
Carrière et formation
Le «big crunch» a commencé… le 27 mai!
On se demande parfois «A quoi bon?»… car si l’Univers doit finir comme il a commencé – par une soupe dense telle celle lors du «big bang» – à quoi bon tous ces poèmes et ces algèbres qui font la «civilisation» et qui apportent à tous les héros de l’art, de la science, de l’amour et des armes tant de gloire, et à leur public, tant de bonheur ou de lumières? C’est pourtant un «big crunch» du savoir qui s’est mis en marche au pas cadencé fin mai à l’Université: une matinée entière de cris de haine contre l’«objectivité» et sauts de joie en faveur de la «purification» des bibliothèques.
«Tous des cons!»: ce jugement sans appel d’un bouquiniste à propos de ses cousins les bibliothécaires avait à l’époque choqué le soussigné; qui comptait des gens de ce métier parmi ses plus chers amis; pis, le terme «con» – seule insulte qui ait bonne presse dans les milieux savants pour parler des autres – est une manière facile de mettre hors jeu ceux ou celles qui ne pensent pas «comme il faut». C’est d’ailleurs l’auteur d’un pamphlet vidéo «Deux connards dans un bibliobus» qui fut la vedette du colloque du 27 mai.
Le prétexte du colloque et du pamphlet était la guerre de Donald Trump contre les mots du «progrès» et de l’«égalité»; mais au colloque, on parla peu de Trump et à la folie de la «bonne» censure qui devrait contrer la «mauvaise». Quitte à jongler avec les contresens: Julien Probst – l’orateur vedette sus-cité – a d’emblée invoqué Karl Popper par une citation condamnant toute forme de censure; qu’il a prise pour une recette contre les mauvaises herbes (voir plus loin; bref, «Pas de liberté pour les ennemis de la liberté»).
Plus étonnant encore, ledit orateur a mis le public en garde contre le reste de l’œuvre de Karl Popper, au «libéralisme» suspect. Ce tour de passe-passe étant fait, les vannes étaient ouvertes toutes grandes à l’intox «woke» qui est chaque jour plus en cour dans le milieu du pouvoir de la parole, sinon de la pensée.
Mots clefs pour ouvrir ou fermer?
«De nos jours, la moitié des thèses de doctorat sont «genre» et n’ont pas une once de savoir neuf»: cet avis d’un chercheur helvétique qui a trouvé le chiffre dans un annuaire français pourrait inquiéter. Mais pas dans le milieu dudit colloque, qui – étrange – avait lieu à la Faculté de médecine. Ainsi en hors-d’oeuvre, on avait eu droit à l’exposé «genre» d’une étudiante et auteur d’une expo sur le thème; et en clôture, à une analyse des dilemmes de l’indexation au Centre (…) des sciences de la sexualité. Là bien sûr, on a montré combien le vocabulaire et son classement pouvait entretenir les préjugés discriminants d’une sexualité machiste occidentale.
Pourtant, en ligne, quand on cherche des chiffres genrés sur la criminalité, Google renvoie chaque fois à «féminicide».
Le plus sûr est de fermer les yeux: ledit Centre doit tout à des patriarches douteux; pour la bonne cause, faut-il gommer le lien sémantique évident (voire fertile) entre Willy Pasini et la Lega? Ou – imitant le Théâtre de Carouge – gommer l’exergue de John Stuart Mill au début de la bio de Maurice Chalumeau (l’homme qui a doté le Centre)? Décidément, le sol de la Cité sarde – rouge et verte – est imprégné de fongicide.
Diogène, un grand résistant
Ainsi le savoir, l’info… peuvent se lire de deux manières: ce qu’on dit et ce qu’on gomme; après un tel colloque, ce sont plutôt les noms jamais cités (dans nos temples de la pensée officielle) qui dominent. Cela frappe en tout cas qui a pu lire des livres avant le grand ménage que nous promet ce «woke» qui fait du zèle en cette saison.
