Le maître au service des fleurs ou les fleurs au service des maîtres?

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Les cent fleurs de la culture genevoise

21 Déc 2022 | Carrière et formation

A Genève, on est gâté, question culture!»: que de fois entend-on cette remarque sortie de la bouche de gens qui courent du Victoria Hall à La Comédie… du Musée d’art et d’histoire au Grand Théâtre… des galeries du Quartier des Bains aux festivals Archipels ou Filmar… Surtout, le budget de la culture fait qu’à Genève les artistes prennent leur Bain dans le Pactole et le public court la Muse dans un Eden: ce ne serait pas la première fois que les «cent fleurs» auraient un double sens. Ce texte sur la culture prolonge sans le vouloir celui de la semaine dernière sur l’école; il n’est donc pas déplacé dans un numéro Spécial Formation: c’est bel et bien l’esprit «pédagogique» et la morale «édifiante» de la politique culturelle genevoise qui est en question – une fois de plus – ici.

La Chine – devenue «République populaire» il y a bientôt trois quarts de siècle – se lança d’emblée dans un «Bond en avant», assez dur pour rendre urgent moins de dix ans plus tard un épisode libéral dit des «Cent fleurs». A croire que là-bas et en ce temps-là, c’était l’un ou l’autre… le bond pour la masse ou les fleurs pour les lettrés: au printemps 1957, la critique du pouvoir fut ainsi tolérée un bref instant. Chez nous, on semble croire que «En avant!» et «Ni Dieu ni Maître» font double emploi: il n’est donc pas aisé de critiquer les artistes qui s’engagent de l’avant. Seuls des incultes – comme le soussigné – s’y risquent… par inadvertance.

L’inadvertance est objective

On a déjà cité dans ces pages cette morale de la fable inverse: «C’est la seule manière d’être objectif», rétorqua un banquier à un poète qu’il voulait mettre à la rubrique boursière et qui se récriait «Mais je n’y connais rien!». De même, l’inculte soussigné se sent démuni face au «Document-cadre pour une stratégie de cofinancement de la création artistique et des institutions culturelles», issu d’une récente votation «pour une politique culturelle cohérente» et présenté ces jours lors d’une conférence de presse conjointe des autorités du Canton, de la Ville et des Communes (voir ge.ch). Et que peut faire un inculte, face à la liste des «institutions (…) proposées pour un financement conjoint», sinon s’en tenir à son «vécu» anecdotique mais irrécusable… vécu qui couvre la moitié de la petite trentaine d’institutions choisies en haut-lieu. Avec cette question en tête, à laquelle on se gardera bien de répondre: la culture qu’on porte aux nues, est-ce de la créativité ou du remplissage? En tout cas, ne jamais poser la question mine la première et pousse à la seconde. Ailleurs, on n’a pas peur de faire passer à l’art du «crash test»: même «Paris-Match» ose se moquer des artistes engagés, tandis que «Yahoo» s’en prend – à tort ou à raison – aux «classiques littéraires les plus surestimés». Ce serait une bonne entrée en matière pour les «Assises culturelles du Grand Genève» dont on dit qu’elles se tiendront le premier février. En attendant et faute de mieux à la Etienne Dumont, on va faire avec ce qu’on a…

Trois débats qu’on ne veut pas publics

Retour à la liste… on ne va pas s’en prendre au Mamco: la peinture est une pomme de discorde entre contemporain(e)s depuis que l’abstraction y défie le figuratif. Seule question qu’ose l’inculte, qui a toutefois des amis artistes hors Mamco: est-il vrai – on n’ose dire ces gros mots en public – que le Mamco soit «une clique de copains»? Passons au Geneva International Film Festival: les rares fois que l’inculte a pu s’y faire accréditer, on refusa de le laisser parler aux débats publics (de ce forum issu de la Radio-télévision publique)… «Je ne vous donnerai pas la parole»… «vous détournez nos débats»… «vous êtes un faux journaliste»… voici le type d’amabilités coutumières des «modérateurs/trices» et autres «animateurs/trices» modèles… qui ne se donnent pas la peine de répondre quand on se plaint par écrit. Quant au Festival (…) du film (…) des droits humains, il a ses mérites mais aussi ses non-dits… dont on a assez parlé dans ces pages pour lui faire – voire rendre – grâce pour une fois. De même, La Comédie a reçu assez de tomates de l’inculte soussigné, outré par sa servilité envers les militants climatistes ou féministes, pour être laissée tranquille cette fois: disons juste que pour la clownerie, le Cirque Knie fait mieux. Difficile de s’en prendre au Grand Théâtre, surtout depuis qu’il se cache derrière le «Migrant» (thème de sa dernière saison): d’un point de vue technique, au vu des moyens, il est sans doute un des meilleurs du monde. C’est plutôt au Conseil municipal – lors d’une séance publique – qu’on a eu la dent dure contre cette maison accro aux subventions, mais opaque dans sa gestion. Surtout, un vieux souvenir de Soixante-Huitard ressurgit: nous avions convoqué une manif à la Place Neuve contre cette «culture bourgeoise», et les bourgeois éberlués avaient dû passer un cordon de police avant d’entrer dans leur Grand Théâtre. Etait-ce la plus risible des dérives du mouvement estudiantin d’alors? Pas sûr, et «West Side Story» (par exemple) montre – mieux que la version filmée de «Carmen» – que l’opéra a des choses à dire hors d’un décor Second Empire.

