Le prof est vache mais à l’écoute (le salon agricole Swiss Expo a été chassé de Beaulieu il y a deux ans par les véganes et – ce janvier – de Palexpo par le virus).

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carrière & formation

La science à demi-mot

9 Fév 2022 | Carrière et formation

Il y a deux «Genève Internationale»: celle centrée sur le Palais des Nations, et celle centrée sur Palexpo. Dans ce journal, on a souvent parlé de l’une et de l’autre, sous l’angle «carrière et formation». Mais la dureté des temps a mis la seconde en veilleuse; seule une poignée de congrès et/ou salons ont sauvé leur peau l’an passé: deux de médecine et un de math.

Ces trois forums, on vous les restitue ici de mémoire, en attendant que les nettoyages de printemps fassent ressortir d’un carton les notes du journaliste prises sur le vif. Certaines anecdotes restent toutefois imprimées dans la mémoire: c’est moins par la touche humaine chère au journaliste qu’une anecdote est précieuse, que par son rôle d’indice pour dénouer l’intrigue… Un congrès ou salon d’«anesthésiologie», d’«arthroscopie» ou de «physique mathématique» – c’était le thème précis des trois congrès et salons – n’a de sens pour les médias généralistes que comme un instantané. Mais – à force de vivre trois jours avec des savants et de passer des salles de conf à l’espace d’expo -, il en dit plus sur la science vivante qu’un discours de Prix Nobel à l’Unige, à l’Unesco ou même au Cern: «C’est rare qu’on ait des journalistes ici… d’habitude, ils vont plutôt aux événements «secondaires»: science et comm’… science et genre…», m’a dit un jour un grand manitou de congrès. Dommage, on le verra plus loin…

L’anecdote: un test sinon une preuve

Au congrès d’arthroscopie – en clair, la médecine des articulations (sofarthro.com) -, je m’approche du stand de Sanofi. Motus et bouche cousue: les dames – à l’évidence très savantes – qui tiennent le stand crient d’effroi quand elles voient que je suis des médias: «Passez par notre service de comm’… nous ne pouvons parler à la presse». Sur le moment, je fus surpris par cette attitude dogmatique: dans le passé et chez d’autres labels au contraire, des «commerciaux/ales» très calé(e)s m’ont plus d’une fois dispensé un cours complet sur les enjeux de leur branche… et je trouvais ça bon pour moi, pour eux/elles et pour leur boîte (c’est un atout d’avoir des employés qui cultivent leurs savoir par le dialogue). Mais de nos jours, même les chercheurs de la Faculté de médecine se sentent «bâillonné(e)s… nous ne pouvons plus dire deux mots sans le service de comm’». Mais revenons au forum d’arthroscopie: si on lit (par exemple dans Wikipedia) la page sur Sanofi pleine d’aventure, on saisit mieux les enjeux de la comm’. Dix mètres plus loin, j’aperçois un stand sans grand air… alors je tente une autre fois ma chance. Là je tombe sur un petit patron, seul maître à bord… et on entre sans autres dans le vif du sujet. «Ce qui m’a amené dans cette industrie? J’étais artisan, comme mon père… rembourrage de chaises, par exemple. Mais je faisais aussi beaucoup de sport, au point d’avoir un jour des bras hors d’usage. Avec le temps, je n’arrivais plus à tirer assez fort sur le tissu… j’ai souvent fait des séjours en clinique. Au chômage, j’ai vu un jour une offre d’emploi d’une marque dont j’avais vu les machines à l’hôpital… ce fut le début de ma seconde carrière».

Le médecin ne tient-il que par la sécu?

Hormis les anecdotes, pour un journaliste à un congrès, ce sont les tables rondes sur la formation, et surtout les «controverses»… qui sont les plus instructives. Certaines me reviennent de mémoire de manière imprécise, mais colorée: «pour ou contre les robots» qui distribuent les médicaments… «opération ou injection» dans un membre affecté… un peu comme aux joutes du barreau (odage.ch, clubdedebat.ch). Cela montre comment, derrière la façade livresque, la plupart des métiers techniques évoluent d’une tension à l’autre: repositionnement permanent des divers acteurs de la santé… médecins, infirmiers, techniciens… avec – dans le cas de l’anesthésiologie, pour évoquer l’autre congrès médical (siga-fsia.ch) – démonétisation d’une spécialité: même dans des branches phares, les appareils font mieux que le médecin. Mais ce n’est ni à Palexpo, ni au Centre international de conférences, que j’ai entendu le meilleur exposé sur le sujet… mais dans un bled perdu (universitepourtous81.fr/activites/tarn-nord/luberisation-de-la-medecine-de-ville-va-t-elle-entrainer-la-disparition-du-medecin-traitant-1-727.html; à l’Unige, le Pr Antoine Geissbuhler n’est pas mal non plus, et le livre de Xavier Comtesse mérite d’être lu)!

2 + 2 = 4… est-ce un «théorème»?

Un congrès de «mathematical physics» (icmp2021.com… à ne pas confondre avec «physical mathematics») traite surtout de statistiques pour la mécanique quantique et d’équations différentielles pour la géométrie relativiste. Malgré l’actualité des questions climatiques, pas trace de météorologie… du moins au congrès qui s’est tenu en été au Centre international de conférences. Pour attirer le grand public (qui ne l’a pas su), Michel Mayor est venu parler du cosmos, tout en disant que dans son champ, «on n’emploie que des maths très simples»… dont le pas si simple «problème à six corps» en gravitation. Mais tout ça n’était que prétexte pour traiter la question centrale des sciences: la pause de midi du dernier jour fut vouée aux droits de l’homme, c’est-à-dire de la femme. Et comme un sommet des maths aura lieu en Russie cet été, le congrès de Genève rendit hommage à Olga Ladyjenskaïa, qui fut aussi incomprise que Hypatie en son temps. Pourquoi faut-il être un mandarin attitré pour penser juste avec un crayon et du papier… et de combien de théorèmes essentiels sont faites les mathématiques? Voilà des inconnues que même Paul Turner ou Godfrey Harold Hardy – as des math pop – n’ont pu calculer (on en trouvera un bout sous futura-sciences.com). Mais l’esprit de la science est plus dans les questions ouvertes que dans les énoncés cassants. Comme «le sexe du mâle est égal à racine carrée de moins un» du psy Jacques Lacan… qui prenait sans doute au pied de la lettre les nombres «imaginaires». A l’inverse, est-ce parce que son épouse est linguiste et artiste qu’un Manu B. Paranjape (rencontré au hasard du congrès) défend avec fougue une langue ouverte sur l’inconnu? Le seul titre de son article – «Don’t dismiss negative mass» (qui n’est pas l’«antimatière») – donne du relief à toutes les notions de physique établie.

La plus grande école du monde

Pour finir sur une note moins… éthérée, Palexpo (comme les autres lieux de salons et congrès) est un temple de la formation continue qui s’ignore. On y entre de plain-pied dans tout métier en grande forme, et seuls les experts qui n’y vont jamais ont pu croire qu’il faudrait un siècle à la Chine (par exemple) pour se hisser au sommet de la science. Mais pourquoi donc ces forums ne viennent-ils jamais au Club de la presse réveiller les médias?

 

Boris Engelson