A un récent colloque de la Fac de lettres et du Musée d’ethnographie – lors d’une séance tenue dans une librairie engagée -, le soussigné cita un fait contraire qu’il avait lu dans un livre trouvé aux puces. Réponse: «Aux puces, on trouve surtout des livres de droite libérale». Ah! bon… de droite ou de gauche, ces deux photos vues dans une revue d’époque: des Pygmées reçus à Paris en costume-cravate avant d’aller se montrer plus nus à l’Exposition coloniale; ou d’Amérique, ces Noirs armés de bâtons payés pour aller briser une grève?
Cela met un bémol aux thèses des historiens «engagés» qui n’aiment pas mettre l’oeil à la lunette de Galilée: «Ce vieux livre publié sur place, je peux vous l’offrir» propose le soussigné à une jeune historienne des Antilles à cheval sur ses thèses. Elle admet que «Non, je ne l’ai pas lu!» mais que «Je n’ai que faire de votre don, je trouverai en bibliothèque» (ce qui est faux: ledit livre n’est ni en Suisse ni sur Gallica). On pourrait citer cent autres cas vécus: même les frimeuses «humanités numériques» sont un paravent pour ce nouvel absolutisme. Et peu à peu un mystère se dissipe: si le soussigné entasse chez lui tant de paperasse – livres, docs, notes – ce n’est pas en vain. Face aux croisés sortis des tours d’ivoire du savoir, autant avoir des murs épais.
Les braves gens de Georges
Brassens
Au colloque vers la fin, stupeur: c’est par des cris de haine qu’on voua aux gémonies l’ennemie publique numéro un (ou une): l’«objectivité, ce mensonge». Et donc pas question de laisser parler l’autre côté face à la subjectivité «progressiste». Au soussigné qui leva alors la main pour demander si dans les bibliothèques expurgées, il restera plus que trois livres (dont un de Popper aux pages coupées en nombre), on refuse la parole: «Vous venez à tous les rendez-vous publics… nous voulons entendre autre chose». Or ils n’ont fait que ça toute la matinée: quelle inversion dans la classe savante, qui juge tout «mais» – fût-il seul et bref – de trop. Enfin le pompon, ce fut quand l’orateur vedette conseilla à ses collègues de cacher les écrits réacs (comme «Valeurs Actuelles») pour protéger l’esprit public par des mesures «hygiénistes» du genre «fongicides» (sic). Là, on est en plein vocabulaire nazi, même sous couvert du slogan «Etre bibliothécaire, c’est être antifa».
Alors l’évidence s’impose: Pasolini avait raison, quand il disait «Le fascisme peut revenir s’il sait se grimer d’antifascisme»; la citation est-elle vraie? Salomé Saqué la trouve «drôle» sans voir qu’elle-même en est la preuve; Julien Probst l’estime apocryphe, bien que devenue légende urbaine. En fin de compte, c’est un financier populiste qui – une semaine après – me confirme: «Bien sûr! c’est dans les Lettres luthériennes».
La vérité au pas cadencé
Comment se fait-il qu’on assiste à ce triomphe de la subjectivité unilatérale sans objection et que le compte-rendu du colloque dans le Journal de l’Université soit même un chef-d’oeuvre de galimatias (dont on croyait seuls les ténors estudiantins capables; (cuae.ch vs uneautrevoix.com))? Sans doute que ce nouveau stalinisme est – comme l’ancien – le ciment du pouvoir de la «nouvelle classe». La subjectivité permet de créer sans fin des postes de jeunes imposteurs et censurer la culture «libérale» donne l’air du plein vide de la culture «antifa».
En tout cas, celle vantée par la Bibliothèque de l’Université dans sa grand’messe à la Fac de médecine ou celle promise par la nouvelle cheffe de la culture au Palais Eynard. Alors, si Diogène est résistant, l’Alma Mater est-elle collabo?
La majorité des chercheurs et professeurs le prouvent tout au long de l’année, condamnés au «wokish or perish». Mais on trouve dans chaque fac deux ou trois libres penseurs (surtout seniors, mais même juniors): cherchez lesquels… c’est le jeu de société de l’été.