Programmation libre mais servitude volontaire

Le «Migrant» est si porteur pour les artistes que même le Musée de l’Ariana s’y est mis… prenant en otage l’Académie internationale de céramique lâchée par sa marraine l’Unesco (détails sur demande: ce serait un article en soi… comme dans deux autres cas plus loin). Vrai, l’Ariana n’est pas dans la liste, mais juste en face se trouve, au bénéfice de la liste, le Musée de la Croix-Rouge. Là aussi, on a pas mal ri – par le passé dans ces pages – de sa dérive «woke» et on ne va pas doubler la mise. Car son «woke» en noir et blanc – qui fit la nique à Pierre Soulages au salon Artgenève l’hiver dernier (détails sur demande) – n’est pas grand teint: la dernière fois que j’ai croisé le directeur, il m’a semblé bien moins borné que son musée… et pourrait un jour nous en faire voir de toutes les couleurs. Ce directeur prometteur a donc droit à toutes les circonstances atténuantes: c’est bien le milieu – obsédé du «qu’en dira-t-on» – qui pousse ses soldats au crime. De même, à la grande Bibliothèque – que les «Archives Contestataires» ou des «Wikimédiastes» climatistes tentent de… coloniser (détails sur demande) – le nouveau directeur fait ce qu’il peut pour limiter les dégâts. Dernier coup de griffe… sur «Les Créatives»: tout le florilège militant y défile… féminisme, climatisme, et désormais en boucle, leur «intersectionnalité». Un merci tout de même: à un débat dans un de leurs bastions – le Théâtre de Saint-Gervais -, les meneurs transgenres ont accueilli les questions de l’inculte soussigné avec une certaine indulgence. Tel ne fut pas le cas au prétendu Théâtre des Marionnettes, qui organisait un débat à l’issue d’une pièce sur la Palestine. En soi, pourquoi pas, mais pas trace de marionnette avec ou sans fil dans ce spectacle… sinon les fils invisibles qui lient les Marionnettes, «Le Courrier», la Librairie du Boulevard et l’Université Ouvrière (voir «partenaires» sur le site maison). Au débat après la pièce – sur l’art engagé – le podium fait de quatre ou cinq gauchistes cloua le bec d’emblée à l’inculte soussigné qui a de «l’engagement» une autre vue que celle de Picasso sur Guernica.

De quoi vivait Mickey?

Cette intox permanente, unilatérale, subventionnée… les édiles à la conférence de presse à l’Hôtel-de-Ville y voyaient une liberté: «Ce n’est pas nous qui fixons la programmation… les théâtres sont libres». C’est vrai et c’est le pire: cette «intox» culturelle est bel et bien le «ciment social» de notre république, et répond au goût du public «citoyen». Elle évoque aussi cette «servitude volontaire» qui étonnait un voyageur français en Russie au XIXe siècle. On pense aussi à une sociologue de l’art souvent citée dans ces pages: «Où va une société dont les élites doivent jouer aux rebelles?»… avec Malraux ou Picasso sans cesse à la bouche, mais laissant Chaplin, Disney ou Weinstein leur livrer l’art pop… sans subventions. Autant que cette question reste ouverte: trop souvent les «artistes» ferment les questions (pour que nul de «l’ouvre»), comme on l’a vu plus d’une fois en «conférence de presse» sans temps de parole au public (à la Haute école d’art… à Archipels et à Château Rouge… au Poche ou à Carouge…). Alors autant lire «Le canard des enfants philosophes» sur «L’art de rien» qui se vendait ces jours au «Marché de Noël des artistes» de l’Usine Kugler (canardphilo.art). Ainsi le lecteur aura tout de même un clin d’œil du Père Noël, hélas! tenu à distance par ces sujets sans joie, mais hélas! de saison…

 

Boris Engelson