Pas toujours facile de distinguer bourreau et victime..

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Le pacifisme est-il scientifique?

29 Juin 2022 | Carrière et formation

Curieuse scène mi-juin à la Salle Frank-Martin: au lieu du doux son du violon, c’était une voix martiale qui y résonnait, celle du Chef de l’armée. A la fin de la séance, ce fut une autre voix qui tonna: celle du directeur de la Chambre de commerce, appelant «mini-MBA» les qualifications que donne un service militaire appliqué (ccig.ch/agenda/2022/06/Le-Chef-de-lArmee-rencontre-le-milieu-economique-genevois-Dinner-Event). Ce sujet mérite donc bien un article «Carrière & Formation», d’autant qu’en suivant le fil conducteur militaire, il va passer d’un apprentissage stratégique à l’autre.

Dans certains pays où l’armée est à option en temps de paix, ceux qui s’y engagent en tirent salaire et… formation: c’est le cas, par exemple, aux Etats-Unis, où – dit-on – on paie même des études aux soldats après la fin de leur contrat. En tout cas et où que ce soit, l’armée touche à toutes les sciences: la mécanique, l’électronique, la médecine, la géographie, la logistique, la diplomatie… et en Suisse, elle permet même à un Romand de découvrir son propre pays, voire ses langues. Mais en Europe, tout ce qui touche au militaire a une sale image: rien n’est plus solide que ce préjugé des intellectuels progressistes. Le slogan «il leur faudrait une bonne guerre» est perçu comme le cri de ralliement de l’ennemi de classe… on peut le lire sur les murs de la ville. Même quand l’armée a voulu donner un coup de main national contre la pandémie, elle n’a pas été encouragée. Avec cet état d’esprit, le prometteur «service civil» a du plomb dans l’aile.

Un satellite, c’est un obus qui va vite

La science elle-même est devenue suspecte, à force de promiscuité militaire, avec ou sans bombe atomique. «La créativité est fille de la nécessité» dit un adage; le premier sous-marin fut construit pendant la Guerre de Sécession, l’aviation fit un bond pendant la Première Guerre, et de Newton à Nobel, les armées stimulèrent les savants. Ce sont les boulets des canons qui fournirent à Newton le chaînon manquant entre les pommes qui tombent et les lunes qui tournent. «Qui n’est pas pacifiste manque de cœur, mais qui y voit une formule magique manque d’esprit», pourrait-on dire à l’instar d’un dirigeant politique controversé. Quand le pacifisme s’exprime par la voix de la «Lysistrata» d’Aristophane… dans la «Grande-Duchesse de Gerolstein» d’Offenbach… dans les Temps Messianiques de la Bible… dans les complaintes des veuves… il est au cœur de l’humain. Mais quand un Bertrand Russel conseille aux Britanniques de ne point se défendre contre les nazis, qui «se sentiront si risibles qu’ils remonteront dans leurs bateaux pour rentrer en Allemagne», il manque de jugeote. C’est un peu ce qu’on ressent ces jours à propos de l’Ukraine…

Le vert militaire n’est pas «durable»?

Quand le plus grand pays du monde se retrouve soudain à nos portes avec armes et légions, les esprits les plus éthérés reviennent sur terre. En mars, même le Festival (…) du film sur les droits humains – alors tout entier à ses chimères séculaires comme l’Afrique «décoloniale» – a dû en hâte ficeler un débat sur l’Ukraine. Mais très vite chez les pensants bien ou mal, on a noyé la menace des armes sur la «durabilité» dans l’équation de l’urgence climatique (voir par ex. faire-face.ch). Ou dans celle de la menace des espions: pour le Club de la presse – pilier de l’Appel à libérer Julian Assange -, les services secrets de Langley restent les premiers ennemis de la démocratie… même face à la Russie! On devrait lire «Le militant contradictoire», où un couple déçu par le drapeau rouge voit une bonne dose de racisme dans l’anti-américanisme (et demander aux Vietnamiens si – pour eux aussi – Daniel Ellsberg est un héros). On retrouve ces œillères dans les musées, même celui de la Croix-Rouge, dont guerre et paix serait la vocation: on n’y parle plus que d’égalité genre. Et quand on invite son directeur à la Fondation Brocher, c’est aux dépens de Helen Frowe (une experte invitée jadis chez Brocher mais trop hors-«woke» pour la Croix-Rouge). D’ailleurs, même en restant dans le triangle sacré «genre, migrant, climat», les mercenaires et surtout les femmes soldats – de la Russie en Première Guerre à la Chine Populaire… d’Israël à la Malaisie… du Pérou à l’Erythrée – fourniraient un sujet de réflexion en… poupées russes. Bref, l’Ukraine – Nation victime bien que blanche et réac’ – met à mal nos tabous: c’est trop demander à nos «force de progrès» que d’y renoncer.

L’hypocrisie, hommage du vice
à la vertu

Avant de conclure, on va illustrer ici une thèse cent fois défendue dans ces pages: à savoir que les puces valent tous les profs. C’est à une brocante que le soussigné a pu mettre la main sur un «Agenda du combattant» édité en 1954 par l’armée française pour ses soldats d’Indochine. On y lit des phrases assez surprenantes, en regard des idées que le «décolonial» se fait de la Première Guerre du Vietnam. «Le conflit en Indochine est une guerre civile, notre action militaire (…) doit s’accompagner d’une action politique dont le but est de permettre le ralliement du plus grand nombre possible de rebelles. Pour cela, rien ne doit être accompli qui puisse acculer l’adversaire au désespoir.» Plus haut, ce petit livre rouge déclare: «Il est bon de rappeler qu’un des traits de notre caractère national est «l’absence de tout préjugé de race, de religion ou d’opinion»»… si bien qu’ «il faut éviter avec fermeté les brimades ou les vexations, les exactions ou les tracasseries inutiles». Ces préceptes ont-ils été appliqués; et d’ailleurs, étaient-ils sincères ou juste cosmétiques? Question centrale pour l’humanitaire, pour le journaliste et pour les historiens… mais qui peut brûler les plumes encore plus que la langue.

 

Boris Engelson