laisser la parole à la page 317: «Notre thèse représente (…) un apport important pour les champs de la linguistique outillée et de la terminologie textuelle». Pour faire (trop?) simple, cette thèse examine le passage des mots savants dans la langue courante… mais pas au point d’inclure «Les particules élémentaires» de Michel Houellbecq dans sa bibliographie. Ce travail met en évidence avec à propos – sans qu’on puisse dire si c’est par inadvertance – la dimension de «traduction» que tout auteur de texte doit faire dans sa propre langue; surtout quand on convertit le français technique en français profane. Thèse magistrale, donc, qui prolonge les publications – certaines en anglais – de l’auteur. On peut se demander si le sujet n’aurait pas autant sa place en linguistique à la Faculté des sciences ou en analyse du discours à la Faculté des lettres qu’en «traitement informatique multilingue » à la Faculté de traduction et d’interprétation. Au lecteur de se faire une idée sur le statut de la «déterminologisation» et de la «néonomie» comme sciences.
Particule ou corpuscule?
Passons enfin aux rêveries de journaliste annoncées plus haut: en sciences dures, n’est-ce pas plutôt le passage en sens inverse – du profane au savant – qui pousse la pensée en avant? La manière dont les médias parlent du cosmos ou des atomes est un (en général) un reflet passif du savoir. Par contre, quand la science la plus pure doit s’accrocher à des «cordes»… se lester de «masse»… bondir d’«énergie»… être mue dans un «champ»… avancer comme une «onde» mais par «quanta»… combiner des «éléments»… prévoir le fils d’un «gène»… obéir aux «calculs»… elle doit tout à la langue pure… au point d’en être otage: c’est par la mise en doute des mots «espace» et «temps» – plus que par de savants calculs – qu’est venu le coup de théâtre de la relativité. Malgré mes années d’études, c’est bel et bien l’opérette «Notre-Dame de Paris» qui m’a fait saisir ce que disait Newton: «Là-haut, c’est comme ici-bas!»… le mouvement des astres, c’est comme la chute de la pomme. Alors, même si – dans ces trois thèses – j’avais tout compris de travers, reste une vérité absolue: ça vaut la peine de lire archive-ouverte.unige.ch… au hasard, de préférence.