carrièrE & formation
Le civisme est-il tarte?
Dernier numéro avant les vacances, et du même coup dernier Spécial Formation. Peut-on «rester dans le moule sans finir tarte»? Telle fut – mot pour mot – la grande question d’un récent forum à l’Université. C’est-à-dire – et faute de pouvoir être les deux à la fois – vaut-il mieux être «bien élevé» ou «hors norme»?
Mondiale, locale ou cachée, trois rencontres liées à la formation ont eu lieu ces jours en notre ville: un colloque sur la pédagogie de l’histoire, hommage de la Faculté (…) des sciences de l’éducation au professeur désormais honoraire Charles Heimberg; le cinquantenaire de l’Ecole active de Malagnou, qui fait en petit ce que l’Instruction publique ne peut faire en grand; et un congrès juridique à la gloire de «la désobéissance» où les Facultés de droit voient désormais l’avenir de la Justice. Ce fut du moins le message le plus stupéfiant dudit congrès (qu’on peut nuancer en jetant un coup d’œil à unige.ch/droit/cetel/evenements/journees/2024/aimj et unige.ch/droit/cite/events).
On pourrait prendre au mot la tarte et son moule pour répondre par une question: «Pourquoi la recette du «vivre-ensemble» en pleine conscience militante… donne-t-elle une tarte brûlée à chaque essai?». On va poursuivre par petites touches avec d’autres questions: en science comme en art, la précision académique ne laisse guère passer de lumière; et le pointillisme vaut encore mieux quand les points sont d’interrogation.
Jules Vallès y retrouverait-il
les siens?
Premier point d’interrogation sur les vertus de la «Transgression»: doit-on ajouter ce terme fétiche à «Liberté Egalité Fraternité» sur le linteau des mairies? Et nommer l’«insurgé» Donald Trump président d’honneur d’Extinction Rébellion? Deuxième point d’interrogation, après avoir entendu évoquer la désobéissance «pour motif honorable»: un crime d’honneur est-il honorable? Troisième point d’interrogation: «civique» et «citoyen» sont-ils synonymes? Jadis en démocratie, le dévouement civique commençait par le respect des lois; de nos jours, l’engagement citoyen se fait fort de les défier.
D’où le quatrième point d’interrogation: peut-on être à la fois démocrate et insoumis, du moment qu’on trouve ses motifs à soi «supérieurs» à ceux du Parlement? Certes à un congrès de savants ou dans un cercle d’artistes, les études de cas mettent en avant des rebelles au-dessus de tout soupçon: un Nelson Mandela plus qu’un Al Capone. Mais un Mandela ne pouvait se servir du vote dans un Etat qui en privait la masse, tandis que la Prohibition dont se joua Capone fut abolie par le Sénat. Et une éthique sans coût, c’est un chèque en bois: dans la Suisse d’après-guerre, les objecteurs de conscience trouvaient juste d’aller en prison; alors que les objecteurs de frontière d’Europe jugent leur affaire rentable. Bref, si l’incivilité est «in», on peut douter que ce soit aux profs de droit de s’en faire les… avocats.
Toute l’affaire Ramadan
est là-dedans
En mettant sur le même plan «la règle de la fourchette à gauche», l’occupation d’un territoire, l’obstruction d’une administration, un saut à la perche hors des formes, une grève pour les droits civiques, le vandalisme du ballon rond, sans parler des fraudes à l’assurance… ces professeurs ès démocratie ne jouent-ils pas sur les mots et avec le feu? Ironie: aux toilettes à côté de la salle du congrès, cinq des dix urinoirs étaient hors d’usage par la vertu de l’incivilité.
Et attention: rien n’est plus volatil que les «mœurs»: le «shocking» de la Californie de ce début de Millénaire ressemble à celui de Victoria un siècle et demi plus tôt… après que Mai 68 eut fait du laxisme sexuel le «must» de la modernité… tandis que le «mariage pour tous» laisse intact le tabou de l’inceste.
Assez pour les zigzags des mœurs et retour à la chute de la République de Weimar, ou plutôt au «remake » qu’on nous prépare: de nos jours, seuls les flics n’ont pas le droit d’être incivils, et même quand ils sont en règle, on leur cherche noise. Et on leur coupe le sifflet en citant Stéphane Hessel, Frantz Fanon ou Emile Durkheim; alors que Jerome K. Jerome – qui se moquait encore plus du règlement – avait une ironie à double tranchant: «Si les voleurs portaient un uniforme, la police leur assurerait tout son concours».
Esprit d’ouverture ou fuite
en avant?
Place aux deux autres «événements» nommés au début (unige.ch/fapse/actualites/une/journee-etude-heimberg/ et ecoleactive.ch qui a fêté son demi-siècle d’ouverture… en famille): ils resteront des «cas d’école» pour le meilleur, mais ici aussi on va s’en tenir aux points d’interrogation. Et au fond, on trouve avec les interrogations précédentes un point commun: la confusion entre «Avant» et «En avant», surtout quand on est dans une école… de pensée. Le groupe «engagé» de pédagogues de l’histoire autour de Charles Heimberg se veut au service de la conscience civique; et ses manuels «Pratiques Citoyennes» ont même eu l’aval de l’officialité sous la libérale Martine Brunschwig-Graf.
De gauche à droite, des gens aux options «impeccables» (ce fut dit) unis contre le Mal… c’est bien normal. Mais – lors de la Journée d’étude – on donna au Mal un visage étrange: «L’Association Refaire l’école (Arle) est un bastion d’extrême droite». Bref, un vieux réflexe reprend le dessus: qui ne pense pas comme nous doit être jeté «à la poubelle de l’histoire» (ancien slogan stalinien qui reste dans la psyché de tout militant).
Quel est le bon sens en amont d’une chute?
Le résultat n’est pas celui qu’on veut: plus on bonifie le jeune à l’école, plus il vote réac une fois libre: sa manière à lui de «désobéir» aux leçons de bonne conduite et de «transgresser» la norme (si nouvelle et futuriste, donc impeccable et consensuelle soit-elle). Ce rebelle au «progrès» se dit sans doute que le «En avant» – mot d’ordre des luttes sociales d’un siècle -, c’est bel et bien le monde d’«avant». Quand un «passé» dont on avait fait «table rase» revient au pouvoir en France comme au Chili, au Proche-Orient comme au Sud de l’Afrique, on se dit que la Terre tourne, même si on s’accroche aux mots.
Et si l’antidote aux sens uniques, lui aussi, venait du passé? Il y a quelques mois, au Sommet mondial sur la société de l’information, on a appris d’un expert français (bel et bien hors norme) que les Etats-Unis avaient longtemps eu une loi – abolie il y a moins d’un demi-siècle – forçant tout canal d’information à résumer en annexe les arguments adverses. Quant à mettre ce principe au linteau des mairies ou des médias…